C'est le 6 septembre 2011 que le Syntec Numérique a décerné ses premiers trophées des créateurs de logiciels, dans les locaux de la chambre de commerce et d'industrie de Paris. La manifestation a permis à Ernst & Young de présenter son premier "Top 250 des créateurs de logiciels", réalisé en partenariat avec le syndicat. Il s'agit d'un vaste panorama du secteur en France, qui fait ressortir son dynamisme et tord aussi le cou à un certain nombre d'idées reçues, comme le manque de présence des éditeurs français à l'international. Nul doute que Bruno Vanryb, président du collège éditeurs de Syntec Numérique est pour beaucoup dans ce projet, mais force est de constater que le syndicat n'a jamais autant ?uvré pour les éditeurs au cours de son histoire que depuis qu'existe l'AFDEL (Association Française Des Éditeurs de Logiciels), présidée par Patrick Bertrand, le directeur général de Cegid. Notons que l'AFDEL publie également un palmarès, qui vient s'ajouter au Truffle 100, réalisé quant à lui en partenariat entre Truffle Equity et le CXP : nous commençons donc à disposer de quelques outils.
Il faut dire que les éditeurs représentent la moitié des membres du Syntec Numérique, soit 550 entreprises, comme a tenu à le rappeler Bruno Vanryb, qui a commenté le métier qu'il exerce lui-même avec passion depuis des décennies en ces termes : "le métier d'éditeur de logiciels est un métier paradoxal : les entreprises sont en permanence confrontées à des changements alors que les cycles de développement sont très longs. C'est également une activité très diversifiée, d'où l'idée du palmarès".
Un secteur dynamique
Quoi qu'il en soit, le premier enseignement de l'étude de Ernst & Young est que le chiffre d'affaires réalisé par les 297 premiers éditeurs français totalisait 7,7 milliards d'euros en 2010, avec une croissance de 10 % entre 2008 et 2010. "Mais entre 2009 et 2010, la croissance enregistrée a été de 14 %", a précisé Franck Sebbag, associé Ernst & Young, ce qui signe l'impact de la crise de 2009.
L'étude a porté sur des éléments déclaratifs fournis par des éditeurs ayant indiqué ne pas être filiales d'un groupe étranger sur l'exercice concerné, sur la période 2008 à 2010. Les catégories retenues pour l'analyse fine étaient au nombre de quatre : éditeurs sectoriels (créateurs de logiciels adressant un secteur particulier), éditeurs horizontaux (créateurs de logiciels proposant une offre générale à toutes les entreprises), particuliers et jeux (créateurs de logiciels s'adressant aux particuliers et éditeurs de jeux) et intégrateurs et services (créateurs de logiciels proposant des solutions et prestations d'intégration de solutions logicielles).
La croissance générale du secteur cache toutefois des différences par catégories : les éditeurs horizontaux font +22 % sur les 2 années observées tandis que la part intégration et services affiche une décroissance de 4 % sur la même période. Les entreprises de moins de 100 millions d'euros de chiffre d'affaires (c'est-à-dire l'essentiel du panel) ont davantage profité de la sortie de crise, affichant une croissance supérieure à la moyenne (jusqu'à 26 % entre 2008 et 2010 pour celles ayant réalisé entre 50 et 100 M€ en 2010).
International : des progrès
Part du CA réalisée à l'international en fonction du CA global
L'étude montre que, même si elle s'accroît aussi avec la taille, la part de chiffre d'affaires réalisé à l'international par les éditeurs français est en général significative. Les sociétés de moins de 50 M€ y réalisent déjà près de 30 % de leur activité (cf. graphique). Sans surprise, les plus grands éditeurs sont présents sur tous les continents ; l'international apparaît bien comme la clé de développement incontournable des éditeurs qui veulent grandir.
Trois grands enseignements
L'étude a soit confirmé, soit fait apparaître des enseignements intéressants quant au paysage du logiciel français :
- Celui-ci est extrêmement atomisé et constitué essentiellement de PME et de TPE. Les éditeurs de moins de 10 M€ de CA représentent 63 % du panel mais ne réalisent que 8 % du CA 2010. 104 éditeurs (sur 297) réalisent même moins de 3 M€ de CA. Les éditeurs générant plus 100 M€ de CA en revanche, se comptent sur les doigts de deux mains : ces 10 sociétés représentent 56 % du CA 2010 du secteur. La barre des 50 M€ semble difficile a franchir : seuls 4 % du panel se situe entre 50 et 100 M€ de CA. Pour Ernst & Young, "ces résultats traduisent la difficulté des entreprises à devenir des ETI (Entreprises de Taille Intermédiaire) dans ce secteur comme dans le reste de l'économie française". Et d'ajouter "Les sociétés dépassant le cap des 50 M€ de CA deviennent fréquemment des cibles pour des opérations de croissance externe de grands groupes internationaux".
- La part du B2B est très largement prépondérante, par rapport au B2C. "Cette répartition tend toutefois à évoluer avec le développement d'Internet et l'usage de la dématérialisation", note le rapport. Il faut aussi signaler une exception de taille à ce constat : le secteur des jeux vidéo, dans lequel la France compte des représentants illustres, comme Ubisoft ou Gameloft. Ces deux éditeurs arrivent d'ailleurs sans surprise en tête du classement sectoriel "particuliers et jeux", avec respectivement 1038,8 et 141 M€ de CA (cf. tableau).
- La R&D française attire de par la qualité de son savoir-faire : elle conduit les grands groupes internationaux comme Microsoft et d'autres à installer d'importantes unités de développement dans l'hexagone.
Timide évolution vers le SaaS
L'évolution vers le modèle on-demand peine encore à s'imposer dans le paysage : la part du SaaS est passée de 7 à 10 % du CA entre 2008 et 2009, alors que dans le même temps celle des revenus de licences s'est logiquement érodée de 34 à 32 %. Le modèle est donc un axe de développement identifié, mais l'évolution vers le on-demand est lente. À noter toutefois que les sociétés récentes, nées avec l'Internet, construisent dès le départ leur stratégie sur le SaaS.
Lors du débat qui a suivi les présentations, intitulé "La France et l'innovation", et auquel ont participé Richard Gomes, chef du département nouvelles technologies/innovation/services d'Ubifrance, Eric Boustouller, président de Microsoft France et vice-président de Microsoft international, Julien Codorniou, responsable des partenariats chez Facebook France et Bénélux et Mathieu Llorens, directeur général de AT Internet (xiti), une schizophrénie typiquement française s'est une nouvelle fois fait jour. Si l'on s'accordait à louer les qualités des logiciels français, les avis divergeaient quant à l'attitude des ingénieurs français expatriés, certains allant, paraît-il, jusqu'à s'excuser d'être français. D'autres intervenants affirmaient qu'au contraire il y avait tout lieu d'être français et de le revendiquer. Le débat a également fait rage sur la qualité du marketing de nos produits, souvent remise en cause.
En résumé, le secteur est porteur de potentiels colossaux et générateur d'emplois en masse. Même s'il n'est pas parfait, il ne demande aujourd'hui qu'à se structurer, à se consolider et à croître. Guy Mamou-Mani, président de Syntec Numérique, s'est même risqué à dire que cette croissance pourrait être de nature à sortir le pays du marasme économique actuel.
Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, porte-parole du gouvernement, aurait dû être présente à cette soirée. Comme souvent, nos ministres sont appelés à des tâches prioritaires et ce fut encore le cas ce jour-là : nous étions alors en plein débat sur les restrictions budgétaires à l'assemblée. Mais la ministre a néanmoins pris le temps d'enregistrer une longue vidéo à l'attention des personnes présentes, vidéo dont l'optimiste conclusion était "Le secteur du logiciel : l'atout caché des entreprises françaises".
Benoît Herr
PS : cliquez ici pour télécharger l'intégralité du "Top 250 des éditeurs et créateurs de logiciels en France" au format .pdf. Notez que des différences peuvent apparaître entre le classement général de certains acteurs et leur classement sectoriel. Cela signifie que ceux-ci ne réalisent pas l'intégralité de leur CA dans le secteur dans lequel ils ont été placés.
Les lauréats des trophées
Les trophées décernés par le Syntec Numérique entraient dans quatre catégories :
- Innovation : décerné à ESI pour son outil de simulation et de prototypage virtuel ;
- Développement a l'international : revenu à emailvision qui propose un outil de "on-demand marketing" et s'est d'emblée positionnée de manière globale. L'entreprise compte aujourd'hui 600 collaborateurs et est présente dans une vingtaine de pays ;
- Social gaming : pour Kobojo, qui compte 4,5 millions de joueurs ;
- Éditeur Nextgen (c'est-à-dire "qui préfigure ce que sera le logiciel demain") : décerné à Criteo, qui propose un outil de suivi comportemental de la publicité sur Internet.
BH