L'une des sessions des états généraux d'EuroCloud France, le 21 mars dernier, traitait ce sujet. Elle était animée par Olivier Iteanu, avocat spécialisé dans les nouvelles technologies, et par Stéphane Bouché, président de Secuserve, une société française de service de sécurisation des e-mails (Messaging as a Service). Le Patriot Act, loi américaine votée le 26 octobre 2001 par le congrès à l'unanimité moins une voix, dans la mouvance des attentats du 11 septembre, est effectivement dans tous les esprits aujourd'hui, alors que le cloud connaît un essor considérable et que bon nombre des acteurs de ce domaine sont justement américains.
Que dit cette loi ?
Acronyme signifiant "Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism Act", soit "Loi pour unir et renforcer l'Amérique en fournissant les outils appropriés pour déceler et contrer le terrorisme", le USA Patriot Act permet notamment au FBI de solliciter d'un juge l'autorisation de demander l'accès à "Any tangible things including books, records, papers, documents and other items", soit tout élément tangible, y compris livres, enregistrements, papiers, documents et autres... c'est-à-dire peu ou prou n'importe que support physique dans le cadre d'une enquête relative à des activités de terrorisme international ou des activités d'espionnage. Initialement prévue pour une durée de 4 ans, cette loi a été prolongée plusieurs fois depuis, la dernière en date étant 2011 : ses dispositions s'appliquent donc jusqu'en 2015.
Le périmètre d'application d'une loi, quelle qu'elle soit, se limite aux frontières de l'État qui la promulgue, mais peut également s'appliquer à ses ressortissants. En d'autres termes, tout ressortissant américain, où qu'il se trouve (en Europe, par exemple), tombe sous le coup du Patriot Act. Il en va de même des filiales de sociétés américaines basées en Europe, sauf, en principe, si elles relèvent du droit européen.
En outre, le Patriot Act demande explicitement que l'ordonnance rendue par le juge en réponse à une requête dans le cadre d'une enquête ne soit pas divulguée : "No person shall disclose to any other person (other than those persons necessary to produce the tangible things under this section) that the Federal Bureau of Investigation has sought or obtained tangible things under this section", soit "Personne ne doit divulguer à un tiers (autres que ceux nécessaires à la production des éléments tangibles mentionnés dans cette section) que le FBI est à la recherche ou a obtenu des éléments tangibles". Ainsi, il est obligatoire que personne ne sache qu'une enquête est en cours et l'identité même de la personne morale ou physique qui est l'objet de l'enquête reste inconnue. Autrement dit, personne ne sait jamais rien de ce qui se passe, pas même l'intéressé.
Elle peut aller très loin
Stéphane Bouché cite en exemple cet hébergeur suisse chez qui le FBI est venu saisir des serveurs sur le territoire helvétique (il ne précise pas en vertu de quels accords les fonctionnaires américains ont pu agir de la sorte hors de leur territoire). Hébergeant des données d'une société américaine basée en Suisse, les serveurs sont restés indisponibles pendant 11 jours. Seul petit problème : les machines en question étaient mutualisées et contenaient aussi des données de sociétés n'ayant aucun rapport ni avec l'enquête, ni avec la société visée, ni avec les États-Unis d'Amérique...
On peut, dans ces conditions, légitimement se demander ce que les informations récoltées sur ces serveurs sont devenues et si elles ont été exploitées, notamment à des fins commerciales. Qui plus est, le Patriot Act est en conflit direct avec les principes qui prévalent dans l'Union Européenne, avec la charte des droits fondamentaux de l’UE et avec nos lois, comme la directive européenne de 1995 sur la protection des données à caractère personnel. Il est aussi en conflit avec le Safe Harbor, ensemble de principes de protection des données personnelles, publiés par le département du commerce américain et auxquels des entreprises établies aux États-Unis adhèrent afin de pouvoir recevoir des données en provenance de l’Union européenne. Des prestataires aussi importants que Microsoft, Salesforce, Amazon ou encore Google ont signé le Safe Harbor et sont à jour de leur certification. Malgré cela, ils peuvent à tout moment et sans que personne ne puisse rien en savoir, faire l'objet d'une requête de la part d'un juge dans le cadre du Patriot Act.
Comment se prémunir contre ce genre de déconvenues ? La plus élémentaire des sagesses nous dicte de nous renseigner pour savoir où sont hébergées nos données et du droit de quel pays relève l'hébergeur. Le cas de figure le moins exposé au Patriot Act demeure celui d'un hébergeur européen hébergeant les données sur le territoire européen et relevant du droit national d'un pays membre ainsi que du droit européen. Et même dans ces conditions, il ne peut y avoir de certitude, comme l'illustre l'exemple ci-dessus, cité par Stéphane Bouché, car comment être sûr que l'on ne fait pas l'objet d'une enquête alors que l'ensemble des investigations se doit justement de rester secret ?
"Le Patriot Act est en place et sans doute en action", commente Olivier Iteanu, qui précise que "des lois basées sur le même modèle se multiplient, comme par exemple le traité Acta". Accord commercial anti-contrefaçon très controversé, ce dernier a été signé fin janvier par l’Union Européenne et 22 de ses membres dont la France ; il est à l'heure actuelle devant le parlement européen. Cherchant à harmoniser les outils juridiques de lutte contre la contrefaçon et notamment le téléchargement illégal, il inquiète les défenseurs des libertés sur Internet. Il semblerait que ce genre d'initiatives soit dans l'air du temps, même si d'un autre côté des organismes comme la FTC (Federal Trade Commission) se penchent sur la protection de la vie privée et la protection des consommateurs. Le Patriot Act permet d'agir dans l'ombre et d'avancer masqué au nom d'un intérêt bien supérieur : la protection des États-Unis d'Amérique contre le terrorisme.
Benoît Herr