"Les progiciels de gestion intégrés ou ERP ont connu leur heure de gloire au tournant des années 2000, car il fallait remplacer les chaînes COBOL qui ne passaient pas l'an 2000. Mais ce mythe est en train de disparaître", explique Pierre-Alain Lecointe, directeur général de Unit4 Coda France, éditeur d'un outil de comptabilité et de gestion des achats. Ce phénomène est souligné par Deloitte dans une étude publiée en 2010 ("Best-of-Breed Enterprise Applications", autrement dit, "les progiciels dédiés destinés aux entreprises") : "tout a commencé par des logiciels dédiés. Petit à petit, ils se sont agrégés, puis se sont transformés en progiciels fortement intégrés. Mais le pendule va maintenant dans l'autre sens." Coda France a vécu ce genre de situations avec des clients qui ont été tentés par un progiciel intégré mais qui sont revenus vers sa solution dédiée.

Les éditeurs d'ERP et les solutions innovantes

Il ne s'agit pas de rejeter globalement les ERP et autres progiciels intégrés. Selon Deloitte, "les acheteurs des entreprises essaient de combiner les progiciels intégrés traditionnels pour standardiser de manière stratégique certaines parties de leur activité et la possibilité d'utiliser des progiciels dédiés pour se différencier de manière sélective." De leur côté, confrontés à l'élargissement des besoins de leurs clients, les éditeurs d'ERP enrichissent leurs gammes. Oracle a été l'un des premiers à adopter une stratégie de croissance externe. De son côté, SAP, qui n'a juré pendant longtemps que par la croissance organique, faisant confiance à ses équipes de développement pour faire face à tous les défis, a également adopté, depuis quelques années, une politique active de rachats de solutions externes.

Ces rachats peuvent répondre à des besoins variés. Autant des solutions majeures comme BusinessObjects ont pour vocation d'être intégrées dans l'offre principale de l'éditeur, autant d'autres solutions restent indépendantes : c'est le cas de Business One, solution rachetée par SAP à un éditeur israélien et destinée au marché des PME. Mais une chose est sûre, l'ère des monolithes est révolue. Place aux solutions ouvertes grâce à des plates-formes d'intégration et autres middlewares permettant d'intégrer des briques applicatives de toutes origines, y compris externes : Oracle Fusion ou Infor Ion en sont de bons exemples.

L'intégration des progiciels dédiés s'est beaucoup améliorée

L'un des arguments avancés par les éditeurs de progiciels intégrés est l'intégration native des modules. Confrontés à des éditeurs proposant des progiciels dédiés très élaborés, ils mettent en avant la richesse de leurs solutions et la rapidité de mise en œuvre de nouveaux modules issus de leur gamme au sein d'un socle déjà installé.

Mais dans ce contexte, quel est l'avenir des progiciels dédiés ? Alors qu'il y a 15 ans l'intégration des solutions extérieures était complexe, elle est devenue aujourd'hui beaucoup plus simple. Ainsi, ayant adopté une architecture SOA il y a 4 ans, Coda dispose d'une technologie d'ouverture s'appuyant sur une base de données ouverte. Il reste que l'intégration de progiciels dédiés est plus chère que l'acquisition de modules déjà intégrés provenant d'un éditeur unique. Mais elle apporte plus de flexibilité pour l'avenir, donnant la possibilité de changer très simplement de brique.

Pénétration des progiciels dédiés dans les entreprises selon Gartner

En pratique, les progiciels dédiés occupent une place bien réelle dans de nombreuses entreprises et cohabitent avec les grands ERP. Parmi ses clients, Coda cite Radio France, qui utilise Peoplesoft depuis longtemps et Axa, qui s'appuie sur Coda dans de nombreuses filiales à côté de SAP. Autre exemple, Blanche Porte, filiale des 3 Suisses, a gardé Coda, malgré l'adoption de SAP dans tout le groupe. Veolia, immense groupe de 2 500 sociétés, s'est équipé de SAP pour la majorité de ses applications, mais le module d'achat d'Oracle s'est imposé dans tout le groupe suite à la demande d'une branche.

Souplesse et paramétrage

Un autre argument des détracteurs des progiciels intégrés est leur rigidité supposée. Le paramétrage d'un ERP pour une entreprise tient compte de son organisation au moment du choix. Si l'entreprise évolue, les décisions architecturales et techniques deviennent invalides et il faut donc revoir le paramétrage de la solution, ce qui est extrêmement complexe pour les ERP monolithiques, dont le paramétrage est un projet de grande ampleur. Entre 1994 et 1996, Dell a tenté de paramétrer SAP R/3 alors que son organisation industrielle et commerciale centralisée devenait plus répartie dans le monde. Le fabricant s'est finalement tourné vers un ensemble de solutions dédiées répondant mieux à ses besoins et plus faciles à adapter à ses évolutions, ne gardant que la partie ressources humaines de SAP. Il est vrai que depuis, SAP est devenu plus modulaire.

Les progiciels dédiés sont particulièrement pertinents dans les domaines innovants. Un gros éditeur "historique" ne réagit pas aussi vite aux nouvelles tendances qu'une start-up créée spécifiquement pour répondre à ces nouveaux besoins. C'est le cas par exemple du domaine de la téléphonie mobile, où les opérateurs s'appuient sur des solutions de facturation spécialisées. Ces nouveaux entrants redessinent le paysage des applications à partir d'une page blanche. Des offres novatrices sont nées, comme Salesforce, pionnier du CRM en mode SaaS, ou BusinessObjects en son temps. Mais la contrepartie est l'innovation permanente et l'écoute du marché, ce que confirme Pierre-Alain Lecointe : "si on n'est pas le meilleur en permanence, on meurt."

Pierre-Alain Lecointe souligne une autre caractéristique des progiciels dédiés : "ils sont préparamétrés et nécessitent beaucoup moins d'adaptations et de développements spécifiques que les ERP. Par exemple avec Coda Financials, nous constatons que pour 1 € de licence, le client dépense environ 1 € de paramétrage alors qu'avec un ERP, il dépenserait 5 à 6 €." Cela s'explique par le fait que la comptabilité est un domaine cadré, obéissant à des réglementations précises, laissant donc moins de marge d'interprétation. Et c'est probablement vrai dans d'autres domaines, puisque ces solutions sont explicitement conçues pour répondre à des besoins précis.

René Beretz