C'est par une standing ovation que Jean-Louis Étienne a été accueilli par les centaines de personnes présentes dans l'amphithéâtre du palais des congrès de Reims. Il faut dire que le bonhomme est aussi impressionnant par ses réalisations, ses convictions et sa persévérance qu'il peut être insignifiant physiquement. "J'ai toujours innové, notamment pour réaliser les outils permettant de mener à bien mes expéditions", commente le grand homme. Depuis le voilier polaire Antartica (aujourd'hui rebaptisé Tara) jusqu'à la montre au cadran gradué sur 24h, qui permet, dans les régions polaires, de toujours indiquer le nord, c'est lui qui, aidé de cabinets d'études, a conçu ses équipements.
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Aujourd'hui, il innove une nouvelle fois en concevant un "navire vertical" destiné à l'exploration océanographique en dérivant autour de l'Antarctique avec le courant circumpolaire (long de 24 000 kilomètres et large de 1 000, c'est le plus puissant courant de la planète – cf. illustration). L'objectif de l'expédition est l'acquisition de données et d'observations climatologiques sur le long terme, qui seront transmises aux chercheurs, océanographes et climatologues impliqués dans le projet. Conçu sur le même principe que Flip, un bateau construit par la Navy américaine pour écouter les sous-marins croisant dans le Pacifique, Polar Pod sera un navire de quelque 80 mètres de long. Il se déplace, comme tous ses homologues, horizontalement à la surface de l'eau. N'étant pas motorisé, il se déplace en remorque d'un autre navire. Une fois arrivé sur zone, on remplit des ballasts et l'ensemble bascule alors en position verticale. L'analogie avec Flip s'arrête là : si ce dernier est destiné à rester en position, Polar Pod se déplace au gré des courants, pour analyser la composition de l'eau, celle de l'air et les échanges qui se font entre les deux. Polar Pod sera alimenté en énergie par 4 éoliennes et 4 personnes suffiront à le manœuvrer. L'expédition est prévue pour 2014, mais il manque encore quelques financements... "Il faut persévérer et ne pas vivre avec le regret de ne pas avoir achevé ce qu'on voulait faire. La persévérance est la seule chose qui fait qu'on arrive à ses fins", commente Jean-Louis Étienne.
Inventer n'est pas innover
On peut inventer de nombreuses choses qui ne seront pas innovantes pour autant : une montre-couteau Suisse, par exemple, pourrait esthétiquement être du plus bel effet mais d'un intérêt plus que limité. On peut aussi innover autrement que dans la technologie : les modèles économiques d'Ikea ou d'Easyjet, par exemple, sont innovants. "L'innovation, c'est mettre en œuvre des idées originales et utiles", expliquait Martin Duval, président de Bluenove, une société de services en Open innovation. "Elle peut aussi concerner une technologie, un packaging, un usage, une organisation managériale. Un service comme le Vélib est innovant : il n'y a rien de plus basique qu'un vélo, mais l'innovation consiste à le mettre à disposition à l'endroit, au moment et pour la durée dont l'utilisateur en a besoin. Elle peut aussi être un processus : celui du paiement dans les Apple Store, où il n'y a pas de caisse, est innovant".
Le projet Polar Pod (cliquez sur l'image pour l'agrandir)
Adopter une attitude entrepreneuriale, c'est prendre des risques, faire preuve d'une certaine tolérance à l'échec et d'intuition, "toutes choses guère appréciées en France", constate Philippe Durance, professeur au CNAM, chercheur au LIRSA et président de l'institut des futurs souhaitables, qui s'est ensuite lancé dans une description des différents modèles d'innovation puis une critique du modèle dominant.
Il détaille les trois modèles d'innovation existant à l'heure actuelle :
- le modèle dominant, qui est sur un schéma descendant ;
- le modèle social, qui est ascendant, à l'inverse, mais l'individu étant le vecteur de l'innovation, il pose la problématique de son identification ;
- le modèle hybride, à la croisée des deux premiers, qui est sur une relation d'équivalence et de co-conception.
Le modèle dominant, descendant, va des pouvoirs publics, qui financent, vers la recherche fondamentale, puis la R&D, les technologies et enfin à l'innovation : "les chercheurs sont au haut de cette pyramide et décident seuls des sujets sur lesquels ils travaillent", poursuit Philippe Durance. En France, l'État ne reconnaît pas les modèles social et hybride : "le mythe égalitaire le conduit sans doute à penser que la diversité est un danger et que la paix se trouve dans l'uniformité", commente l'orateur. De nombreuses expériences existent cependant sur le terrain.
L'innovation a envahi la société et a été remise au goût du jour par la crise. Mais l'innovation vient avant tout du monde de l'entreprise, essentiellement pour éviter les situations conflictuelles lies à la nécessité de se battre sur les prix. Et de citer l'exemple de Lego, qui était en mauvaise posture il y a quelques années. "Ils se sont alors rendu compte que les fans de Lego n'avaient plus forcément 8 ans mais plutôt 28 ans... L'entreprise s'est alors mise à valoriser les réalisations de ces fans et à proposer à la vente ces réalisations, allant de voitures de sport sophistiquées aux monuments du monde entier. Et les autres fans achètent..."
Philippe Durance multiplie les exemples d'innovations pas forcément technologiques. Celui de Michelin, qui propose désormais certains types de pneumatiques à la location, est des plus innovants car il inverse le modèle de l'obsolescence programmée : Michelin restant propriétaire de ses pneus, il a donc tout intérêt à ce qu'ils durent le plus longtemps possible.
Y a-t-il de l'innovation en Chine ?
Zhang Xiaogang - Bloodlines - Big Family - Family No 1 (cliquez sur l'image pour l'agrandir)
Autre temps fort de cette convention : l'intervention de Christine Cayol, philosophe, écrivain et fondatrice de Synthesis, un cabinet spécialisé dans l'accompagnement des dirigeants au travers de l'art et la culture. Elle est aussi une grande spécialiste de la Chine, où elle a vécu. Sur le thème "y a-t-il de l'innovation en Chine ? Regard culturel et artistique", elle livre une analyse aussi puissante que minutieuse de la peinture chinoise au travers des siècles. Christine Cayol nous fait voyager et ainsi découvrir la manière de penser des chinois. S'il est vrai qu'en Chine on fait souvent sienne la maxime "Copyright = right to copy", les créations artistiques de ce pays n'en demeurent pas moins originales, innovantes et révélatrices de la société, à l'instar de ce "Family No 1", qui fait partie d'une série de portraits intitulés "Bloodlines - Big Family", par Zhang Xiaogang, l'un des artistes chinois contemporains les plus en vue (cf. illustration). Calmes en apparence, les personnages sont en réalité en proie à de grandes turbulences intérieures. L'enfant unique est au centre du tableau : inquiétant de par la couleur de son visage et son strabisme, il ne porte pas moins sur ses frêles épaules tous les espoirs de ses deux parents, comme en attestent les petites icônes météorologiques qui surplombent sa tête et symbolisent les bonnes et mauvaises notes qu'il est susceptible de récolter à l'école. Les trois personnages sont unis par un fil rouge, symbole de leur destin commun. Cette série a été réalisée à partir de vieilles photographies, l'artiste faisant en cela le lien entre le passé et le présent. C'est ainsi que fonctionnent les chinois : il n'y a jamais de rupture, mais la vie est un continuum ; dans une démarche un peu schizophrénique, ils cherchent en permanence à porter simultanément tout l'héritage de leur passé tout en regardant vers l'avenir.
De nombreuses autres œuvres ont illustré la présentation de Christine Cayol. Une comparaison avec des œuvres occidentales des époques correspondantes rend les différences culturelles encore plus frappantes.
L'innovation selon SAP
L'USF est une association d'utilisateurs indépendante, mais SAP est toujours associée à ses manifestations. L'occasion pour Franck Cohen, président EMEA, d'expliquer ce qu'est l'innovation pour SAP.
"Le portefeuille des solutions SAP est centré sur l'innovation et tous nos efforts d'innovation sont faits de manière non disruptive pour intéresser l'ensemble des clients SAP", explique-t-il. Deuxième grand principe, la co-innovation : "tous nos projets innovants impliquent des clients, de manière à ce qu'ils soient adaptés aux besoins du marché dès leur lancement". Une étude de la direction générale de la recherche et de l'innovation de la Commission européenne datant de décembre 2012 montre clairement que les entreprises innovantes vendent plus et plus vite que les autres.
S'appuyant sur de nombreux exemples, Franck Cohen illustre l'intérêt qu'il y a à transformer les données en valeur. "L'ERP ne représente aujourd'hui plus que 19 % du chiffre d'affaires de SAP", constate-t-il. Pour lui, un ERP de nouvelle génération est un ERP temps réel, qui s'appuie sur une base de données unique (et non des bases de données dupliquées entre l'analytique et le transactionnel). "Nous sortons une nouvelle version de la Business Suite tous les 6 mois. Celle-ci comporte entre 500 et 1 000 nouvelles fonctionnalités à chaque fois. Les autres applications vont de l'analytique, notamment prédictive (et de citer la récente acquisition de Kxen) à la mobilité, qui est la raison de l'acquisition de Sybase et aux bases de données. Les technologies machine-to-machine se développent considérablement à l'heure actuelle et avec elles les quantités de données qui transitent sur les réseaux". Et d'avancer le chiffre de 12 milliards de machines connectées à l'internet aujourd'hui.
"SAP est aussi désormais le numéro 4 mondial des bases de données", s'enorgueillit Franck Cohen. Sybase y est pour quelque chose, mais c'est l'incontournable HANA qui revient très vite sur le devant de la scène : "base de données non relationnelle ouverte, HANA est susceptible de s'adresser à de nombreux usages, au-delà de la gestion et des seules solutions SAP", estime-t-il avant de préciser que le premier compte français équipé de la Business Suite sous HANA devrait être annoncé très bientôt... "Quant aux PME et HANA : c'est ce qui marche le mieux", ajoute-t-il. "HANA Enterprise Cloud permet de ne s'affranchir des investissements dans le matériel".
Le cloud, précisément : "grâce à l'acquisition de SuccessFactors, nous sommes devenus numéro 1 du cloud dans le monde, avec plus de 30 millions d'utilisateurs actuellement", se satisfait Franck Cohen. Il pense qu'un certain nombre de process non discriminants vont basculer dans le cloud, mais que "les grandes entreprises ne veulent pas mettre le SI de leur cœur de métier dans le cloud, d'autant qu'il est généralement personnalisé", et qu'en conséquence le on-premise a encore de beaux jours devant lui dans ce domaine.
Franck Cohen conclut sur la composition du mot "crise" en chinois (cf. idéogrammes ci-contre, qui se prononce wēijī). Le premier idéogramme signifie la notion de danger, le second celle d'opportunité, d'occasion à saisir. La crise apporte du danger, de la précarité, mais aussi des opportunités. Et toutes les innovations technologiques apportent des opportunités nouvelles aux entreprises mais aussi d'excellentes occasions de revoir leurs processus.
Benoît Herr
USF - Reims 2013
La convention annuelle de l'USF se tient à chaque fois dans une ville différente. Cette année, c'est Reims qui était à l'honneur. Son palais des congrès a accueilli quelque 1050 participants uniques (utilisateurs, mais aussi éditeurs et partenaires), 81 partenaires exposants, 60 ateliers et 7 conférences plénières. La convention a aussi été l'occasion de remettre les 4 trophées de l'USF (à Eric Rémy, plus ancien président de commission, Christina Pisica pour la création de commissions, Damien Poulain pour son implication dans la "customer connection" et Bruno Hernot, de PSA, adhérent USF le plus actif) ainsi que les SAP Quality Awards (remis par Henri van der Vaeren, DG SAP France & Maghreb). Enfin, l'association en a profité pour lancer officiellement sa "note de perspectives" HANA, qui comporte le témoignage de quatre utilisateurs français.
L'édition 2014 de cette convention aura lieu à Tours les 8 et 9 octobre 2014.
BH