Migration vers le SaaS : le cas de Jenny Craig
Filiale du groupe Nestlé, Jenny Craig est une société qui aide à la perte de poids grâce à un suivi personnalisé par des diététiciennes. Avec un effectif de 90 personnes, elle est implantée à La Baule et dans 17 centres locaux. Utilisant l'ERP Proginov en mode client/serveur depuis 13 ans, elle était confrontée à plusieurs enjeux : elle voulait, d'une part, donner un accès en extranet à ses clients et, d'autre part, mieux gérer la saisonnalité de ses pointes d'activité se produisant avant l'été et en septembre, en évitant l'achat de nouvelles licences uniquement pour ces courtes périodes. Elle voulait aussi connecter la téléphonie à l'ERP et disposer d'un système intégré qui supprime le besoin de se déplacer dans les 17 centres.
La société a donc examiné la possibilité de passer en mode SaaS, en transférant applications et données sur les serveurs de Proginov. Un état des lieux de tous les domaines de l'entreprise l'a amenée à se poser des questions sur les pistes envisagées. Pouvait-on externaliser une partie des applications ? Y avait-il un risque de perdre la main ? Quelles étaient les garanties de sécurité ? Le groupe Nestlé a validé cet aspect avec Proginov.
Le projet a duré environ un an, impliquant de nombreux tests réels en double, y compris pour les temps de réponse. "Pour des raisons de sécurité, nous avons décidé de ne pas changer de version de progiciel dans la migration, se justifie Ludovic Moine, responsable informatique de Jenny Craig. Mais nous avons ajouté de nouvelles fonctions comme l'interconnexion de la téléphonie et de l'ERP, qui facilite des tâches routinières : lorsqu'un client appelle, sa fiche s'affiche automatiquement à l'écran ; de même lorsqu'on affiche la fiche d'un client, on peut l'appeler automatiquement." Cette intégration a évité à Jenny Craig d'acheter des serveurs supplémentaires. L'application s'est également enrichie d'un extranet auquel peuvent se connecter les clients pour le contrôle de leur poids et les prises de rendez-vous, avec des fonctions de "chat" et une boutique en ligne.
L'équipe a installé sur chaque poste de travail une nouvelle icône destinée à la connexion avec le nouvel environnement. Quatre jours avaient été dégagés pour la procédure de migration, comprenant une marge de sécurité d'une journée, impliquant un arrêt total de l'accès aux applications. En pratique, la sauvegarde des bases de travail était terminée le vendredi soir et le basculement sur les serveurs de Proginov achevé dès le samedi matin. Les interrogations sur les temps de réponse ont été très vite levées, confirmant les tests préalables : "nous aurions pu reprendre les activités dès le samedi matin, mais nous avons respecté notre programme et tout le monde a redémarré le lundi matin avec la nouvelle version sans aucun problème, " se félicite Ludovic Moine. La société a conservé les serveurs en interne avec le progiciel d'origine pendant un an, au cas où un retour au mode on-premise aurait été nécessaire, mais cela ne s'est pas produit.
Migrer vers le mode SaaS, un vrai projet
"Une migration est un projet informatique en tant que tel, confirme Sylvain Lacoste, "Business Development Manager SaaS & Partners" (sic) de Cegid. Un projet en mode SaaS ne dure pas plus longtemps qu'un projet classique et ne comporte pas plus de risques qu'un projet traditionnel."
Outre le basculement total de l'ERP vers le mode SaaS illustré par le cas de Jenny Craig, d'autres formules de passage vers le SaaS sont possibles, en particulier une démarche progressive. Pour Pierre Alain Lecointe, directeur général, de UNIT4 CODA France, "on peut en même temps changer de logiciel et passer en mode SaaS. Il faut déterminer quelles applications on veut migrer en SaaS et à quel rythme, tout en conservant certaines applications sur les serveurs de l'entreprise."
Les entreprises recourent à des applications en mode SaaS lorsqu'elles ont besoin de fonctions nouvelles que leur ERP traditionnel, installé en interne, ne fournit pas. C'est ainsi qu'Hubert Nolais, responsable consulting chez Alticap, présente l'intérêt de Business by Design de SAP. Celui-ci insiste sur la disponibilité de la plate-forme et la richesse des outils mis à disposition des équipes : formation par e-learning, environnement de tests, trace complète des processus de conversion depuis la conversion initiale des données jusqu'au basculement vers l'environnement de production.
Progiciels standards et développements spécifiques en SaaS
La richesse des solutions proposées en mode SaaS fait débat. Philippe Plantive, directeur général de Proginov, revendique la maturité et la profondeur fonctionnelle de ses solutions. "Mais certains acteurs ERP du cloud ont provoqué des déceptions", regrette-t-il. Pour sa part, Hubert Nolais positionne également Business By Design comme un ERP complet : "il ne remplace pas ECC. Il a un autre positionnement. Avec 4 mises à jour par an, il s'enrichit régulièrement. Mais une mise à jour est un non événement pour le client s'il ne veut pas utiliser les nouvelles fonctions."
Que deviennent les développements spécifiques autour des ERP dans le contexte du SaaS, dans lequel tout le monde utilise la même version du progiciel ? "On peut paramétrer certaines fonctions mais pas toutes car cela deviendrait trop lourd. Certaines fonctions spécifiques méritent d'être intégrées dans l'outil standard dans une version ultérieure.", déclare Philippe Plantive. Mais le client a le choix entre plusieurs environnements : il y en a jusqu'à 6 chez Proginov. Du côté de Business By Design, des outils permettent de développer des modules spécifiques. "Pour chaque nouvelle version, les spécifiques sont testés. En outre, le SAP Store contient des applications validées fonctionnant avec Business By Design", précise Hubert Nolais. Les applications SaaS de Cegid sont, elles aussi, multi-locataires ("multi-tenant") : chaque version est utilisée par de nombreux clients. L'accès à des modules spécifiques est facilité par la présence d'API qui constituent des ouvertures vers d'autres outils. "Il faut choisir entre la haute couture et le prêt-à-porter, explique Sylvain Lacoste. Ce n'est pas qu'un problème de budget : l'adoption d'une solution standard est un gage de pérennité. On peut intégrer des nouvelles fonctions dans la solution standard mais dans des limites raisonnables."
"L'interopérabilité entre les différentes solutions SaaS est indispensable", insiste Antoine Lebreton, responsable des ventes chez Mismo Informatique. Mais elle reste encore hypothétique. "Dans quelques années peut-être, des entreprises utiliseront l'ERP d'un fournisseur avec la comptabilité d'un autre, le tout en mode SaaS", espère Sylvain Lacoste.
La question de la réversibilité est sur toutes les lèvres : une entreprise doit pouvoir récupérer ses données hébergées sur un serveur distant et les réinstaller sur un autre serveur. Ce que confirme Ludovic Moine : "nous pouvons exporter notre base de données et donc partir n'importe quand", explique-t-il. "Mais si un acteur est uniquement présent dans le cloud, comment peut-on mettre en œuvre la réversibilité ?", s'interroge Philippe Plantive ? Pierre-Alain Lecointe insiste sur les deux facettes de la réversibilité : les données mais aussi les progiciels. Pour sa part, Hubert Nolais ne croit pas à la réversibilité de l'ERP lui-même, ce qui est évidemment impossible pour un ERP qui n'est fourni qu'enmode SaaS.
Nouvelles exigences des clients en SaaS
Habituellement, l'administration des applications en mode SaaS est assurée par le fournisseur. Pour répondre à la demande de Jenny Craig qui souhaitait en conserver la responsabilité, Proginov lui a ouvert des accès : "nous avons récupéré la gestion des droits utiles. Proginov a débridé certains accès, d'autres non. Aujourd'hui, j'ai la même gestion des droits qu'auparavant", se félicite Ludovic Moine.
Autre souci dans le passage au mode SaaS : le contrôle des modifications de programmes. Ludovic Moine raconte : "lors du passage du serveur de tests au serveur de production, certains programmes comportaient plusieurs modifications, dont quelques unes n'étaient pas validées. J'ai imposé des règles strictes : tout programme modifié m'est systématiquement envoyé pour validation avant la mise en production."
Philippe Plantive confirme ce changement de pratique qui affecte les équipes de Proginov : "jusqu'ici, le client validait la base de tests, puis l'application entrait en production. Maintenant, la mise à jour sur la base de production se fait en temps réel. Cela donne plus d'autonomie aux clients. La promesse d'intervention dans les 4 heures ne suffit plus : il faut réagir en temps réel."
Comment contenir les risques ?
La transition vers le mode SaaS comporte des risques, dont certains ne sont pas spécifiques à ce mode. Pour Sylvain Lacoste, le risque pour les entreprises est minimal si l'éditeur est aussi hébergeur : "les offres de services comportent de nombreux aspects, dont certains sont contractuels comme les sauvegardes. Il y a moins de coûts cachés qu'en on-premise. En particulier, le SaaS offre la maîtrise des mises à jour. L'éditeur garantit des applications à jour dans les domaines réglementaires et assure la sécurité des applications, en particulier la protection contre les intrusions. Il y a un engagement global sur de nombreux sujets dont les clients n'ont pas conscience." Hubert Nolais considère également que le mode SaaS procure une bonne sécurité aux PME. Pour sa part, Pierre-Alain Lecointe est beaucoup plus réservé : "les problèmes de sécurité et les risques d'intrusion sont supérieurs dans le cloud à ce qu'ils sont dans le mode traditionnel, et la dépendance d'un fournisseur unique est aussi un risque. Le mode SaaS comporte des coûts cachés, en particulier pour l'administration, surtout pour les grands comptes."
Les bonnes pratiques pour entamer une migration
Philippe Plantive résume les éléments essentiels pour réussir la migration d'un ERP vers le SaaS : "ce doit être un projet informatique bien piloté et porté par les dirigeants de l'entreprise. Quant aux utilisateurs, ils doivent être sensibilisés à l'objectif final. Il faut s'appuyer sur un cloud privé, car le cloud public pose des problèmes de sécurité et de confidentialité (risques d'accès par l'administration américaine en vertu du Patriot Act). Enfin, l'interlocuteur des entreprises doit avoir 3 compétences : l'édition, l'hébergement et l'intégration." Pierre-Alain Lecointe insiste sur le fait qu'il ne faut aller vers le SaaS que si on trouve une bonne solution dans ce mode. Antoine Lebreton souligne l'importance de l'interlocuteur unique. Enfin, pour Sylvain Lacoste, l'entreprise doit vérifier le niveau d'engagement du prestataire et sélectionner une offre de services globale.
René Beretz