Voir grand, commencer petit : telle pourrait être la devise des sociétés qui témoignent de la mise en œuvre réussie de projets MES (Manufacturing Execution Systems), outils de gestion de production. Deux témoignages ont particulièrement attiré notre attention. Il s'agit de projets qui ont démarré au niveau d'une usine particulière au sein de sociétés qui en ont plusieurs. Projets pilotes, ils ont fait leurs preuves et soulèvent l'intérêt des autres unités du groupe. Autre point commun entre ces deux projets, la saisie des opérations reste manuelle : l'apport du MES consiste à faciliter cette tâche au moyen d'outils tels que des écrans tactiles ou une lecture de codes-barres au plus près du poste de travail et pour injecter les données le plus rapidement possible dans le système. Le rôle des opérateurs reste fondamental.
Des besoins d'outils efficaces pour les chaînes de production
Chez Vossloh-Cogifer, constructeur d'appareils de voie (aiguillages) pour les réseaux ferrés, l'initiative est venue de l'usine de Fère-en-Tardenois dans l'Aisne. Celle-ci a deux activités : la fabrication d'appareils de voie et la soudure de cœurs en acier au manganèse, ce qui implique des métiers d'usinage, de soudage, de traitement thermique et d'assemblage.
Les métiers de Vossloh-Cogifer
L'usine partait d'une situation où la collecte des données était effectuée par pointage différé : les opérateurs communiquaient leurs données le soir, le lendemain ou parfois en fin de mois, ce qui pouvait engendrer des files d'attente le soir à la pointeuse. "La qualité des données laissait à désirer à cause d'un phénomène de lissage, remarque Florian Kott, chef de projet en systèmes d'information chez Vossloh-Cogifer. En effet, les opérateurs avaient tendance à ne pas reporter les données trop éloignées des valeurs habituelles." Pour obtenir une analyse, il fallait procéder à une extraction manuelle des données : les chiffres arrivaient donc avec retard par rapport aux événements et ils n'étaient pas fiables.
Les deux responsables d'atelier de Fère ont demandé un nouvel outil pour mesurer en temps réel la performance de l'atelier. Ils ont été soutenus par le directeur d'usine puis par la direction France de la société. Les objectifs consistaient à augmenter la précision des mesures avec une granulométrie plus fine et à diminuer le temps passé à les effectuer. Aspect important de la solution à mettre en œuvre, elle devait être mobile car la zone d'assemblage est très étendue : un appareil de voie peut faire 200 m de long et il n'y a donc pas de poste de travail fixe.
Usine Bayer CropScience de Marle-sur-Serre
À l'usine de Marle-sur-Serre (Aisne) du groupe Bayer CropScience, la situation de l'usine était différente. Spécialisée dans le conditionnement de produits phytosanitaires dont elle livre 37 000 tonnes par an, celle-ci disposait pour ses 30 lignes de conditionnement d'un MES fonctionnant sur AS/400. Une personne était chargée de collecter et de traiter les données obtenues par cet outil. L'usine désirait le remplacer par une solution du marché évolutive, moderne, tournée vers l'avenir et intégrée avec les solutions personnalisées du site. Dans ce cas, aussi, une solution mobile était indispensable pour permettre l'utilisation sur toute la longueur des chaînes. "Cette initiative de déploiement d'un MES de production dans une usine était une première chez Bayer : au départ, elle a rencontré des réticences au niveau du groupe", rappelle Benoît Richard, responsable de projets IT à l'usine Bayer de Marle. À partir du déploiement des premières lignes, l'attitude du groupe a changé. "Nous recevons de nombreuses visites de responsables d'usines comme récemment celles du Brésil et de Francfort", se réjouit-il.
Des projets impliquant tous les acteurs de l'usine
Le lancement du projet chez Vossloh-Cogifer a démarré par la constitution d'une équipe de projet composée du responsable de fabrication de chaque site français, du responsable de l'amélioration continue, d'un représentant de la DSI et d'un représentant de l'excellence industrielle. Elle a passé 3 mois à rédiger le cahier des charges, tout en consultant des personnes extérieures à l'équipe : gestion de production, méthodes, bureau d'études.
Puis ils ont cherché un prestataire répondant aux critères de contraintes industrielles comportant beaucoup d'opérations manuelles. "Nous n'avions pas l'expérience d'un tel projet : le prestataire devait nous encadrer et apporter des bonnes pratiques et une démarche claire", explique Florian Kott. La solution retenue a été AquiWeb d'Astrée Software.
Le projet a démarré par un mois d'analyse. Astrée a ensuite géré les écarts avec le standard et le paramétrage. L'éditeur a utilisé une méthode agile, interactive, produisant des versions successives, évitant l'effet tunnel. L'équipe interne a été impliquée régulièrement pour tester les versions intermédiaires. Après une semaine de test et la formation, la mise en production s'est effectuée en juin 2013. Quelques mois de support ont été nécessaires, surtout pour le management. Le déploiement sur les autres sites de la société est en cours.
À l'usine Bayer de Marle, le projet a démarré en 2011. "Nous avons recherché un éditeur sur le marché et nous avons retenu Wonderware, surtout à cause des tarifs, déclare Benoît Richard. Puis nous avons cherché un prestataire local et nous avons choisi Technord, implanté à Lille. Celui-ci s'est montré réactif en nous fournissant rapidement toutes les informations disponibles." Technord, société fondée à Lille en 1945, se définit comme un "ensemblier du génie électrique à l'informatique industrielle".
L'intégrateur a développé l'application pour la première ligne et il a ensuite formé le personnel de Bayer en 5 jours. Ce transfert de compétences a rendu l'équipe interne, composée de 2 personnes, indépendante pour les déploiements ultérieurs. Les écrans ont tous été conçus sur un même modèle. "Le développement avec une méthode objet permet de développer une nouvelle ligne en 3 heures", se félicite Benoît Richard.
L'acquisition des données est faite par les opérateurs. "D'autres usines du groupe ont essayé des interfaces directes avec les machines mais leurs projets n'ont pas abouti. Ces interfaces automatiques remontent des informations indésirables comme les microcoupures", rapporte le responsable de projet. Le déploiement de la solution a commencé en novembre 2013 : en juin 2014, 6 lignes ont été déployées. En pratique, on ne peut déployer une ligne que quand elle est arrêtée ou en maintenance pour ne pas bloquer la production. Une ligne a déjà battu le record de production depuis décembre. Les lignes seront bientôt toutes développées.
Une solution adaptée et un intégrateur proche pour accompagner le projet
AquiWeb, installé chez Vossloh-Cogifer, propose deux visions adaptées à chaque acteur concerné :
- pour le management, une vision des performances et un suivi en temps réel de l'atelier et des moyens ;
- pour les opérateurs, les fonctions de saisie des opérations, des tâches individuelles et de la journée de travail.
Pour le pointage de tâches, un chronomètre se déclenche : la performance est déduite du temps passé pour la tâche en fonction du temps prévu. Les tâches concernées sont aussi bien celles des activités directes que des activités indirectes (nettoyage de machine par exemple).
Le SI de Vossloh-Cogifer
AquiWeb s'interface avec les autres applications du système d'information de Vossloh-Cogifer. En particulier, l'ERP Baan envoie les ordres de fabrication (OF) à AquiWeb, qui lui retourne le temps passé par OF et les pointages de tâches. Le MES reçoit aussi un horaire théorique de présence d'un outil de gestion des temps de présence.
Le nouveau MES installé chez Bayer, interfacé avec SAP, assure les fonctions suivantes :
- descente et suivi des Ordres de Process (OP) provenant de SAP ;
- gestion des productions en connexion avec SAP ;
- gestion des consommations en connexion avec SAP ;
- fonctionnalité de réapprovisionnements automatiques (Kanban) sous forme de palettes de composants ;
- calcul des temps machine ;
- suivi des temps du personnel, affection du personnel ;
- envoi automatique de mails configurables (fin d'OP, fin de poste, arrêt de la ligne…) ;
- suivi de l'exposition du personnel aux agents chimiques dangereux et suivi de la pénibilité au poste de travail.
Suivi de production en temps réel à l'usine Bayer de Marle
Le logiciel fournit des rapports en temps réel et génère des alarmes : une panne est signalée au bout de quelques minutes ; elle est transmise au chef de production au bout de 60 minutes et au chef d'usine au bout de 2 heures. Il permet aussi de gérer les ressources secondaires comme les outillages.
Des bénéfices tangibles en qualité des données et en performance malgré quelques réticences
Le projet de MES a inquiété les opérateurs de Vossloh-Cogifer qui ont craint d'être soumis à une surveillance permanente. Ceux-ci ont donc été impliqués dans le projet dès le début et ont participé à des réunions d'information régulières. Ils ont finalement bien accepté la solution, qui facilite les tâches de pointage : en quelques semaines, ils se sont mis à une course à la performance. L'application a été utilisée pour résoudre des difficultés dans les ateliers, ce qui a amélioré la perception de l'outil. AquiWeb a aussi eu un impact sur l'amélioration continue, en contribuant à une évolution des gammes de fabrication.
De manière plus comptable, le MES a procuré des gains que décrit Florian Kott : "en 3 mois, nous avons gagné 10 % dans l'usinage des cœurs et nous avons constaté une amélioration dans le lancement et la planification."
Mais le projet a bien sûr connu quelques points faibles. "Nous n'avons pas été très précis dans les spécifications, reconnaît le chef de projet. Mais heureusement, la démarche était itérative et nous avons pu revenir dessus avec le prestataire. Nous nous sommes beaucoup concentrés au départ sur les opérateurs mais le plus gros du travail a concerné les managers : après la mise en production, nous nous sommes recentrés sur eux." Mais la performance a baissé par la suite, en particulier à cause du départ du chef de production.
Chez Bayer, l'impératif de mobilité s'est concrétisé par des pupitres à roulettes facilement remplaçables. Pour Benoît Richard, les bénéfices principaux sont "l'évolutivité de la solution, sa stabilité, son caractère redondant, la facilité d'exploitation des données et de création de rapports, mais aussi la pérennité de Wonderware, dans le groupe Schneider Electric."
Selon Rémy Sagot, responsable commercial de Technord, le budget total du projet s'élève à à 450 K€, formation incluse, se décomposant en 200 K€ de prestation Technord et 250 K€ de licences pour l'ensemble des lignes.
René Beretz