Aujourd'hui, environ 38 % des budgets informatiques sont gérés par d'autres départements de l'entreprise que la DSI. Et Gartner estime que ce ratio devrait grimper à plus de 50 % d'ici 2017. Pour Peter Sondergaard, senior vice-président de la recherche chez Gartner, "les start-up du numérique se trouvent au sein même de votre organisation. Elles sont au marketing, aux RH, à la logistique, au service commercial… Dans ce nouveau modèle, chaque département de l'entreprise est une start-up. Les DSI doivent en faire des partenaires, leur montrer qu'elles aussi peuvent être rapides et adhérer à cette évolution exogène".
Ce n'est un secret pour personne que de plus en plus de solutions informatiques sont mises en place directement par les directions métiers. Dans ce contexte, les DSI ne jouent plus au mieux qu'un rôle consultatif. Pour John-David Lovelock, VP recherche au Gartner, le gratuit, par exemple, est une vraie tendance. Et de citer Dropbox, Google, Telstra et autres Watson. "Que vont donc acheter les DSI si tout devient gratuit ?", s'exclame-t-il.
Les ERP postmodernes
Pour l'analyste Carol Hardcastle en particulier et plus généralement pour Gartner, "un ERP postmoderne constitue une fondation vitale dans la transformation numérique". Mais qu'est-ce qu'un ERP postmoderne ?
Gartner pense que les suites ERP sont en train d'être déconstruites pour aboutir à des environnements moins étroitement intégrés, plus fédérés, dans lesquels bon nombre de fonctionnalités seront assurées par des services cloud ou externalisées auprès de fournisseurs de services métiers. C'est cette évolution que le cabinet appelle ERP postmoderne. "Au cours de la période de gloire de l'ERP, les directions générales voulaient des solutions fiables et intégrées et l'ERP constituait un bon moyen d'atteindre cet objectif", explique Andy Kyte, vice président et associé du Gartner. "Aujourd'hui, les responsables exigent que ces qualités se retrouvent dans toutes les solutions logicielles. Leurs besoins ont basculé vers la double préoccupation de la réduction des coûts informatiques et la recherche d'une plus grande souplesse. Un système qui n'est pas suffisamment souple pour répondre aux demandes métiers en perpétuelle évolution devient une ancre et non une voile : il retient le business et ne le fait nullement avancer". Gartner affirme que d'ici 2016, l'impact du cloud et l'émergence des ERP postmodernes vont reléguer les ERP très personnalisés au rang de "système hérité".
Peter Sondergaard, senior vice-président de la recherche chez Gartner, aux prises avec un drone (cliquez pour agrandir)
Le cabinet d'analyse fait par ailleurs d'autres prédictions : pour lui, d'ici 2018, 30 % au moins des entreprises de services auront placé la majorité de leurs ERP dans le cloud. Le concept de suite ERP qui répondrait à l'ensemble des besoins d'une entreprise est mort et a été remplacé par les approches hybrides, combinant des solutions ponctuelles dans le cloud à un certain nombre de fonctions ERP centrales on-premise, comme la gestion de production ou les finances. Pour Gartner, les environnements hybrides seront devenus la norme d'ici cinq ans.
"Sur le long terme, à horizon 10 ans et plus, nous envisageons un scénario dans lequel une part plus importante du marché sera passée dans le cloud. Si aujourd'hui le mouvement se fait vers l'approche hybride, consistant à conserver un noyau on-premise complété de solutions innovantes et différenciantes dans le cloud, certaines organisations vont faire passer toutes les fonctionnalités de leur ERP dans le nuage", ajoute Nigel Rayner, vice-président de la recherche chez Gartner. "Ces solutions ne seront pas des suites monolithiques proposées par un éditeur unique mais des suites de fonctionnalités cloud couplées de manière lâche, qui seront à l'origine de nouveaux défis pour la DSI".
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John-David Lovelock confirme ce mouvement vers le cloud et constate les différences de rapidité en fonction des domaines fonctionnels : "dès 2016, 50 % des déploiements de CRM dans le monde se feront en SaaS. Ce sera aussi le cas de l'ERP, mais d'ici 2025 seulement", prévoit-il. Le schéma ci-contre montre clairement le mouvement amorcé par le SaaS dans les domaines de l'ERP, du SCM et du CRM et son extrapolation à 2020. À cet horizon, les logiciels classiques, on-premise, ne représenteraient plus que 16 % des signatures et 21 % des dépenses, alors qu'en 2000 les chiffres étaient de 93 et 95 % respectivement.
Frank Buytendijk, également vice-président de la recherche, enfonce le clou : "l'ERP postmoderne sera de règle dans le futur. Les suites existantes vont passer dans le cloud. Mais il reste encore de nombreux processus à inventer, qui seront eux aussi intégrés dans de nouvelles applications et de nouveaux modes de fonctionnement".
Il faudra donc encore dix ans ou plus avant que la majorité des organisations ne décident de passer leur ERP dans le cloud. Gartner pense cependant que dans certains secteurs d'activité cela se fera beaucoup plus tôt. Les éditeurs d'ERP ne se sont pas jusqu'ici beaucoup préoccupés de certains secteurs d'activité, comme les entreprises de services ou les médias numériques. Ils s'occupent bien plus des secteurs centrés sur les produits ou sur les actifs. C'est ce qui a poussé bon nombre d'entreprises de services à d'ores et déjà placer des éléments fonctionnels stratégiques dans le cloud ; et il y a une plus forte probabilité pour que ces entreprises y passent l'essentiel des fonctionnalités de leur ERP dans les cinq prochaines années, c'est-à-dire bien plus tôt que les entreprises centrées sur les produits.
Une question de risque
Pour Tina Nunno, vice-présidente et associée du Gartner, l'innovation est associée au risque. Pour 89 % des DSI, le monde numérique crée de nouveaux types et niveaux de risques. "Il va être nécessaire de modifier l'approche du risque. À l'instar de la mer, où les requins sont omniprésents, plutôt que d'éviter de se baigner à cause du risque qu'ils représentent, apprenons à nager avec eux. Mais évitons les conduites inconséquentes, comme de nager au milieu d'un banc d'otaries en combinaison sombre", métaphorise Tina Nunno. De fait, "les entreprises ne sont pas inconscientes et calculent les risques. Elles ne mettent dans un projet que les sommes qu'elles acceptent de perdre. Il s'agit d'une décision consciente".
L'informatique a longtemps résisté au changement, à l'instar des rochers au milieu d'une rivière. La transformation numérique est un flux continu qui génère des opportunités qu'il faut savoir saisir. Pour Peter Sondergaard, le temps est venu pour les DSI de passer en bimodal, c'est-à-dire de proposer un SI solide comme un roc mais également d'une grande fluidité. Il faut faire le grand écart entre systèmes hérités et systèmes innovants en institutionnalisant les deux : "45 % des DSI déclarent aujourd'hui déjà disposer d'un mode d'exploitation rapide et nous pensons que d'ici 2017, ce sont 75 % des organisations qui seront bimodales d'une manière ou d'une autre", commente-t-il. Pour sa part, l'ERP postmoderne incarne cette bimodalité et le moment semble venu de faire mouvement dans cette direction ; comme le disait Winston Churchill, "Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge".
Benoît Herr