Le monde de la supply chain compte de nombreuses solutions spécialisées traitant des divers volets du domaine. Mais les ERP ne sont pas en reste : beaucoup proposent un socle qui intègre les fonctions de base de la supply chain, mais ils s'interfacent souvent avec des solutions complémentaires pour des fonctions spécialisées, par exemple l'APS (Advanced Planning System). Quels bénéfices apportent les différentes stratégies dans un contexte où l'agilité devient le maître mot ? Lors de conférences et tables rondes qui ont eu lieu à l'occasion du récent salon Supply Chain Event, des analystes, éditeurs et cabinets de conseil ont confronté leurs points de vue.
La Supply Chain, de plus en plus intégrée dans les processus de l'entreprise
Les analystes de PwC (PricewaterhouseCoopers) ont mené une enquête auprès de 500 multinationales sur l'utilisation des ERP pour la supply chain, en respectant une répartition internationale équilibrée, une représentation de tous les secteurs, avec des profils et des tailles d'entreprise variés. Le premier point mis en avant par les directions logistiques interrogées est un fort besoin de rationalisation et de simplification de l'organisation. Elles veulent optimiser la supply chain étendue, non seulement pour des raisons de coûts mais aussi comme facteur de différenciation : il s'agit d'ajouter de la valeur aux produits et aux services, objectif plus complexe qu'une simple réduction des dépenses. Le deuxième besoin exprimé est la personnalisation de la réponse aux clients et le troisième est la flexibilité, c'est-à-dire la possibilité d'absorber la croissance ou la réduction du volume.
Les directions générales interrogées en parallèle attendent de leurs directions logistiques une différenciation sur le marché, avec une innovation sur le type de services qu'on peut rendre aux clients. Autre point important : la supply chain n'est plus un bastion isolé : il faut l'intégrer dans les processus de l'entreprise.
Quasiment présents dans tous les grands groupes internationaux, les ERP gèrent avant tout les fonctions de support, comme les finances et la comptabilité. Ils ont été déployés plus récemment pour couvrir d'autres fonctions : recherche et développement, supply chain, production. Les architectures qui rendent les meilleurs services sont les architectures hybrides, combinant un ERP et des solutions dédiées.
Apports et limites des ERP dans la supply chain
Les résultats de l'enquête PwC mettent en avant les points forts et les freins à l'adoption des ERP dans la gestion de la supply chain. Les ERP présentent un certain nombre d'avantages : des référentiels très larges, l'intégration multifonctionnelle et une interface utilisateur unique. Ils fournissent une performance et une profondeur fonctionnelles équivalentes aux logiciels "best-of-breed", à tel point qu'aucun écart significatif n'est perçu par les utilisateurs, les différences réelles étant seulement perçues par les experts. Et la couverture des solutions est mondiale.
Leurs limites des ERP concernent les coûts, la durée des projets et les difficultés de mise en œuvre. Une entreprise qui désire obtenir une couverture multifonctionnelle au travers d'un projet unique ("big bang" complet) se heurte à un projet d'une complexité telle qu'il est difficile à absorber par l'organisation. En particulier, le retour sur investissement est difficile à justifier. Même une extension de périmètre d'un ERP soulève de réels problèmes de reprise de l'existant : la nature d'un progiciel totalement intégré fait que la complexité des fonctions existantes interfère avec la mise en place des nouvelles fonctions. On aboutit à à des compromis fonctionnels qui ne satisfont pas les utilisateurs, amenés à créer des solutions annexes, à l'extérieur de l'ERP, par exemple dans un tableur : l'ERP ne sert plus qu'à enregistrer le résultat des simulations. Et bien sûr, ces développements échappent à la DSI. On aboutit donc à un manque de couverture fonctionnelle.
Ces problèmes sont liés à la genèse des projets ERP, généralement initiés par les DSI. Les métiers ont besoin de fonctions à valeur ajoutée que la DSI ne comprend souvent pas. Il est donc essentiel que le projet ERP associe les opérationnels dès le départ ; sinon les utilisateurs n'accepteront pas la solution et toute la dépense du projet aura été inutile. Autre problème induit par les ERP : la vitesse d'exécution imposée par l'ERP est trop lente pour certaines activités critiques. Une solution découplée, spécifique à la supply chain, devient donc nécessaire pour fournir la vitesse requise.
Les entreprises déploient souvent trop vite des systèmes complexes. En pratique, les projets qui réussissent sont ceux qui se concentrent en premier sur les processus métiers : en effet, il est indispensable de mettre à plat et de retravailler les processus métiers avant d'envisager tout déploiement de solution. Un temps de respiration initial est nécessaire avant de parler de système d'information, qui ne sert qu'à appuyer l'organisation.
L'agilité de la supply chain dans un monde centré sur le client
L'expérience des éditeurs de solutions dédiées et des cabinets de conseil spécialisés fait remonter un souci récurrent d'agilité des supply chain, renforcé par l'incertitude économique actuelle et par la transformation des modèles commerciaux. Encore faut-il se rendre compte que le monde change. "Les sociétés nous contactent trop tard", regrette Laurent Pénard, du cabinet Citwell, spécialisé en supply chain : "elles le font quand elles ont déjà perdu des parts de marché." En effet, elles ne disposent pas d'outil d'aide à la décision et, plus grave, leurs dirigeants ne savent pas dans quelle direction aller.
Ce qui a beaucoup changé, c'est que la supply chain transporte maintenant le produit jusqu'au client final, qui intervient dans ses relations avec le fournisseur par une multitude de canaux. "La supply chain accélère le flux en baissant les coûts", constate Joseph Felfeli, PDG d'Acteos. La vision de l'entreprise est globale. Le monde s'est complexifié, comme le note René Desvignes, d'Ortems : dans les années 2000, on pouvait se fier aux prévisions, mais aujourd'hui, c'est le marché qui décide, dans toute sa volatilité.
Pour qu'une supply chain devienne agile, il faut la volonté de la direction et des partenaires de l'entreprise. "L'ERP fournit une aide à la décision mais ne permet pas la réactivité instantanée", note Ariel Weil, directeur général de Dynasys. La planification doit intervenir beaucoup plus souvent qu'auparavant : une planification annuelle ne suffit plus, constate Gilles Alais, de Barloweb : "il faut planifier chaque semaine, voire chaque jour. Les démarches stratégique, tactique et opérationnelle se combinent."
Les conditions d'une supply chain agile
"Pour être agile à tous les niveaux, toutes les solutions utilisées par la supply chain doivent être intégrées", affirme Ariel Weil : "un seul clic dans un outil unique doit avoir un effet aussi bien pour la fabrication que pour la distribution en magasin." Il faut pouvoir intervenir à tout moment dans un environnement qui s'est beaucoup transformé. "Les consommateurs mettent en échec les meilleures prévisions", constate Henri Seroux, de Manhattan Associates, "pour nous y adapter, nous avons un outil de supply chain qui combine les stocks d'un ensemble de magasins pour mieux assurer les ventes de chacun."
Le type de solutions utilisées par les entreprises joue un rôle majeur dans leurs capacités de réaction aux fluctuations du marché. Confronté à des sociétés qui perdent parfois jusqu'à 30 % de parts de marché, le cabinet Citwell constate que celles qui s'appuient avant tout sur des ERP et un APS peuvent gérer des variations de la demande de l'ordre de 10 à 20 % tandis que celles qui ont des solutions plus adaptées peuvent gérer des variations de l'ordre de 20 à 30 %. "Pour réaliser un bon diagnostic, il faut des outils sophistiqués de simulation qui prennent en compte les nouvelles conditions", insiste Laurent Pénard, "ce qui permet par exemple de redéployer une organisation vers l'Asie ou l'Amérique du Sud" Un autre élément qui freine la prise de conscience de la nécessité d'une supply chain agile est la "cacophonie existant dans le comité de direction de l'entreprise : alors que la DAF fait évoluer son budget, le directeur logistique n'est pas écouté et le directeur de la production soutient les usines françaises tandis que la demande locale a diminué de 20 %. Un leadership doit s'affirmer pour prendre la situation en main et décider."
Autre facteur favorisant l'agilité, le mode SaaS. C'est une vraie avancée, affirme Ariel Weil, "car une solution peut être mise à disposition en une journée." Mais il ne faut pas oublier la gestion du changement, "démarche essentielle préalable à toute question de déploiement", insiste Joseph Felfeli.
René Beretz