Aujourd'hui, quand on pense à un ERP, on visualise d'abord un système de gestion financière et comptable, autour duquel gravitent une gestion commerciale, une gestion logistique, mais aussi un CRM et une BI. C'est pourtant au c'ur des entreprises industrielles qu'il faut aller rechercher l'origine des ERP.
Tout est parti du MRP (Materials Requirements Planning, ou planification des ressources matérielles), une méthode de calcul des besoins en matières née dans les années 1960. Les approvisionnements et la gestion des stocks représentaient déjà un souci majeur et les rationaliser pouvait apporter des bénéfices importants.
Le périmètre du MRP s'est rapidement élargi pour inclure également ce qu'on appelle les gammes, c'est-à-dire les besoins en ressources humaines (main-d'?uvre) nécessaires à la fabrication d'un produit, et a donné naissance au MRP II (Manufacturing Resources Planning II). Ce modèle permet une planification très fine et ajustable au fil du temps : il se base sur un calcul des besoins nets, évalué par comparaison entre les besoins bruts (commandes clients auxquelles on ajoute les prévisions de vente) et les ressources disponibles (main-d'?uvre, équipements et matériels nécessaires à la fabrication, augmentés des prévisions de consommation). Cette Gestion de Production Assistée par Ordinateur (GPAO) s'interface donc en amont avec la gestion commerciale et en aval avec la facturation et la finance. Le MRP II est encore largement utilisé de nos jours dans la plupart des entreprises industrielles.
Ce n'est que plus tard que le MRP II a évolué vers l'ERP (Enterprise Resource Planning), logiciel permettant de gérer l'ensemble des processus de l'entreprise. La gestion de production est alors devenue optionnelle et l'utilisation de l'ERP s'est élargie aux entreprises non-industrielles.
Soudure
L'automatisation des processus que couvrent l'ERP et plus particulièrement la GPAO génère des gains de productivité majeurs : réduction des stocks, des coûts de production et des coûts administratifs. L'ERP est devenu indispensable à toute entreprise de production, qu'elle soit manufacturière ou batch. Mais une PME n'est le plus souvent ni outillée ni dimensionnée pour quantifier objectivement ses bénéfices. Illustrons ce propos au travers de deux exemples concrets.
Groupe Lauak
Le groupe Lauak est une PME industrielle de 400 personnes réalisant 34 M€ de chiffre d'affaires. Entre ses trois sites, dont un au Portugal et deux dans le Sud-ouest, il bénéficie de 40 000 m2 d'ateliers de production couverts. Son site principal est situé à Ayherre, dans les Pyrénées-Atlantiques. L'entreprise se spécialise pour 80 % de son activité dans la production de petites séries à destination de l'industrie aéronautique.
La feuille d'usinage suit en permanence la pièce en cours de fabrication
Elle fait partie des 19 sous-traitants de niveau 1 (niveau le plus élevé) agréés par Airbus Industrie dans le monde, sur la partie "pièces élémentaires". Pour maintenir son savoir-faire, elle mise sur le renouvellement constant de ses moyens et sur sa capacité à évoluer en permanence dans l'innovation, notamment sur des nouvelles technologies laser, de soudage et autres. C'est ainsi que le groupe Lauak s'est doté d'une presse à cellules fluides capable d'exercer des pressions jusqu'à 48 000 tonnes (soit 1000 bars, contre 4 à 5 000 tonnes pour les presses traditionnelles les plus puissantes), un investissement de l'ordre de 3 M€ pour une seule machine.
Le groupe sert quelque 2 500 lignes de commande par mois et gère mensuellement de 8 à 10 000 ordres de fabrication. Il référence 60 000 pièces, qui sont autant d'éléments fabriqués par le groupe. Ceux-ci vont des pièces élémentaires à des structures complexes, comme des réservoirs structuraux, des réservoirs additionnels ou des tronçons de fuselage, en passant par des sous-ensembles et autres pièces mécaniques.
Dès 1996, le groupe s'est équipé d'un outil informatique pour la gestion de sa production, en l'occurrence Clipper de Clip Industrie, dans sa version DOS, alors monoposte. Cette version a évolué vers Windows dès 1997, pour servir 10 postes.
Alexandre Lalanne, responsable supply chain et responsable informatique, groupe Lauak
Aujourd'hui, l'entreprise recense plus de 100 postes, sans compter les postes de saisie des temps situés en atelier. Son site de L'Isle-Jourdain, dans le Gers, utilise TSE pour se connecter à distance ; il est ainsi tout simplement vu par le système comme un atelier supplémentaire. L'entreprise utilise la plupart des modules proposés par l'éditeur de son ERP : devis, commandes, livraisons, atelier, achat, qualité, déclarations de non-conformité, procédures internes de qualité, plan de fabrication, gestion des ordres, gestion des temps, facturation... Et depuis peu, elle utilise aussi le module de BI, distribué en OEM et basé sur les solutions de Business Objects, pour mettre en place les indicateurs que lui réclament ses clients et les ateliers en interne.
Lorsqu'on l'interroge sur les apports de l'outil Clipper, Alexandre Lalanne, responsable supply chain et responsable informatique, avoue "qu'il n'a pas fait les calculs mais que si aujourd'hui il fallait se passer de Clipper, l'entreprise s'arrêterait. Une simple panne de secteur par exemple, et nous ne savons plus répondre aux demandes des clients, plus facturer, etc." Alors que l'approche du ROI est assez fine lorsqu'il s'agit d'investissements métiers comme la presse à cellules fluides citée plus haut, le ROI d'une PME sur les investissements informatiques ne font au mieux l'objet que d'une évaluation approximative. Et pourtant, l'entreprise se révèle incapable de fonctionner sans...
Charriton
Le son de cloche est à peu près le même chez Charriton, une autre PME industrielle, également sous-traitante de l'aéronautique, basée à quelques kilomètres seulement de la précédente. Créée en 1967 par Jean-Baptiste Charriton, cette entreprise compte Dassault, Eurocopter, Daher Socata, EADS Sogerma, Latécoère ou encore Potez et SABCA parmi ses clients. Dassault et Daher Socata génèrent à eux seuls 70 % de son chiffre d'affaires, qui a été de 5,3 M€ en 2010 (contre plus de 8 M€ en 2008, mais la crise est passée par là), pour 75 collaborateurs.
Charriton fabrique ? entre autres choses ? la partie centrale des Écureuil ainsi que des sponsons (éléments de structure accueillant les trains d'atterrissage) d'hélicoptères. Là aussi, la GPAO Clipper a été adoptée dès 1995. Intégré dans tous les process, il est devenu complètement indispensable. Et là encore, on est bien en peine de chiffrer son ROI, même si "la maximisation de l'utilisation de l'ERP fait partie de la stratégie de l'entreprise", comme le souligne Xavier Etchart, responsable de la qualité et de la logistique.
Des orientations stratégiques
Le groupe Lauak et Charriton affichent des axes d'amélioration et de développement de l'utilisation de l'ERP, qui va encore plus s'intégrer à l'ossature même de l'entreprise. C'est le signe que d'un côté comme de l'autre on n'en tire encore pas la quintessence.
Un poste de saisie des temps
Côté Lauak, on souhaite passer à une gestion multidimensionnelle des pièces et intégrer tous les prévisionnels des clients dans les plans de charge. Il faut dire que, dans le métier de l'aéronautique, ces prévisionnels se font le plus souvent à 18 mois. Cela apporterait donc une visibilité intéressante au sous-traitant. Lauak souhaite également fiabiliser ses nomenclatures, qui sont le plus souvent vieillissantes, ce qui se comprend aisément vu le poids historique de l'ERP dans cette entreprise. Enfin, Lauak ayant construit récemment une toute nouvelle usine et revu tous ses process pour appliquer le "lean manufacturing", il est aujourd'hui devenu nécessaire de revoir les dossiers techniques afin de les mettre en phase avec cette conception. "Aujourd'hui, les charges sont gérées en fonction de temps moyens et de taux horaires moyens. Ultérieurement, nous allons aussi mettre en ?uvre une analyse de rentabilité pièce par pièce", ajoute Alexandre Lalanne.
Côté Charriton, les axes d'amélioration abondent, dans le cadre notamment du projet Aerolean'K, démarré il y a un mois et dont l'objectif est d'arriver à 95 % de livraisons en temps et en heure contre 90 % aujourd'hui, soit un gain de 5 % et une amélioration des stocks de 10 %. Dans cette optique, l'ERP est en première ligne. L'objectif est d'améliorer les process de gestion des charges et des capacités, le plan industriel et commercial et le plan directeur de production. "Nous voulons aussi maximiser notre taux de service et développer des prestations de service à délai court (jusqu'à 4 jours contre 10 à 15 semaines pour les délais normaux) pour le marché de l'urgence, qui représente 4 à 5 % de notre production", ajoute Xavier Etchart.
L'ERP industriel est tellement entré au c'ur même du quotidien de ces entreprises que la question de la quantification de ses bénéfices est devenue secondaire tant l'outil est vital et ses bénéfices évidents.
Benoît Herr