"Alors qu'on parle beaucoup d'interopérabilité, de sécurité, de financement (CAPEX, OPEX), la révolution du cloud se fera plutôt dans les usages", déclare Erik Campanini, associé chez BearingPoint. Le cabinet de conseil vient de publier une étude sur le cloud mobile, suite à une enquête auprès d'éditeurs, intégrateurs, opérateurs et autres acteurs de l'écosystème. "Le passage du fixe au mobile et la dimension ergonomique sont fondamentaux", insiste-t-il. Il prend pour exemple les investissements massifs réalisés dans ce domaine par des acteurs majeurs comme SAP avec le rachat de Sybase, ou la publicité pour le cloud réalisée par Apple et Microsoft.
"Nous faisons tous du cloud mobile comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, par exemple en utilisant une messagerie sur un smartphone", remarque Sylvain Chevallier, senior manager chez BearingPoint. Mais un déploiement plus large du cloud mobile se heurte encore à quelques difficultés comme la grande variété des terminaux mobiles et la multiplicité des systèmes d'exploitation, en perpétuelle évolution, et qui s'enrichissent régulièrement de nouveaux entrants. S'y ajoute le fait que le réseau est imparfait par nature : certaines zones ne sont pas couvertes et des problèmes de réception subsisteront dans les zones profondes à l'intérieur des bâtiments ; par ailleurs, l'interopérabilité n'est pas toujours réalisée. Enfin, l'usage nomade implique des contraintes délicates à gérer, comme la lecture d'un écran en plein soleil, l'utilisation en plein air, la station debout, les problèmes d'ergonomie.
Les 5 raisons qui vont faire décoller le cloud mobile
Aujourd'hui, BearingPoint, qui considère que le domaine est mûr, a identifié cinq raisons qui devraient faire fortement progresser le cloud mobile.
Maturité de l'offre
La messagerie mobile existe depuis 10 ans : Blackberry, dont les terminaux ont été subventionnés par les opérateurs, en a été le pionnier grâce à son protocole adapté à l'envoi et à la réception rapide de messages, basé sur un algorithme de compression. Aujourd'hui, les smartphones décollent très fortement. Selon Pascal Ancian, senior VP mobile France et International chez Orange Business Services, "un mobile sur deux vendu en entreprise en France est un smartphone ; il y a 3 ans, alors qu'ils n'étaient destinés qu'aux dirigeants et aux commerciaux, on n'en était qu'à 15 %.". Quant à la progression des tablettes, elle promet d'être rapide.
Ces nouvelles offres changent fondamentalement les métiers des différents acteurs. Les éditeurs conçoivent d'emblée les applications pour l'ensemble des terminaux. Les opérateurs intègrent ces nouveaux usages : Orange propose ainsi des offres en illimité avec un contrat unique pour tablette et smartphone avec deux cartes SIM. Des applications pionnières ont été réalisées par de nouveaux acteurs partenaires. Praxedo, partenaire d'Orange, a développé une application de pilotage d'activité d'une équipe nomade, avec gestion d'interventions en temps réel : les techniciens saisissent sur smartphone les données, qui sont transmises immédiatement à l'entreprise. La gestion de l'emploi du temps optimise les déplacements et fait gagner du temps dans la gestion des interventions, ce qui apporte une plus grande satisfaction aux clients.
Un autre exemple d'application opérationnelle de Praxedo concerne les services à la personne : l'intervenant dispose d'un badge, qu'il expose à un lecteur en technologie sans contact NFC chez la personne qu'il visite lors de son arrivée et de son départ. Ces heures sont transmises à l'entreprise qui emploie l'intervenant, ce qui permet de générer la facturation.
Maturité des besoins
Ces nouvelles technologies sont-elles avant tout des opportunités de croissance pour les opérateurs et les fabricants d'appareils où répondent-elles à des vrais besoins ? Les individus se sont rapidement approprié les smartphones et maintenant les tablettes pour leur usage personnel. La qualité de leur ergonomie surpasse celle des outils dont ils disposent dans leur entreprise, ce qui engendre une vraie demande interne. Ainsi dans le commerce, y compris à l'intérieur des magasins, les vendeurs sont confrontés à des clients qui se servent de terminaux mobiles pour afficher des offres promotionnelles, faire des comparaisons entre chaînes et sites concurrents et poser des questions précises. Erik Campanini cite l'exemple de vendeuses en parfumerie se plaignant de devoir accéder à un poste fixe pour obtenir une réponse aux questions des clientes. "Certaines chaînes de parfumeries ont subi un turnover important de vendeuses à cause de leur frustration devant leur outil de travail.", précise-t-il.
Maturité des acteurs
La variété des acteurs impliqués dans le cloud mobile, selon BearingPoint
La construction d'une offre complète et opérationnelle de cloud mobile implique de nombreux acteurs : pure players, acteurs du cloud, éditeurs, constructeurs et opérateurs. Des mouvements de consolidation ont lieu pour accélérer le développement de l'offre. En 2011, Cisco a racheté Newscale, fournisseur de solutions et de services de gestion et d'administration à la demande pour améliorer le pilotage d'une infrastructure dans le nuage. Des partenariats se nouent, par exemple entre opérateurs et sociétés spécialisées : ces partenariats varient suivant les métiers et les types de sociétés clientes visées. Ainsi SAP et l'opérateur américain Verizon ont-ils signé un accord en 2011 pour faciliter l'accès aux applications depuis des terminaux mobiles.
Maturité technologique
La qualité du réseau a augmenté : sa couverture s'est élargie et son débit a fortement progressé, passant de 384 ko/s pour la 3G à 14,4 Mo/s pour le protocole HSDPA et 42 Mo/s pour le protocole HSPA+. Ces progrès vont faciliter l'utilisation d'applications qui deviennent plus gourmandes en capacité de réseau pour le transfert de données telles que des images et des vidéos.
Plus généralement, la progression des infrastructures et des applications du cloud fixe, dans ses trois volets IaaS, PaaS et SaaS, va favoriser le développement du cloud mobile. Mais celui-ci est confronté à la variété des terminaux reposant sur des systèmes d'exploitation variés et ayant des tailles d'écrans différentes. Des couches intermédiaires sont indispensables pour prendre en compte tous ces aspects : c'est le rôle que jouent les middlewares tels que Sybase chez SAP, Spring ou Syclo. Ce type d'outil permet aux éditeurs de développer une version unique de leurs applications et de les déployer automatiquement pour chaque type de terminal, ce qui leur procure de substantielles économies. La logique de la mutualisation des appareils progresse.
Maturité des usages
Venant de la vie privée, les usages se sont étendus à la sphère professionnelle : 65 % des possesseurs de smartphones l'utilisent dans un cadre professionnel, révèle une étude de Forrester datant de 2010. Et une étude IDC de 2010 montre que 47 % des salariés utilisent leur messagerie à la fois pour leurs besoins privés et professionnels.
Mais l'arrivée des nouvelles technologies n'est pas toujours bien perçue : il existe des cas où les utilisateurs pressentis s'opposent à leur utilisation. Ainsi, les premières tentatives d'installation de terminaux dans les camions pour améliorer la gestion des flottes ont été rejetées par les chauffeurs, qui y voyaient avant tout un outil de surveillance. Mais avec les nouveaux outils mobiles, répandus et appréciés dans la vie privée, la situation a changé : aujourd'hui, les utilisateurs sont demandeurs et les directions métiers poussent à leur adoption.
Le cloud mobile, un marché en croissance
Les différentes conditions sont réunies pour une croissance rapide. Les problèmes techniques résiduels sont en voie de résolution. Des difficultés comme la perte de réseau sont maintenant résolues par la présence sur le terminal d'une instance du middleware. Par exemple, un ascensoriste présent mondialement a équipé ses techniciens de terminaux mobiles. De par leurs lieux de travail à l'intérieur de bâtiments, la connexion est souvent coupée car le réseau ne passe pas. Les techniciens saisissent les informations en mode local puis le terminal les transmet dès que la connexion est rétablie.
Evolution prévisible du marché du cloud mobile
BearingPoint prévoit qu'à l'horizon 2015, le marché du cloud mobile s'élèvera à 3,4 milliards de dollars dans l'Europe des 27. Alors que les applications généralistes, essentiellement les applications de communication, dominent encore le secteur du cloud mobile, les applications métiers progressent régulièrement : de 300 millions d'euros en 2011, ce marché devrait atteindre 600 millions d'euros en 2015. En mettant l'utilisateur au centre du débat, en analysant ses usages, en prenant en compte ses contraintes en amont, il sera possible de développer des applications adaptées. La mobilité démultiplie les usages et favorise le développement du cloud en général.
René Beretz