Avec plus de 160 magasins, essentiellement dans l'est de l'hexagone, plusieurs enseignes (Auchan, Atac, Maximarché, Weldom, Kiabi, Flunch) et un CA de 1,3 Md € pour 6 700 salariés, le groupe Schiever compte parmi les acteurs importants de la grande distribution en France. En 2006-2007, le groupe avait mené un premier projet d'APS (Advanced Planning System) concernant l'optimisation de son approvisionnement central avec Acteos, l'un des cinq principaux éditeurs de solutions d'optimisation de la supply chain en France. À la lumière des résultats obtenus (-20 % de stocks centraux), Schiever a par la suite souhaité poursuivre dans cette logique et étendre l'optimisation de sa supply chain à ses magasins. Il subsistait en effet encore un gros gisement dans les points de vente car, au-delà de la problématique de rupture des stocks locaux, le niveau de ces stocks restait encore très élevé. Acteos était alors en train de mener son projet Eureka, qui a abouti à la création du produit PPOS (Procurement for Point Of Sales), une solution axée sur l'approvisionnement et l'optimisation de la supply chain des distributeurs dans le point de vente. La première version finalisée de PPOS a vu le jour en 2009 et Schiever a accepté de participer à la conception de cette solution destinée, à terme, à optimiser individuellement les stocks des magasins.
Principe de la solution
Classiquement, les entreprises de la grande distribution réapprovisionnent leurs points de vente en fonction de seuils critiques, avec des quantités prédéterminées. Quant à elle, la solution PPOS s'inspire du concept de podcasting et d'autres concepts de gestion de la supply chain (lean, prévisions multi-niveaux, temps réel, order management...) pour effectuer des prévisions réajustées quotidiennement et honorer un taux de service défini par l'utilisateur. Elle s'appuie sur un moteur de prévisions de ventes (Acteos forecast engine) pratiquant un auto-apprentissage pour optimiser automatiquement chaque comportement produit.
Le périmètre d'action d'Acteos PPOS (cliquez sur l'image pour l'agrandir)
Ainsi, l'outil détermine dynamiquement chaque nuit (les traitements s'effectuent de nuit pour ne pas impacter les activités diurnes) et pour chaque magasin le meilleur niveau d'approvisionnement de chaque référence. "Cela nécessite de grosses capacités de calcul (le nombre des références gérées par magasin pouvant aller jusqu'à 30 ou 40 000)", explique Alexandre Morel, directeur marketing, partenariats et projets innovants chez Acteos. Les propositions sont faites à chaque utilisateur le matin pour le lendemain mais aussi pour les semaines à venir. "L'outil tient compte du mode de livraison, de la fréquence de réapprovisionnement, du facing (surface verticale occupée par un produit), de la capacité de linéaire de chaque magasin". C'est l'entreprise qui détermine, en fonction de sa propre stratégie, le taux de service pour chaque produit, famille de produits, etc.
Rôle et bénéfices pour Schiever
C'est en co-développement entre l'éditeur et Schiever que cette solution a été mise au point. "Nous avons rodé nos algorithmes sur différents types de rayons grâce à Schiever", poursuit Alexandre Morel. "Cela nous permet d'avoir aujourd'hui du recul par rapport à l'utilisation de la solution et de la déployer chez d'autres clients".
Baptisé ASTERE en interne, le projet était considéré comme un véritable projet d'entreprise chez Schiever. "Ils nous ont permis d'acquérir énormément de connaissances métiers indispensables.", se félicite Alexandre Morel. "Les chefs de rayon ont beaucoup de compétences que l'on assimile souvent, à tort, à du simple bon sens. En réalité, il s'agit d'expérience".
La solution devait être la plus simple possible, comporter un minimum d'écrans et de gestes pour minimiser le temps d'utilisation quotidien. "Elle devait de ce fait fonctionner par exception. Aujourd'hui, les utilisateurs y passent moins d'un quart d'heure le matin. Nous avons aussi beaucoup collaboré sur la conduite du changement. Dans le domaine du réapprovisionnement, il n'est pas facile de passer d'un outil manuel à un outil semi-automatisé comme le nôtre. Les questions et une certaine méfiance initiales sont naturelles. Schiever a déployé beaucoup de moyens pour accompagner le millier d'utilisateurs concernés dans les magasins", précise notre interlocuteur.
Alexandre Morel, Acteos
"Les résultats mathématiques étaient parfois très différents de ceux auxquels s'attendaient les utilisateurs, poursuit Alexandre Morel. Lors de la finalisation du produit, nous avons pu les faire converger grâce au rôle majeur joué par l'entreprise dans l'affinage et l'interprétation des résultats".
À l'actif de ce co-développement pour l'entreprise et au-delà de l'amélioration de l'optimisation des stocks et de la satisfaction client, il faut aussi mentionner une certaine structuration des process dans les points de vente. À l'instar d'un projet ERP, la normalisation de nombreuses données et de process jusque-là gérés de manière empirique était de mise. "Le projet a été très structurant pour Schiever", estime Alexandre Morel.
Un déploiement rapide
Le projet a duré deux ans en tout, entre 2008 et 2009. Lors de la conception, l'outil a été testé dans un certain nombre de magasins pilotes. Puis, en 2010, les 100 premiers points de vente ont été équipés (Auchan, Atac, Maximarché) grâce à une méthodologie élaborée par Schiever. En 2011, ce fut le tour des 20 magasins Weldom du groupe. "Ainsi nous avons également pu démontrer la pertinence de la solution en dehors des enseignes généralistes", ajoute Alexandre Morel.
Des technologies Open Source
Le produit a été développé sur un socle J2E, multi-serveurs et multi-OS, sur des machines virtuelles Linux. Il s'appuie sur la base de données PostgreSQL et le serveur d'application JBoss. La majeure partie des technologies est donc Open Source ; Acteos a poussé ces technologies dans leurs retranchements pour obtenir les meilleures performances possibles. L'interface utilisateur est Web 2.0 (Ajax/CSS3/Jquery) et multi-navigateurs et l'ensemble peut être utilisé en mode SaaS.
Pour l'intégration dans les SI de l'entreprise, PPOS est nativement proposé avec des interfaces standard et intègre également des fonctionnalités d'ETL, développées à partir de la solution Pentaho.
Résultats
Afin d'évaluer les résultats obtenus et le ROI du projet, un certain nombre d'indicateurs ont été définis et analysés : le taux de rupture, le niveau des stocks (en quantité et en valeur), le taux de pertes, de casse et de déchets, le volume des corrections, le nombre des modifications de propositions de commandes, le temps de correction, le temps passé à utiliser l'application et les écarts de prévision entre chiffre d'affaires prévu et réel.
Schéma 1 : Evolution des stocks (cliquez sur l'image pour l'agrandir)
Sur le schéma 1, qui concerne un hypermarché Auchan, les niveaux de stock apparaissent en gris, les entrées et les sorties en vert et en bleu. On note une nette réduction des stocks en 4 semaines au moment de l'installation de la solution. Toutefois, dans certains cas, l'entreprise a observé une remontée du niveau des stocks, quelques semaines après installation. "Notre outil permet clairement de vider les rayons tout en ne provoquant aucune rupture : le système optimise les stocks en fonction des quantités nécessaires à la vente. Au début, le réflexe des utilisateurs est de faire confiance à l'outil. Mais lorsqu'ils s'aperçoivent que les rayons se vident, ils ont tendance à lui faire moins confiance, modifient les niveaux de service de consigne, ce qui a pour corollaire une augmentation des stocks", explique Alexandre Morel. "Ce n'est que dans les semaines et les mois qui suivent que les utilisateurs refont progressivement confiance à l'outil".
De la même façon, la valeur des stocks évolue à la baisse (cf. schéma 2). Mais on note aussi un accroissement du chiffre d'affaires : les utilisateurs ont plus de temps pour développer les ventes. "Il faut toutefois observer le phénomène sur une période longue pour faire la part entre tendance de fond et saisonnalité", précise Alexandre Morel. Schiever ayant en parallèle amélioré ses process, il est difficile de déterminer la part de l'apport de l'outil. Ce qui est certain c'est que l'accueil client a été amélioré et, qu'en éliminant les ruptures, on génère nécessairement une augmentation du CA. En effet, si les produits sont présents en rayon, le client va les trouver et les acheter plutôt que de se rabattre sur des solutions de secours.
L'amélioration du taux de casse et de déchets est particulièrement sensible sur les produits frais : en tenant mieux compte des prévisions de ventes, les quantités sont mieux ajustées ; on ne sort des frigos que ce qui est nécessaire et on limite les déchets. "Cela se vérifie aussi sur l'obsolescence de certains produits d'autres rayons, comme les nouvelles technologies, qu'en gérant mieux on va éviter de solder ou de brader", constate Alexandre Morel.
Schéma 2 : Evolution de la valeur des stocks, du CA et des pertes (cliquez sur l'image pour l'agrandir)
La mesure du nombre des corrections effectuées par les approvisionneurs aux propositions faites par l'outil permet d'apprécier le taux de confiance. Au début d'une installation il est autour de 60 %. Mais mois après mois, la confiance augmente, pour en général dépasser les 90 %. Sur la marque Weldom, ce taux atteint même 98 %. Autrement dit, seuls 2 % des commandes sont modifiées par le chef de rayon. Le temps passé par les utilisateurs dans l'application évolue également dans le temps : plus l'installation du magasin est ancienne, moins le temps passé dans PPOS est important.
Tous ces indicateurs permettent d'apprécier le ROI de l'application : par exemple, la réduction des stocks libère immédiatement de la trésorerie. Quant à l'accroissement du CA, il se répartit à 50/50 entre l'amélioration des process et les apports de l'outil, selon Alexandre Morel, qui précise qu'une licence PPOS se vend entre 1 000 et 20 000 euros en fonction de la taille du magasin et de la nature des produits vendus. Un investissement qui "se récupère facilement", estime-t-il.
Benoît Herr