Le temps des gros ERP généralistes censés répondre à tous les besoins d'une entreprise est révolu. Développer des modules spécifiques pour répondre à des besoins particuliers peut se concevoir pour des grands comptes mais n'est pas acceptable pour des entreprises du mid-market aux ressources limitées, qui attendent des solutions concrètes et souhaitent des déploiements plus rapides. Pour Patrick Rahali, analyste senior au CXP, la verticalisation des ERP comprend plusieurs volets :
- un préparamétrage ou une préconfiguration du progiciel ;
- l'ajout de modules ou de fonctions spécifiques ;
- l'implication de consultants connaissant le métier de l'entreprise ;
- une méthodologie de mise en œuvre adaptée.
Pour répondre aux besoins communs des entreprises d'un même secteur d'activité, des ERP verticalisés ont vu le jour à partir d'ERP généralistes : des modules dédiés complètent les fonctions transverses et s'intègrent au socle commun. Plusieurs stratégies sont possibles pour le développement de ces modules verticaux. Un éditeur peut avoir développé une solution spécifique pour un client du domaine concerné, le plus souvent avec sa collaboration. Puis il la transforme pour la rendre facilement adaptable aux autres entreprises du domaine, grâce à des mécanismes de paramétrage. Dans d'autres cas, c'est un intégrateur qui a développé la première mouture d'une solution spécifique pour l'un de ses clients, en s'appuyant sur un ERP qu'il distribue. Après l'avoir fait certifier par l'éditeur, il peut en garder la maîtrise, la maintenir et la faire évoluer. Mais souvent, c'est l'éditeur qui prend alors le relais, industrialise la solution et l'intègre totalement dans son offre comme solution optionnelle.
Lors de la table ronde, des utilisateurs d'ERP ont donné leur point de vue en compagnie d'éditeurs et d'intégrateurs.
Des ERP conçus pour des besoins variés
Dans un métier aussi spécialisé que l'édition, les solutions spécifiques restent rares. Lorsque le groupe Bayard s'est posé la question de renouveler son SI après l'acquisition de Milan Presse, il n'existait pas sur le marché de solution adaptée. Le choix s'est porté sur Qualiac car cet ERP conçu pour le mid-market correspondait bien à la structure et aux moyens de Bayard. "Mais l'essentiel a été l'engagement de l'éditeur de développer, en collaboration avec nous, toutes les fonctions spécifiques aux métiers de la presse et de l'édition (gestion des droits d'auteurs, piges, dossiers de fabrication...) puis de les maintenir et de les faire évoluer dans l'offre standard de l'éditeur", explique Frédéric Caracatsanis, responsable du SI de Milan Presse dans le groupe Bayard.
Caillau, fabricant de colliers de serrage pour l'automobile et l'aéronautique, était déjà équipé de l'ERP IFS. La société voulait s'implanter au Brésil mais, ne disposant pas de ressources en interne, elle s'est appuyée, comme pour son premier ERP, sur Infor Business Services, intégrateur indépendant – malgré son nom – de tout éditeur. Les différentes contraintes (métier, rapidité des transactions, gestion des stocks, gestion de la qualité, internationalisation poussée) ont fait pencher le choix vers SAP Business One.
Cimenterie Lafarge à Martres-Tolosane
Lafarge, groupe mondial de matériaux de construction, a une organisation très décentralisée. Utilisant JD Edwards d'Oracle depuis de nombreuses années, l'entreprise désirait rationaliser et professionnaliser les activités transactionnelles qui demandaient trop de temps aux opérateurs. Des processus standards communs à toutes les entités du groupe ont été définis et des centres de service partagés ont été créés. Le préparamétrage de l'ERP a abouti à une version de JD Edwards totalement configurée pour Lafarge en vue du déploiement dans ses diverses filiales.
Des méthodologies simplifiées et bien définies
L'un des intérêts essentiels des ERP verticalisés est de s'adosser à des méthodologies simples et bien cadrées, permettant des déploiements rapides. Pour Philippe Bernard, expert produit chez SAP, "l'utilisation d'une méthode simplifiée par rapport à celle qui est utilisée pour les grands comptes répond bien aux enjeux des entreprises du mid-market. Mais le client doit accepter de changer ses processus car il va y gagner sur le long terme, même s'il croit perdre au début."
De même, Oracle emploie une approche préconfigurée pour un certain nombre de métiers industriels sous l'appellation d'Oracle Accelerator : "Les processus du métier sont configurés à 80 % et un déploiement donné procède par écarts pour gérer les 20 % restants : il s'appuie sur une méthode, des outils, des partenaires spécialisés et certifiés", explique Didier Faure, responsable avant-vente JD Edwards, chez Oracle.
Dans un contexte où de nouveaux déploiements doivent être effectués dans divers pays, la méthodologie employée est au cœur de la démarche. Lafarge a mis sur pied une équipe expérimentée, dépendant du groupe, qui se charge des nouveaux déploiements dans chaque pays. "Cela évite de former une équipe locale qui n'aurait à le faire qu'une seule fois dans sa vie, indique Laurent Salembier, responsable des processus de gestion chez Lafarge. Des méthodologies de déploiement adaptées varient selon les types de pays, les pays mûrs se distinguant des pays émergents qui ont des structures plus petites."
Magazines pour jeunes édités par Milan Presse
La gestion du changement est la plus grosse difficulté car elle implique des changements de processus et de méthodes de travail à très large échelle. Pour gérer cet aspect critique, une forte volonté du management à conduire le changement est essentielle. Chez Lafarge, un comité d'alignement dépendant du groupe garantit la discipline et la gouvernance : il regroupe toutes les fonctions (achats, ventes, marketing, finances...) et valide les déploiements pour chaque pays, force l'alignement des processus et la configuration de l'outil. Mais les méthodes contraignantes ne fonctionnent pas dans tous les contextes : "chez Bayard, l'ERP était une nouveauté et mettre Qualiac entre les mains des auteurs était compliqué, déclare Frédéric Caracatsanis. Nous avons utilisé une méthode douce pour pousser les journalistes à utiliser l'ERP en les accompagnant."
L'un des acteurs clefs de cette gestion du changement et de l'application des méthodes est le partenaire ou intégrateur. "L'ERP ne fait pas tout, prévient Didier Faure. Des partenaires sont nécessaires pour compléter la solution et la simplifier." Mais pour Patrick Rahali, "il faut vérifier en amont l'approche de l'intégrateur et sa bonne compréhension de la culture de l'entreprise." Cela garantit qu'il pourra paramétrer, en connaissance de cause, la solution verticalisée selon les particularités de l'entreprise.
Des résultats mesurables... ou pas
Le retour sur investissement d'ERP verticalisés comporte des éléments immédiats et des éléments différés. Ainsi Bayard a gagné d'emblée 10 à 20 % en termes de coûts de solution. Mais d'autres améliorations, moins chiffrables, concernent la qualité des engagements de dépenses et de la gestion des droits d'auteur : tous les processus métiers ont été intégrés, ce qui représente un très gros progrès. "Mais dans ces domaines, le ROI sera obtenu sur le long terme, soit plus de 3 ans, souligne Frédéric Caracatsanis. La 'progicialisation' est essentielle : deux montées de versions majeures de Qualiac ont eu lieu depuis le déploiement et n'ont entraîné que peu de frais.".
Des constatations similaires ont été faites chez Caillau, qui, lors de la mise en place du premier ERP, a divisé par deux le nombre de personnes affectées à la logistique tout en augmentant les volumes traités de 30 % en moins d'un an. "Par contre, le reste de l'impact s'obtient sur le long terme, soit une dizaine d'années, avertit Pierre-André Fernandez, président du directoire des établissements Caillau. La qualité s'améliore, ce qui fait gagner de l'argent. Les processus s'améliorent et le personnel devient plus rigoureux dans sa démarche."
Chez Lafarge, les déploiements structurés de l'ERP préconfiguré ont abouti à une réduction des coûts et des délais de mise en œuvre : "les projets ERP durent maintenant moins de 9 mois alors qu'il fallait de 18 mois à 2 ans auparavant. L'expérience a été capitalisée et les coûts de déploiement ont diminué d'un facteur 5 au minimum", constate Laurent Salembier. Les résultats concrets diffèrent selon les pays. Dans les pays émergents, comme l'Algérie ou le Nigeria, un ERP vertical aide à sécuriser le cash dans un environnement peu sûr : le bénéfice est immédiat. Dans les autres pays, où le ROI est plus lent, l'amélioration concerne les bonnes pratiques et la qualité.
René Beretz