Pour la première fois, la manifestation s'est tenue sur deux jours, la soirée des trophées Eurocloud 2014 se déroulant le soir du 21. Quelque 200 personnes s'étaient réunies autour de nombreuses start-up dynamiques, innovantes et performantes pour en consacrer huit parmi les 22 nominées et les plus de 100 dossiers qui ont été déposés. Rappelons que les lauréats des trophées français pourront être candidats au concours organisé par Eurocloud Europe, réunissant tous les gagnants nationaux dans une compétition dont les gagnants seront connus en octobre.
Une journée bien remplie
La journée du 22 mai a réuni 540 participants autour de 3 sessions plénières et de 9 tables rondes. Dans le contexte actuel de "cloud tous azimuts", les diverses interventions ont été assez inégales, certaines étant vraiment informatives, d'autres relevant plus du marketing dirigé que du débat d'opinion. D'autres enfin, prévues pour la fin de journée, ont dû être annulées ou reportées du fait d'un horaire devenu trop tardif.
Parmi les interventions les plus remarquées, on notera le témoignage de Michel Delattre, DSI du groupe La Poste, lors de la plénière d'ouverture. Il a affirmé que le cloud computing était au cœur du programme de transformation du système d'information du groupe, affichant 21 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour 270 000 collaborateurs dont 5 000 informaticiens : le nouveau plan stratégique "La poste 2020 : Conquérir l'avenir" sera annoncé en juin.
Deux grands projets ont été définis : la mise en place d'un IaaS hybride de la banque postale, qui sera disponible mi-2015, puis, plus tard, la mise en place d'un PaaS avec jusqu'à 11 000 machines virtuelles. Le deuxième projet concerne le développement d'un cloud public incluant des services de messagerie et de collaboration, de GED, d'audio, de Web et de visioconférence et un réseau social d'entreprise. La consultation des prestataires est prévue à l'automne 2014.
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"Le cloud est un vecteur de standardisation entre les différentes branches du groupe. Il doit répondre à des enjeux de réactivité, de plus grande agilité : la demande des clients évolue plus vite, est plus difficile à prévoir. Le cloud peut nous aider à réduire les délais de mise sur le marché", commentait Michel Delattre, qui estime que ces évolutions doivent être tirées par les usages.
Le DSI arbitre entre cloud privé et cloud public en fonction de la sensibilité des informations : "certaines parties du système d'information sont sensibles et stratégiques et on n'imagine pas de les confier à l'extérieur. Ce n'est pas le cas pour d'autres. Nous essayons de faire ce partage", précise Michel Delattre. Enfin, on notera que La Poste envisage de proposer elle-même certains services cloud à ses clients, comme ceux de Docapost ou de tiers de confiance.
Toujours un avenir radieux, malgré un léger tassement de la demande
La plénière d'ouverture a été suivie de la toujours très prisée "table ronde des analystes", sur "le vrai CA du cloud". Stéphanie Ortega, associée chez KPMG, département technologie, média & télécommunications, Olivier Rafal, senior consultant chez Pierre Audoin Consultants (PAC) et Sylvie Chauvin, présidente de Markess International officiaient autour de la table.
En préambule, Sylvie Chauvin a présenté son traditionnel "baromètre des prestataires du cloud computing", dont c'était la 8ème édition. L'étude montre que le marché français du cloud computing s'évalue à 4 100 M€ en 2014 (contre 2 200 M€ en 2012). Une bonne santé insolente, donc, même si la demande, toujours en croissance, se tasse légèrement dans les grandes entreprises, les TPE et le secteur public. Cette baisse n'est toutefois pas considérable et la croissance de la demande devrait demeurer à deux chiffres d'ici 2016.
Pour Olivier Rafal, "le marché du cloud en France devrait plutôt se situer pas très loin de 5 milliards d'ici la fin de l'année". Concernant la croissance, tant Olivier Rafal que Stéphanie Ortega confirment qu'elle va rester à deux chiffres. Pour Sylvie Chauvin, "s'il y a contraction de la demande, il y aura aussi compétitivité accrue, ce qui est une bonne nouvelle pour les clients, et peut être aussi concentration des acteurs."
Le Patriot Act en embuscade
Autre temps fort de la journée, la table ronde intitulée "Patriot Act, Prism, loi de programmation militaire... et le cloud dans tout ça ?" Dans le contexte des révélations concernant Prism et de la levée de boucliers à propos de la LPM (Loi de Programmation Militaire), Olivier Iteanu, avocat à la Cour d'Appel de Paris, qui animait cette table ronde, y avait convié Romain Beeckman, responsable juridique chez OVH, Bénédicte Deleporte, avocate associée et fondatrice du cabinet Deleporte Wentz, Guillaume Jahan, directeur juridique de Numergy et Stéphane Duproz, directeur général de TelecityGroup.
Romain Beeckman a fait état des nombreuses demandes de fourniture de données clients dont fait l'objet OVH de la part des autorités françaises : entre 1 500 et 1 700 en 2013, pour 700 000 clients. Le phénomène monopolise deux personnes à temps plein chez OVH. La loi américaine est loin d'être la seule à autoriser les investigations et la réquisition de données. De nombreux pays ont édicté de telles lois.
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En France, la Loi de Programmation Militaire (LPM) votée le 18 décembre 2013, et plus particulièrement son article 20, donne un droit de regard et d'accès aux données à notre gouvernement. "Ces lois sont généralement issues de lois d'exception. La plus connue est le Patriot Act, mais avec la LPM, la France a fait un texte contestable et contesté : son champ d'application est vaste et il n'y a aucune garantie qu'on ne touche pas au contenu. C'est assez inquiétant pour les libertés individuelles, surtout en l'absence d'un juge", commente Guillaume Jahan. Pour la CNIL, "elle constitue une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée".
Lorsque cette loi entrera en vigueur, le 1er janvier 2015, les prestataires ne pourront plus rester neutres : "ils vont devenir partie prenante et seront obligés de devenir militants pour défendre les libertés individuelles", prédit Guillaume Jahan. Si le Patriot Act américain est beaucoup plus cadré en termes de champ d'application, son problème majeur est son extraterritorialité : "il concerne toutes les sociétés américaines et ses filiales dans le monde, pour peu que les données soient en relation avec des citoyens américains ou des données américaines", note Bénédicte Deleporte.
Pour Olivier Iteanu, c'est le programme Prism qui ressemble à notre LPM, à la nuance près que ce programme de surveillance électronique par la collecte de renseignements à partir d'Internet cible les personnes vivant hors des États-Unis. "Un certain nombre d'entreprises américaines y adhèrent, dont Google, Facebook, YouTube, Microsoft, Yahoo!, Skype ou encore Apple", précise-t-il.
En conclusion, Stéphane Duproz réagit en expliquant que les entreprises et les individus ont perdu confiance en la justice. "Jusqu'ici, les entreprises étaient convaincues d'être soumises et protégées, comme tout le monde, par le droit commun. À chaque fois qu'il y a eu une demande de fourniture d'information, c'était à l'initiative d'un juge. Mais depuis les lois de type Patriot Act, on s'aperçoit que ce n'est plus le cas". Rappelons que cette loi d'exception, votée dans la mouvance du 11 septembre, a été renouvelée par deux fois, en 2006 et en 2011. On n'est plus dans l'urgence et c'est bien à livrer une véritable guerre économique que sert tout cet arsenal juridique.
Benoît Herr
Liste des lauréats des trophées Eurocloud, édition 2014 :
Start Up du meilleur potentiel innovation : SecludIT
Start Up du meilleur potentiel business : Energiency
Meilleure offre SaaS : Opendatasoft
Meilleure offre IaaS/PaaS : Cloudbees
Meilleure performance financière : Esker
Meilleur cas client public : Jamespot
Responsabilité sociétale d’entreprise : Linkbynet
Coup de cœur du jury : Fasterize
Les autres sociétés nominées étaient : Easyvista, E-Tag, Genesis, Ilyade, Havasu, Hedera, Jaguar Networks, One2Team, Perfony, PodBox, Satelliz, Smartflow, TeamTown et TellMePlus.