Lorsqu'un groupe entreprend la cession d'une activité (spin-off dans le jargon des affaires), les organisations qui interviennent en première ligne sont les entités M&A (Merge and Acquisitions, autrement dit fusions et acquisitions) du groupe, des cabinets d'audit comme Deloitte ou KPMG, des banques comme Rothschild ou Lazard. "L'informatique ne représente qu'un transparent sur cent dans les présentations", souligne Olivier Cazzulo, directeur associé de la société Netsystem, du groupe Stedia, cabinet d’audit et de conseil en gouvernance du système d’information. Dans un tel contexte, "la partie informatique (et en particulier l'ERP), n'est pas prise compte à la mesure de l'impact qu'elle peut avoir sur l'opération", confirme Stéphane Moreau, directeur associé de TVH Consulting.
Des délais serrés malgré les contraintes de confidentialité
Le projet informatique, qui démarre souvent avant l'identification de l'acquéreur, n'est pas un projet classique avec cahier des charges et appel d'offres. L'anticipation est essentielle car les délais sont bien plus courts que dans les projets habituels. Il faut avant tout se poser la question du sens de l'ERP du groupe pour l'entité cédée. "Il peut y avoir une grosse disproportion entre les enjeux du groupe et ceux de l'entité cédée : d'un côté la prise en compte de la loi Sarbanes-Oxley, de l'autre, une activité gérée par un seul comptable. L'ERP central peut ne pas être adapté du tout", remarque Stéphane Moreau.
À la date de clôture, le groupe et l'acquéreur de l'entité conviennent généralement d'une période de transition de 12 à 18 mois, qu'elles veulent souvent raccourcir pour des raisons de coûts. Pendant cette période, la nouvelle société profite des capacités informatiques du groupe. Des ressources financières immédiates sont nécessaires pour payer la transition et créer une informatique adaptée : il est indispensable de formaliser la démarche sur une feuille de route précise.
Olivier Cazzulo, directeur associé, Netsystem, groupe Stedia, délégué régional Sud du Syntec Numérique
Le contexte hautement confidentiel des processus de cession ne facilite pas le travail des équipes qui travaillent sur l'évolution technique, en particulier lorsque l'intervention a lieu avant l'identification de l'acquéreur et que plusieurs acquéreurs potentiels sont en lice. "À ce stade, on ne peut pas faire d'audit dans les filiales", regrette Stéphane Moreau. Lors d'une phase finale, si un acquéreur potentiel a l'exclusivité pour une trentaine de jours, les intervenants peuvent rencontrer en toute confidentialité les futurs dirigeants de l'entité cédée et l'informatique du groupe. "Les personnes sont souvent étonnées que ce genre d'intervention ait lieu si tôt. Mais il n'est pas possible de rencontrer les utilisateurs clefs", note Olivier Cazzulo.
Une informatique à reconstruire
La société doit gérer tous les aspects de son informatique et de ses télécommunications : le parc de PC, de terminaux mobiles, les sites Internet, les noms de domaines, la messagerie... Si le groupe a normalisé les adresses sous la forme nom@groupe.com, il faut couper le lien et repartir avec un nouveau nom. Et cela impose de s'y prendre environ un mois à l'avance pour que la transformation entre en vigueur dès que la cession est effective. Elle doit aussi reconstruire les liens télécoms, les VPN.
La nouvelle société doit aussi se déterminer sur l'hébergement de son infrastructure informatique. Si jusque-là elle était mutualisée au niveau du groupe, il faudra la détacher et recréer une nouvelle structure. En cas d'externalisation chez un acteur important disposant d'une grosse équipe de support, il sera nécessaire de trouver une solution mieux adaptée à la taille et aux besoins réels de la nouvelle entité. Enfin, si la filiale n'avait qu'un simple correspondant informatique, il faudra soit créer un service informatique, soit nommer un coordonnateur de contrats pour gérer une nouvelle externalisation.
Adapter l'ERP au nouveau périmètre
La nouvelle société est confrontée au coût des licences logicielles de l'ERP, qui contractuellement ne peuvent pas être cédées : elle doit donc les racheter si elle veut continuer à utiliser son ERP. Mais l'acquéreur peut demander au cédant de porter les coûts.
La question du transfert des données depuis le groupe vers l'entité cédée est délicate. Le groupe ne doit lui fournir que ce qui la concerne et donc faire réaliser un audit de l'ERP. Ensuite, plusieurs méthodes de transfert sont possibles, depuis le simple copier-coller jusqu'à un détourage très fin. Dans ce dernier cas, seul l'éditeur, souvent SAP, est habilité à certifier les nouvelles données : celui-ci délègue un expert pour nettoyer les données et supprimer ce qui ne doit pas être transmis à la société cédée, dans le cadre d'une intervention coûteuse. En ce qui concerne le CRM, le groupe ne souhaite généralement pas céder les données sur les clients.
Stéphane Moreau, directeur associé de TVH Consulting
La nouvelle société devra choisir les services qu'elle veut garder parmi ceux dont elle disposait dans le groupe et les adapter à son nouveau contexte. Les applications dites héritées, qui bénéficient souvent de 15 à 20 ans de développement dans le groupe, devront sans doute être remplacées dans la nouvelle entité par des solutions à construire en quelques mois par des personnes dont ce n'est souvent pas le métier. Mais en pratique, "80 % conservent l'ERP, souvent parce qu'elles se sont posé la question trop tard, constate Stéphane Moreau. Curieusement, les sociétés cédées ne choisissent quasiment jamais d'ERP dans le cloud alors que ce genre de solution pourrait répondre à leurs besoins.".
Ainsi, une société industrielle, prise par l'urgence, a adopté telle quelle la configuration SAP du groupe dont elle faisait partie. Mais très vite, des points de blocage sont apparus : pour y remédier, elle a adopté, sur les conseils de TVH, la version de SAP configurée pour l'industrie et mettant en œuvre les bonnes pratiques sectorielles. À l'issue d'un projet de 4 mois, cette solution est entrée en exploitation et donne pleine satisfaction.
Quand une filiale prend son indépendance, elle prend souvent conscience de la contrainte que faisait peser sur elle l'ERP centralisé que lui avait imposé le groupe. "Le retour sur investissement a rarement été au rendez-vous", remarque Stéphane Moreau. Il faut s'interroger sur le contexte social, sur l'acceptation des solutions par le personnel et sur l'adéquation de l'ERP existant avec la taille de la nouvelle société.
La nouvelle société utilise aussi d'autres outils, plus ou moins documentés. Il peut s'agir d'outils périphériques, développés en interne et maintenus tant bien que mal. "Il faut cartographier les applications et les processus de l'entreprise", insiste Stéphane Moreau, car souvent cela n'a jamais été fait. Par exemple, une filiale cédée n'a pas voulu garder un outil décisionnel installé par le groupe, expliquant qu'elle n'en avait pas besoin. Mais elle s'est aperçue un mois plus tard qu'elle ne pouvait plus sortir ses états et son reporting. Il a donc fallu développer une autre solution en urgence.
L'audit effectué lors du processus de cession peut montrer que l'entité cédée ne maîtrisait pas son ERP et que les processus et les résultats étaient défectueux, ce qui amenait les utilisateurs à développer des requêtes sous Excel pour pallier la situation. Il faudra en tenir compte pour choisir et déterminer le périmètre des nouveaux outils. Enfin, la nouvelle structure doit élaborer un plan de communication : informer les utilisateurs des changements, les accompagner dans la découverte des nouveaux sous-traitants, des nouveaux processus, des nouveaux contrats plus restreints est indispensable pour susciter l'adhésion et l'acceptation des nouveaux outils de travail.
Les processus et les coûts d'un processus de cession
Il existe des coûts de cession à la fois du côté du groupe et de l'entité cédée. Le groupe peut découvrir à son niveau des charges liées à la cession : par exemple la mise à disposition des données à la filiale représente un travail auquel il faut affecter du personnel. Ces charges mal identifiées ont tendance à tendre la relation dans le projet : les deux entités doivent donc travailler la main dans la main. Par exemple, si au début le projet concerne uniquement les entités M&A, celles-ci contactent les DSI quand elles s'intéressent au système d'information, ce qui entraîne l'intervention de sociétés spécialisées comme Netsystem et TVH. Mais il est souvent trop tard : les délais serrés imposent d'organiser le futur projet avec des entités de pilotage, de décision et d'escalade car il faut faire les arbitrages rapides. Tout cela représente des contraintes pour l'entreprise cédante.
Selon TVH Consulting, il est possible d'industrialiser ce type de projet. "Lorsque ce groupe a cédé une première entité, nous avons travaillé dans l'urgence. Lorsqu'il a cédé une deuxième société, nous avons profité de la première expérience", explique Stéphane Moreau. Le groupe en question a appelé TVH plus tôt, une étude a été faite à l'avance et les coûts ont été bien identifiés et maîtrisés dans le temps.
René Beretz