Patrick Rahali, analyste conseil du CXP, rappelle les chiffres mis en évidence par une étude américaine de 2009 : 93% des projets dépassent les délais prévus, et 59% de ceux-ci dépassent le budget. La même étude met en évidence une amélioration en 2010 : le nombre de projets dépassant le budget descend à 51,4%. Mais cette valeur encore élevée est révélatrice de nombreux problèmes. Les sociétés qui ont mis en ?uvre un ERP sont sensibilisées par ces questions. Les éditeurs et intégrateurs ont également leur mot à dire. Écoutons-les.
Élaborer un cahier des charges raisonnable
Traditionnellement, le cahier des charges est le document à partir duquel va se faire le choix des prestataires et de la solution. Mais entre le moment où un projet ERP est lancé et le moment où il est déployé, il peut se passer de 2 à 3 ans. Inévitablement, le cahier des charges subit des modifications en cours de route, et le projet est bien obligé de s'y adapter au fur et à mesure. La conduite même du projet doit amener à anticiper les changements. Halim Mahdi, DSI de la société Caillau, fabricant de colliers de serrage, parle de cahier des charges "mouvant". En effet, les gros clients de sa société sont essentiellement des constructeurs automobiles, qui modifient souvent leurs modèles et leurs exigences.
Mais un cahier des charges ne doit pas tout décrire : il doit se contenter de la description des besoins. Jean-Marie Vigroux, Président de Sylob a été confronté à un cahier de charges atypique : "ce cahier des charges comportait 4 400 questions. Il nous a beaucoup étonné par son niveau exagéré des détails et par la manière dont il avait été rédigé. Nous avons renoncé à y répondre.", dit-il. Pour Amor Bekrar, PDG d'IFS France, les trois critères principaux d'un cahier des charges sont le périmètre, les ressources et les délais. Si l'un deux est imposé, les autres s'adaptent. Un cahier des charges doit répondre au quoi et non au comment. Les cahiers des charges problématiques sont souvent ceux qui mélangent les deux.
L'application iPhone de Cadremploi, groupe AdenClassifieds
L'organisation même du cahier des charges peut être gage de succès. Chez AdenClassifieds, spécialiste des petites annonces, des offres d'emploi et des services immobiliers du groupe Figaro, la refonte du système d'information s'est faite en deux lots. Benoît Billot, Directeur de l'ADV et du CDV décrit la situation : "nous ne voulions négliger aucune partie et nous voulions être prêts lors du démarrage. Ce découpage nous a permis d'établir un planning réaliste".
Répartir correctement les responsabilités
Le rôle respectif et la responsabilité de chaque intervenant ont un impact considérable sur le bon déroulement du projet. L'implication de la direction sur ces aspects est essentielle. La question de l'engagement des équipes est liée à celle des priorités et du temps consacré aux différentes activités. Il faut en effet trouver un équilibre entre les tâches quotidiennes et les tâches du projet. Benoît Billot confirme que, chez AdenClassifieds, les responsabilités ont été bien définies à l'avance. Le contrôle du bon déroulement du projet est assuré par des réunions régulières où la question des délais est systématiquement posée. Chez Caillau, les réunions sont hebdomadaires.
Pour les utilisateurs, l'un des risques est de s'essouffler dans la phase de choix du produit et de considérer que leur travail s'achève à ce moment-là. En réalité, leur implication dans le déroulement du projet, qui démarre en fait à ce moment-là, est essentielle. Pour Gérard Bialek, directeur commercial de Qualiac, la présence d'un médiateur, intermédiaire entre l'éditeur et les utilisateurs permet de répartir les choix entre la maîtrise d'?uvre et la maîtrise d'ouvrage. "Le client a une grosse responsabilité dans la réussite des projets, qui s'élève à au moins 50 %.", explique-t-il.
Prendre du recul pour mieux évaluer et mieux concevoir
C'est dans le contexte d'une solution existante qu'il est le plus difficile de prendre du recul. Il est donc souvent nécessaire de faire appel à un conseil extérieur pour évaluer l'existant et faire des propositions d'évolution. C'est ainsi qu'a procédé AdenClassifieds. Ayant mis en place l'ERP Qualiac en plusieurs phases au fil des années, le groupe a mandaté un cabinet indépendant pour analyser les problèmes et les besoins. Celui-ci a aidé l'équipe à sortir de la routine et à pointer les pesanteurs. Benoît Billot admet que "ce n'est pas toujours agréable de se rendre compte qu'on n'a pas fait le bon choix." mais que c'est salutaire. Finalement, les problèmes se sont révélés être plus liés à l'organisation qu'à l'ERP. Une remise à plat et un cahier des charges ouvert ont abouti à nouveau au choix de Qualiac, mais dans un contexte complètement renouvelé. Plus généralement, un conseil externe est souvent utile pour aider les utilisateurs à exprimer leurs besoins réels et écarter les demandes inutiles et superflues, comme le note Jean-Marie Vigroux.
Exemple de pièces créées par les adhérents du BJOP |
Une autre manière de prendre du recul consiste à mutualiser les projets. Bernard Hosch, DSI d'une grande marque de luxe, s'est tourné vers le BJOP (Union française de la Bijouterie, Orfévrerie, des Pierres et Perles) pour développer un projet sectoriel commun avec ses collègues. Après la construction d'un cahier des charges, cinq éditeurs ont travaillé sur une solution pilote. C'est Sylob qui a finalement a été retenu. À partir de ce socle commun, la société a développé ses propres projets, et elle aussi s'est fait aider par un conseil externe. Celui-ci a réussi à faire passer des messages aux directions, ce qui a facilité l'affectation de ressources aux projet. Autre originalité de cette société, les différentes entités du groupe auquel elle appartient effectuent à tour de rôle des audits les unes des autres, renouvelant le regard extérieur. Une manière répandue de mutualiser les préoccupations des utilisateurs consiste à participer à des clubs utilisateurs : ainsi AdenClassifieds participe régulièrement à celui de Qualiac.
Le facteur humain, souvent négligé mais toujours essentiel
Le facteur humain est au centre de tous les projets : il conditionne le niveau de collaboration des membres d'un projet. "Si un employé ne collabore pas, il faut rechercher la raison humaine qui provoque cette situation", explique Amor Bekrar, qui distingue trois cas : la collaboration active, la collaboration passive, la non collaboration. La position des chefs de projet a également un impact important sur le déroulement des projets : que ce soit du côté du client ou du côté du prestataire, un chef de projet peut-il tout dire ? C'est parfois problématique dans des sociétés où certaines unités agissent pour elles-mêmes au détriment de l'intérêt général de l'entreprise. Dans ce type de contexte, un chef de projet est impuissant. Mais comment remonter à la direction générale ?
Un autre cas de mépris du facteur humain est l'attitude d'une direction qui impose un ensemble de tâches aux salariés, sans donner de priorité et sans moyens ni délais suffisants. Le salarié ne peut alors collaborer efficacement au projet.
L'engagement au forfait, une formule qui fait débat
Le travail au forfait est souvent présenté comme la solution idéale pour garantir les coûts et les délais. La question posée à ce sujet par Patrick Rahali aux utilisateurs et aux éditeurs a reçu une réponse mitigée, formulée comme un "oui mais", avec un "mais" très appuyé. Du côté du BJOP, Bernard Hosch insiste sur la maîtrise du périmètre du projet et sur la définition précise des livrables. Jean-Marie Vigroux remarque que toutes les ressources ne se valent pas et que la qualification et la compétence des intervenants sont essentielles.
Gérard Bialek va plus loin : "un forfait figé ajoute des risques", dit-il. "il y a danger si on ne prévoit aucune souplesse." Par exemple, si le prestataire est confronté à un dépassement de budget, il sera tenté d'affecter au projet un profil junior qui lui coûte moins cher, avec le risque que celui-ci ait du mal à dominer les tâches qui lui sont confiées. Pour sa part, Amor Bekrar, PDG d'IFS France déclare :"Je ne m'engage que sur ce que je maîtrise. Le forfait déresponsabilise le client."
René Beretz