Chorus est piloté par l'AIFE (Agence pour l'Informatique Financière de l'État) et a été initié en 2006. Il repose sur la mise en place d'un progiciel SAP et est déployé progressivement depuis 2008. La dernière vague de déploiement a eu lieu en début d'année (suivi des engagements de l'État et des paiements). Il est prévu que la comptabilité générale de l'État ne soit tenue dans Chorus qu'à partir du 1er janvier 2012. Les enjeux de ce projet dépassent de loin la seule comptabilité : ils impliquent une réorganisation en profondeur des services et affectent les métiers, les effectifs et le budget de l'État.
Les volumes de ce projet pharaonique (le plus important dans la sphère publique et sans doute l'un des plus importants projets SAP au monde, si ce n'est le plus important) sont également colossaux :
- 35 millions d'écritures comptables annuellement ;
- 25 000 licences d'utilisation correspondant à autant de postes de travail, déployés sur l'ensemble du territoire ;
- un coût évalué en 2006 à 1,1 milliard d'euros sur dix ans.
Un rapport sévère
Dans son récent rapport, la Cour des comptes constate que "Aux 1,01 Md' directement imputables à l'AIFE au titre de Chorus (L'AIFE a réalisé une économie de 100 M€, notamment liée à une réduction de 38% des coûts prévisionnels de fonctionnement permanent de Chorus NdlR), s'ajoutent donc le coût de l'adaptation des systèmes ministériels, qui peut être évalué à 220 M€ et celui de l'environnement de Chorus, qui est estimé à 280 M€ (=120 M€ + 160 M€). Le coût total du projet sera supérieur à 1 Md' et sera plus proche de 1,5 Md', si l'on intègre les coûts indirects." La Cour précise : "aucun élément ne permet pour l'instant de conclure sur le retour sur investissement du projet au regard des scenarii initiaux. Cependant, les économies prévues dans le scénario le plus favorable tardent à se dessiner sous la forme de gains de productivité."
La Cour des comptes avait, compte tenu de son caractère stratégique, déjà examiné ce projet à plusieurs reprises. Elle avait notamment adressé un référé au premier ministre le 19 février 2010 et fait deux communications aux commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat en 2008 et 2009. Elle constate aujourd'hui que " les recommandations déjà formulées par la Cour n'ont guère été suivies d'effet." C'est pourquoi elle préconise des changements profonds dans la conduite du projet et l'évolution de l'organisation budgétaire et comptable qui doit accompagner le nouveau système d' information.
Sur quelque 20 pages, la Cour passe en revue les détails du projet et constate que :
- Les améliorations de la gestion publique attendues, notamment au moyen de l'adoption d'un progiciel de gestion intégré, sont compromises ;
- Le suivi des engagements de l'État n'est pas encore assuré ;
- L'organisation de la chaîne de la dépense est loin d'être efficace.
Sur ce dernier point, "en théorie, Chorus est censé fluidifier le flux d'information lié à la dépense de l'État, de l'engagement au paiement", ajoute le rapport. "Dans la pratique, de lourdes contraintes ralentissent la chaîne de la dépense et annihilent une partie des gains espérés." La Cour estime qu'en conséquence, les possibilités du progiciel sont sous-utilisées car une partie importante de la gestion de la dépense est encore effectuée en dehors de Chorus, d'où potentiellement une qualité de l'information financière profondément altérée. Elle constate que la mise en place de la nouvelle organisation n'a pas été précédée d'une véritable rationalisation, malgré la création de Centres de Services Partagés (CSP) et de services facturiers. Cela conduit à reproduire des pratiques anciennes et donc à se priver des gains attendus du déploiement d'un tel projet, ce qui fait peser une lourde incertitude sur la performance finale.
Au bilan : "des retards de paiement de l'État envers ses fournisseurs ont été constatés au premier semestre 2010. Tous ministères confondus, ils étaient évalués à 6 Md' en juillet 2010 et concernaient notamment le paiement des fournisseurs du ministère de la défense, ce qui a provoqué des difficultés de trésorerie pour les entreprises concernées. Ces retards étaient essentiellement dus à des déficiences dans l'opération de bascule des anciens systèmes dans Chorus, notamment en matière de formation, l'appropriation du nouveau système par les utilisateurs nécessitant un apprentissage de plusieurs mois."
La Cour pointe par ailleurs des aléas dans le développement de la comptabilité générale de Chorus, des carences stratégiques dans la conduite du projet et dans les choix d'organisation et un manque de transparence et de maîtrise des coûts du projet.
En conclusion, la Cour formule sept recommandations, parmi lesquelles une clarification de la gouvernance du projet, un rapprochement plus étroit avec les autres grands projets structurants en cours, la mise en chantier d'une redéfinition des outils de pilotage et de contrôle ou encore le développement d'une véritable comptabilité analytique à l'échelle de l'État.
Réponse du ministre du budget
Le ministre a répondu pour par point aux nombreux constats de la Cour des comptes et demandé à ce que sa réponse soit prise en compte et publiée. Elle figure in extenso pages 285 à 294 du rapport et commence ainsi : "Ce projet d'insertion ne reçoit pas mon accord. Il comprend en effet de nombreuses remarques que je conteste et dont je souhaite vous faire part".
Sur la question des coûts, il écrit : "J'estime que la Cour ne remet pas en cause les chiffrages proposés par l'AIFE sur le périmètre du projet Chorus, et que la majoration des coûts (de 1,01 Md' à 1,5 Md') qu'elle propose, résulte d'une nouvelle approche modifiant le périmètre d'analyse initial, et non pas d'un défaut de cadrage préalable des choix stratégiques."
Quant aux sept recommandations formulées par la Cour, "quatre sont d'ores et déjà incluses dans mes priorités, explique le ministre en précisant que d'autres sont en cours de lancement et qu'il reste "vigilant et attentif aux modalités de déploiement de Chorus."
Benoît Herr
Le texte complet de la partie relative au projet Chorus et aux systèmes d'information financière de l'État du rapport public annuel de la Cour des comptes ainsi que la réponse du Ministre du Budget sont disponibles ici (format pdf).