Après une rapide introduction en forme de bilan par Pierre-José Billotte, président de l'association, Bernard Ourghanlian, mathématicien de formation, a annoncé vouloir prendre de la hauteur et s'élever au-dessus des nuages en évoquant les contributions du britannique Alan Turing au monde du numérique tel qu’il s’est construit pendant les 80 dernières années et comment elles préfigurent le monde de demain. Au travers d'un discours très pointu et précis, d'une grande fluidité et d'une grande éloquence, il a conquis toute l'assemblée.
Un génie persécuté
Le 23 juin dernier était le 100ème anniversaire de la naissance d'Alan Mathison Turing qui, avec l'américain Claude Shannon et le hongrois John Von Neumann, est considéré comme l'un des trois pères fondateurs de l'informatique, puisqu'il est à l'origine des calculateurs ayant donné naissance aux ordinateurs. Mais Alan Turing n'est plus de ce monde : il est décédé en 1954, se suicidant en mangeant une pomme empoisonnée au cyanure, bien qu'un doute ait toujours été entretenu quant à la réalité de ce suicide.
S'il est surtout connu pour avoir contribué, au cours de la seconde guerre mondiale avec le chiffre anglais, à percer les secrets de la machine allemande Enigma, on lui doit par ailleurs la célèbre "machine de Turing" (1936) ainsi que le "test de Turing".
La vie d'Alan Turing n'a pas été facile : persécuté pour son homosexualité, accusé et inculpé d'indécence et de perversion, il a choisi la castration chimique volontaire pour échapper à la prison. Ce n'est qu'en 2009 que le premier ministre britannique de l'époque, Gordon Brown, lui a présenté les excuses officielles de l'état britannique.
Le test de Turing
L'objectif de ce test est assez simple : il cherche à déterminer si une machine est capable de remplacer l'homme. Pour cela, un humain est placé en face d'un ordinateur et s'entretient en aveugle avec deux personnages, l'un étant tenu par un humain, l'autre par un ordinateur. Si le testeur se révèle incapable de déterminer lequel de ces deux personnages est incarné par la machine, c'est que celle-ci est capable de remplacer l'homme.
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Alan Turing avait estimé qu'en l'an 2000, à une époque où les ordinateurs seraient dotés de 128 Mo de mémoire, les machines seraient en mesure de tromper quelque 30 % des humains. Mais à ce jour, aucun ordinateur n'a encore réussi le test de Turing !
"Ce test a un intérêt épistémologique majeur", estime Bernard Ourghanlian, qui souligne "qu'il existe néanmoins aujourd'hui des agents conversationnels capables de mystifier l'humain, au moins temporairement". Et de citer l'exemple des agents d'intelligence artificielle SmartAction, utilisés en télémarketing, ou de certains agents intelligents permettant de réaliser des tâches sans que l'on ait besoin de s'en préoccuper. "Mais ces agents se focalisent sur un besoin métier, comme la génération d'une conversation téléphonique dans le cas de SmartAction". Il n'y a pas pour l'heure d'agents à l'utilisation plus large. Bernard Ourghanlian tente cependant de se projeter dans le futur et indique que d'ici peu n'importe quel smartphone pourrait servir d'agent conversationnel.
La machine de Turing
Elle pose un lien étroit entre mathématiques et informatique. Il s'agit d'une modélisation du fonctionnement des machines permettant de résoudre les problèmes d'algorithmie et de calculabilité. Turing estimait que sa machine était à même de résoudre n'importe quel problème d'algorithmie.
Certaines conjectures informatiques ont en tout état de cause été formalisées avec un ordinateur. Et Bernard Ourghanlian de citer le théorème des quatre couleurs, selon lequel quatre couleurs suffisent pour réaliser une carte de géographie sans que deux pays limitrophes sur la carte ne soient de la même couleur. De prime abord simple, la démonstration de ce théorème est en réalité très complexe ; elle a été réalisée avec un ordinateur.
"Il s'agit là d'un nouveau domaine", explique Bernard Ourghanlian avant de reboucler sur la réalité actuelle : "Les drivers de Microsoft ou l'hyperviseur Hyper-V ont été prouvés formellement par ordinateur. Il en va de même – entre autres – des programmes de vol des Airbus par exemple". Ainsi les recherches d'Alan Turing se traduisent-elles très concrètement dans notre quotidien.
Benoît Herr