Tout domaine professionnel a son vocabulaire, pour ne pas dire son jargon. Destiné à la communication entre professionnels, il est le plus souvent incompréhensible en dehors du milieu considéré. C'est bien évidemment le cas de l'informatique, ou plutôt des informatiques. L'informatique de gestion, que nous couvrons sur ce site et dans nos lettres, utilise une langue influencée par divers facteurs. Le plus important d'entre eux est probablement l'anglais, langue de référence des acteurs les plus importants du domaine. Une conséquence indirecte est celle de la traduction : les choix de terminologie et sa qualité ont un impact important sur la langue utilisée en aval par les autres acteurs. Enfin, plus généralement, se pose la question de la maîtrise du français par les divers protagonistes : communicants, dirigeants d'entreprises, commerciaux, ingénieurs, techniciens, journalistes...
L'anglais, le français ou le franglais ?
Écrire en français dans la presse française devient une gageure : dans le milieu informatique, de nombreux termes ne sont même plus traduits. Oui bien sûr, ce site s'appelle ERP-infos, et non pas PGI-infos, ce qui serait tellement plus "français". Quant au CRM, il pourrait être avantageusement remplacé par la GRC, c'est-à-dire la Gestion de la Relation Client. Mais une ambiguïté apparaît puisque dans la terminologie anglo-saxonne, GRC signifie "Governance, Risk management, and Compliance", c'est-à-dire gouvernance, gestion du risque et conformité...
On pourrait aussi parler plus souvent de décisionnel que de BI (Business Intelligence) ? Quant au terme "cloud computing", on pourrait le remplacer par l'informatique dans les nuages : ce serait tellement plus poétique. Mais il ne s'agit pas de rester immobile : la langue s'adapte à l'évolution de la technologie. C'est ainsi que de nouveaux mots français ont été créés pour prendre en compte les nouvelles notions. Le problème est qu'ils sont plus ou moins réussis et donc plus ou moins utilisés. Mais il en existe tout de même de très bons comme "logiciel", "matériel" et "progiciel". Alors que le terme "informatique" est tout à fait approprié, pourquoi ne parle-t-on plus que de directeurs ou de services IT ?
Il y a aussi des mots français qui changent de sens parce qu'on utilise les mots anglais à leur place : pourquoi utiliser le mot agenda lorsqu'il s'agit d'ordre du jour ou de programme : un agenda est un carnet avec les jours du calendrier ; il y a même des agendas électroniques... Et "library" veut dire bibliothèque et non pas librairie.
Plus subtile mais aussi inquiétante est la méconnaissance par de nombreux acteurs de la communication des règles de ponctuation du français : elles diffèrent de celles de l'anglais et de nombreuses erreurs parsèment les traductions jusque dans des textes écrits directement en français. Les différences les plus importantes résident dans le nombre et la place des espaces entre les signes et les mots.
Autre conséquence de l'influence de l'anglais dans la communication informatique : l'omniprésence des majuscules. Dans les titres d'articles anglo-saxons, quasiment tous les mots sont écrits avec une majuscule initiale. Mais ce n'est pas la règle en français. Le problème est que des traductions hâtives ont transposé cette habitude dans la communication en français : on retrouve donc des titres d'articles ou des intitulés de postes dont tous les mots débutent par une majuscule.
La langue et les concepts
La question de la langue est intrinsèquement liée à celle de concepts. De nouveaux concepts apparaissent régulièrement, souvent à l'initiative des grands cabinets d'analystes. Nous avons déjà évoqué le "cloud computing", que l'on décompose souvent en IaaS, PaaS et SaaS. Mais leur définition exacte est la source de nombreuses discussions voire de polémiques ou d'incompréhensions.
Parmi les "petits" derniers, il faut évoquer le "big data" : c'est un cas d'école car, derrière cette dénomination simpliste, se cache un sujet complexe. La diversité des interprétations de ce domaine montre bien que leurs inventeurs n'en avaient sûrement par une définition claire : s'agit-il seulement de volume de données ou d'une problématique bien plus large ? Mais à partir du moment où ce genre d'expression apparaît, tout le monde s'en empare, non seulement les médias, mais aussi de nombreuses entreprises, même les moins concernées. Dans ce cas, l'expression devient un vernis qui cache l'absence de prise en compte du concept.
Et que dire de "l'open source", de "free software" et de logiciels libres, dont les différences, parfois subtiles, suscitent de nombreux débats ?
La responsabilité des journalistes
Dans le monde commercial, les médias et les journalistes reçoivent de nombreuses informations de la part des entreprises sous forme de communiqués et dossiers de presse et consultent des plaquettes, brochures, pages de sites Web... Chaque société a son propre vocabulaire. Il est certes toujours intéressant de mettre en avant l'originalité d'une offre, mais sans vocabulaire commun, il est impossible de comparer les offres entre elles. Certains acteurs vont jusqu'à inventer un domaine, défini bien sûr par un acronyme, un sigle ou une abréviation* anglais, dont ils sont les "leaders" … puisqu'ils sont les seuls.
Plus généralement, quelle relation pouvons-nous entretenir avec les éditeurs et SSII pour recueillir des informations pertinentes tout en gardant une certaine distance. Notre rôle ne consiste pas à relayer la communication d'entreprise jusque dans ses tics. Il nous faut un minimum de recul pour analyser ce type d'informations, les remettre dans un contexte plus large, les comparer avec l'état général du marché.
Reste la question de la publicité : indispensable au financement des médias, elle ne date pas d'hier : c'est en 1956 qu'Hubert Beuve-Méry, le fondateur du Monde déclarait : "Par bonheur il y a la publicité, l'indispensable, la bienfaisante publicité…". Certes, nous sommes en train de passer du papier au numérique mais les conflits potentiels existent toujours, d'autant plus que les formes de publicité se modifient à grande vitesse. Il est donc indispensable de conserver une distance entre les annonces commerciales et la partie rédactionnelle, c'est-à-dire les articles signés par les journalistes.
C'est donc bien naturellement qu'à la fin de cet article je signe :
René Beretz
* Connaissez-vous la différence entre acronyme, sigle et abréviation ? Non ? Plus d'infos ici.