Dans le cadre de la migration de ses systèmes d'information comptables et achats vers un ERP, puis de la mise en place d'une organisation en CSP (Centres de Services Partagés), la SNCF a décidé, en 2005, de passer à l'e-facturation. Avec un double objectif : réduire les coûts de traitement et mieux contrôler les flux. Il faut dire qu'avec 1,4 million de factures reçues chaque année de quelque 30 000 fournisseurs actifs, sur un panel global approchant les 100 000 références, la procédure classique commençait à atteindre ses limites : lourdeur des opérations, multiplication des erreurs, stockage des originaux, etc. La marge de progrès était évidente. La dématérialisation fiscale, d'abord proposée à la quarantaine de fournisseurs envoyant plus de 4 000 factures par an, soit environ 400 000 au total, offrait une automatisation maximum tout en supprimant les contraintes d'archivage.
À l'époque, sitôt le projet validé par la direction et cadré, le démarrage est rapide. Mais la montée en charge s'avère plus difficile que prévu. Fin 2010, après quatre ans d'efforts, moins de 300 000 factures sont finalement dématérialisées fiscalement, avec seulement une vingtaine de fournisseurs. Le blocage ne vient pas des aspects techniques, gérés par un prestataire externe, Deskom en l'occurrence, absorbé depuis par Cegedim. Ni des discordances réglementaires entre pays, y compris au niveau de l'Union européenne, puisque l'écrasante majorité des fournisseurs éligibles opèrent dans l'Hexagone. "Dans ce type de démarche, la difficulté réside surtout dans la gestion des nombreux partenaires impliqués, dans et hors du groupe", explique Brice Girod, responsable du pôle acquisition CSP à la SNCF.
En interne, la dématérialisation fiscale nécessite que les opérationnels achats respectent les procédures, en passant systématiquement des commandes par exemple, et qu'ils fassent figurer dans les appels d'offres la possibilité de facturer par voie électronique. Le défi est également externe, puisqu'il faut convaincre les fournisseurs de l'intérêt de transmettre leurs factures sous forme de fichiers et obtenir leur consentement par la signature d'une convention, sachant que leurs profils sont très hétérogènes, en taille et en volume de facturation, mais aussi en termes de maturité sur le sujet.
Entrée principale du siège social Campus étoiles (C) SNCF Médiathèque - Jean-Jacques d'Angelo
Pour avancer, la SNCF envisage alors de déployer la dématérialisation simple : échange de fichiers non structurés et non signés électroniquement ou de fichiers structurés mais ne respectant pas les modalités du Code général des impôts, comme étape intermédiaire pour les fournisseurs déjà capables de lui envoyer des flux électroniques à la place des factures papiers.
Depuis, en y ajoutant les évolutions règlementaires de 2013 et 2014 et grâce à la sensibilisation croissante des entreprises, le projet a pris de l'envergure. "En décembre dernier, nous avons dépassé les 500 000 factures reçues sous forme électronique sur l'année, intégralement au sens fiscal", indique Brice Girod. "Soit un taux de dématérialisation approchant les 40 %".
Pour permettre aux fournisseurs d'envoyer un "fichier unique" au format de facturation pris en charge par l'ERP Peoplesoft de la SNCF, trois modes de transmission sont proposés, à travers la plate-forme GIS de Cegedim. D'abord, des flux EDI classiques, au sens de l'article 289 bis du Code général des impôts. "Pratiqué depuis l'origine du projet, ce premier canal s'adresse aux fournisseurs qui envoient plus de 1 000 factures par an et disposent d'un système comptable capable d'émettre nativement des messages XML structurés, sans développements supplémentaires", détaille le responsable. De préciser : "du recueil du consentement jusqu'à la mise en production, deux à trois mois de travail sont nécessaires". Mais les avantages sont nombreux. En plus d'envois en masse, d'une intégration automatique et d'une sécurité fiscale, il est possible d'associer des données à valeur ajoutée, par exemple les consommations ou les volumes, pour faire du contrôle de gestion.
Second mode de transmission : l'envoi d'un fichier PDF signé, au sens de l'article 289 V, associé à des données. "Mis en œuvre à partir de 2012 pour les fournisseurs envoyant quelques centaines de factures par an, il est facile et peu coûteux, puisque n'importe quel logiciel de facturation peut produire ce type de fichier", assure Brice Girod. Rapide aussi, entre un et deux mois, et sans aucune rupture dans le fonctionnement, puisque la facture électronique est identique à celle au format papier. Enfin, également depuis 2012, les fournisseurs qui n'émettent que quelques dizaines de factures par an, voire seulement une ou deux, peuvent opter pour le mode "saisie", sur un portail dédié. "Avec environ 10 000 factures ainsi saisies par 150 fournisseurs l'an dernier, ce canal d'e-facturation a été la bonne surprise, dès son lancement", se félicite Brice Girod.
Surtout, tous canaux confondus, les gains sont au rendez-vous. En termes de délais de traitement d'abord, en commençant par l'envoi-réception. "Pour comparaison, alors que 60 % des factures papier sont acheminées et intégrées en plus de six jours, seules 30 % des factures électroniques dépassent ce délai", indique Brice Girod, pointant l'impact sur le paiement. Le gain économique est également considérable : "le coût de traitement d'une facture papier peut être quinze fois supérieur à celui d'une facture dématérialisée, lorsque cela se passe mal", estime le responsable. Autres avantages, enfin, la traçabilité et la conformité des opérations, ainsi que la possibilité pour les fournisseurs de suivre le traitement de leurs factures.
Terrasses du 4è étage du siège social Campus (C) SNCF Médiathèque - Jean-Jacques d'Angelo
Si le déploiement se poursuit, le responsable ne se fait pas trop d'illusions, car de nombreux freins subsistent. Des freins exogènes à la SNCF d'une part, du fait des réticences autour des aspects techniques et du coût de mise en œuvre, ou du poids des habitudes. "Beaucoup de fournisseurs sont encore attachés au papier", constate Brice Girod, qui explique que le succès passe aussi par un "assainissement de la relation" : fiabilisation des données, apurement des litiges, clarification contractuelle, etc.
Il existe également de nombreux freins internes, à commencer par la taille du référentiel fournisseurs. "Dans l'idéal, nous souhaiterions basculer l'ensemble en électronique, mais c'est évidemment impossible", regrette Brice Girod. "Contacter, convaincre et basculer les presque 30 000 fournisseurs encore en papier est consommateur en temps et en ressources". En outre, "pour que le projet réussisse, tous les acteurs de la chaîne doivent être impliqués : comptabilité, informatique, achats", poursuit le responsable. "Or, le coût des factures reçues n'est souvent pas intégré dans la réflexion des acheteurs, qui ne font donc pas de cette condition un prérequis. Pour eux, la facture n'est souvent qu'une donnée administrative, en bout de chaîne". Pour continuer à avancer, un travail de sensibilisation a donc été engagé auprès des équipes achats.
Thierry Parisot