Créée en 1993 à Cracovie sous l'impulsion du professeur Janusz Filipiak, l'entreprise, dont le nom est l'acronyme de "Computer Architecture", reste aujourd'hui encore familiale alors même qu'elle est cotée à la bourse de Varsovie depuis 1999. Si le professeur et son épouse Elzbieta détiennent à eux deux 43,26 % des parts (32,85 % pour le premier, 10,41 % pour la seconde), ces parts sont dites privilégiées et octroient 41,28 % des voix à celui-ci et 27,98 % à son épouse, soit 69,26 % des voix pour le couple. Les décisions sont donc largement prises en famille ; on notera que Janusz Filipiak ne détient pas la majorité absolue des voix et dépend donc de son épouse pour faire valoir sa position.
En 2013, Comarch a généré 939 millions de zlotys de chiffre d'affaires, ce qui correspond à 223 M€, un chiffre d'affaires en croissance permanente depuis 2000. Elle est classée en 45ème position dans le dernier Truffle 100, en progression de trois places par rapport à l'édition précédente de ce palmarès. Le nombre de ses collaborateurs était en 2013 de 4 222 et tourne aujourd'hui autour de 4 500, dont 1 100 affectées à la R&D. L'entreprise réinvestit entre 10 et 15 % de son chiffre d'affaires en R&D tous les ans.
L'international
Si en 2013 la Pologne représentait encore 57,7 % du CA, en 2014 elle n'interviendra plus que pour 52 %. La tendance est donc clairement à l'internationalisation, un axe de développement stratégique qui a commencé dès le début des années 2000. Naturellement, les premiers pays concernés ont été les pays germanophones, Allemagne en tête.
La filiale française s'est néanmoins établie dès 2005, à Lille (siège) et à Grenoble, à la suite de la conclusion d'une affaire avec le groupe Auchan. Elle compte aujourd'hui quelque 70 collaborateurs. Comarch est présente actuellement dans la plupart des pays européens ainsi qu'au Canada, aux États-Unis, au Panama, au Chili et dans les Émirats Arabes Unis. En 2013, l'Allemagne, l'Autriche et la Suisse ont représenté 20,1 % de son chiffre d'affaires, les autres pays d'Europe 15,8 % et les Amériques 5,9 %.
Le dragon caché
Pour Zbigniew Rymarczyk, vice-président et directeur du secteur ERP de Comarch, sa société serait un dragon caché. C'est en tout cas la remarque qu'un journaliste allemand lui aurait faite à l'issue d'une présentation et qu'il reprend à son compte.
Le professeur Janusz Filipiak dans son bureau de Cracovie (cliquez pour agrandir)
Les ventes d'ERP affichent en effet une croissance de 33 % sur les trois premiers trimestres de 2014 et Comarch est devenu, avec 14 % de parts de marché, le deuxième éditeur d'ERP en Pologne, derrière SAP, qui s'arroge 39,6 %. En 2002, avec 2,3 % seulement, Comarch occupait la dixième place ; sa progression a donc été significative. Il faut dire que les entreprises clientes ne sont pas les mêmes que celles de SAP : si ce dernier s'adresse toujours quoi qu'on dise avant tout aux grands comptes, Comarch occupe le terrain des PME et des ETI. En France, ses concurrents les plus directs se nomment Microsoft, Divalto ou encore Sage.
Pour Zbigniew Rymarczyk, la plus grande innovation, dans le cadre d'une évolution vers ce qu'il qualifie d'ERP 2.0, reste la BI (Business Intelligence) et plus particulièrement la BI sociale. "Elle est devenue obligatoire", affirme-t-il. Et de s’enorgueillir de 13 ans d'expérience en la matière et de douzaines de projets réussis avec des banques, des assurances, des telcos, des hôpitaux ou même des organismes publics. Comarch propose, comme pour tous ses autres produits, ses propres solutions de BI (reporting, gestion de la performance, mobilité, Big Data, gestion de datawarehouses etc.) et revendique plus de 2 500 installations en BI.
Le cloud
La première installation d'un ERP Comarch dans le cloud date de 2000 ! Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts et l'entreprise gère en direct cinq datacenters en Europe. Elle envisage d'en ouvrir un sixième en France en 2015. Des locaux de 1 500 mètres carrés sont déjà prévus et quelque 10 millions d'euros devraient être investis dans cette installation. Les autres datacenters européens se situent à Cracovie, Varsovie, Dresde, Londres et Luxembourg. L'entreprise exploite également d'autres datacenters en Amérique, en Asie, et fonctionne en partenariat avec d'autres hébergeurs. Sa taille critique lui permet de revendiquer la présence de plus de 100 000 entreprises dans son cloud.
L'offre est très diversifiée et va du simple hébergement à l'ERP dans le cloud en passant par le e-commerce, l'EDI et les sauvegardes/restauration. Particularité de ce cloud : il repose sur une infrastructure propre, comme toutes les solutions de Comarch, puisque c'est la stratégie définie par le professeur Filipiak. "Il est souvent difficile de travailler avec des partenaires : les grands clients, par exemple, ont besoin de systèmes personnalisés autour de leur ERP. Et de toute façon on ne peut pas comparer les approches européenne et américaine (en réponse à l'exemple des Google, Amazon et autres, NdlR) : en Europe, il est beaucoup plus difficile de créer une masse critique", nous confie celui-ci dans un français parfait (il a été chercheur à Rennes par le passé).
Un mini-SAP ?
Hormis quelques acquisitions (Software & Beratung AG, A-MEA Informatik AG...) , le développement de la société repose essentiellement sur de la croissance organique. Et ses solutions sont le fruit de la R&D propre à Comarch, qui ne s'appuie guère sur des partenariats.
"Nous sommes comme un mini-SAP mais en beaucoup plus moderne : nous avons le même modèle. Et nous ne rachetons éventuellement que des entreprises qui ne font pas plus de 10 % de notre taille.", explique Janusz Filipiak, qui estime que dans un avenir proche on verra des projets de transformation en profondeur en Europe occidentale, comme celui de cette banque allemande équipée aujourd'hui de 2500 systèmes informatiques. "On assistera aussi au retour de l'infogérance dans les grandes sociétés, au moins pour le back-office", ajoute-t-il.
Outre le développement de solutions propres et innovantes et l'expansion internationale, la stratégie de Comarch repose surtout sur la diversification.
Diversification tous azimuts
On a tendance à l'oublier, mais à l'origine, l'entreprise développait des solutions logicielles dans le domaine des télécommunications. Son ERP est né ultérieurement ainsi que le cloud évoqué ci-dessus. Mais la diversification est loin de s'arrêter là.
L'entreprise a investi dans une clinique privée située à une centaine de mètres de son siège social de Cracovie, dans le but de développer une solution d'informatique médicale. "Pour cela, il est nécessaire de disposer d'une clinique", constate Janusz Filipiak. "Nous avons équipé celle-ci de téléradiologie, de télémédecine, etc. Au total ce sont 60 médecins et 200 patients qui utilisent ces services de télémédecine. Et même si nous bénéficions d'un financement de Bruxelles sur ce projet, il continue, cinq ans après le démarrage, à nous faire perdre de l'argent".
L'opérateur de télésurveillance des ECG (cliquez pour agrandir)
Là encore, les solutions sont développées de bout en bout par Comarch, comme la surveillance à distance de malades cardiaques. L'appareil ECG portatif (cf. photo), par exemple, est propriétaire. Le signal est transmis par l'appareil via le réseau GSM à une salle de surveillance où un opérateur spécialement formé analyse les alertes et intervient en cas de besoin auprès d'un médecin. La démarche s'applique dans des cas de recherche de troubles du rythme cardiaque, par exemple, ce qui évite aux patients une hospitalisation longue et contraignante et à la société des dépenses lourdes.
L'appareil ECG portatif de Comarch (cliquez pour agrandir)
Dans les domaines de la ville intelligente et des objets connectés, la diversification devient encore plus stratégique pour l'entreprise. Via sa filiale Comarch Technologies, l'entreprise agrège la production de matériel et de logiciel embarqué dans les domaines de la e-santé et de la télémédecine comme évoqué ci-dessus, mais aussi de l'Internet des objets et de la mobilité.
Le dernier né a été baptisé Beacon. Il s'agit d'une balise (beacon en anglais) de localisation, détectrice de mouvements mais également équipée de senseurs de température et de détecteurs de chocs. Triangulaire, elle mesure environ cinq centimètres dans sa plus grande dimension (cf. photo). Elle est aussi capable de fournir des informations sur son propre état et sa propre identité, évitant ainsi la falsification du signal. Faiblement consommatrice en énergie, elle est censée fonctionner en autonomie pendant trois ans et communique avec les objets environnants via bluetooth. Pré-intégrée avec les autres produits de Comarch, elle fonctionne avec la technologie propriétaire iBeacon. Indépendante de l'OS utilisé par l'unité mobile avec laquelle elle communique (iOS, Android ou Windows Phone), son principal rôle est de signaler sa présence. L'objet et la solution devraient être commercialisés d'ici quelques mois.
Zbigniew Rymarczyk présente un Beacon (cliquez pour agrandir)
"Les objets connectés sont stratégiques parce que notre solution est intégrée ; Beacon sera une plate-forme complète, qui proposera matériel et logiciel. Nous avons d'ores et déjà des projets avec des villes situées à l'extérieur de l'Europe", commente Janusz Filipiak. Les applications de ces Beacon sont nombreuses et vont du marketing (action personnalisée lorsqu'un client entre dans la zone de chalandise d'un magasin, par exemple) à la navigation à l'intérieur d'un immeuble (où l'utilisation du GPS est inopérante) en passant par la communication du dossier du patient à son chevet (grâce à la géolocalisation de son lit) ou la localisation de personnes. Logistique, transports, surveillance à distance, suivi de la chaîne du froid, les utilisations potentielles de ce petit objet triangulaire sont innombrables et la plupart d'entre elles restent encore à inventer.
Alors que jusqu'ici ils se faisaient plutôt discrets, il faudra sans doute à l'avenir compter de plus en plus avec ces Polonais touche-à-tout à la stratégie singulière.
Benoît Herr