Lors de la conférence semestrielle de Syntec Numérique, qui s'est tenu le 1er avril dernier, son président, Guy Mamou-Mani s'est montré très optimiste. "Le numérique a de beaux jours devant lui", a-t-il affirmé en présentant les chiffres prévus pour 2015 : après une croissance effective de 0,9 % en 2014 (alors que la prévision s'élevait à 0,7 %), Syntec Numérique prévoit une croissance de 1,8 % en 2015, qui reste cependant inférieure aux niveaux de 2011. Le marché du numérique représentera 50,4 milliards d'euros en 2015, dont 61 % pour les ESN (conseil et services), 22 % pour l'édition de logiciels et 17 % pour le conseil en technologies, ce qui représente une augmentation de 1,7 % pour les ESN, de 3,4 % pour l'édition de logiciels et une croissance nulle pour le conseil en technologies.
L'innovation et la transformation numérique
Cette prévision de croissance relativement modeste cache des tendances fortes : tandis que les activités traditionnelles représentent 90 % du secteur et sont en légère décroissance, la transformation numérique en représente 10 % et augmente de 18 %. Cette dernière regroupe un ensemble de domaines représentés par l'acronyme SMACS (Social, Mobile, Analytics, Cloud, Security), autrement dit réseaux sociaux, mobilité, analytique et Big Data, cloud et sécurité.
En ce début d'année 2015, l'activité des ESN progresse. 69 % d'entre elles enregistrent une accélération des projets de transformation et d'innovation. En 2015, les SMACS augmenteront de 15,8 % et atteindront 10 % de ce marché. L'offshore représente 7,7 % du marché français, augmentant de 1 % par an.
L'édition de logiciels progresse aussi bien dans les premiers équipements de nouveaux clients que dans des remplacements de logiciels. Cette année, les SMACS vont croître de 21 % pour atteindre 22 % de l'activité des éditeurs. Le SaaS progressera de 26 % en 2015 et représentera 15 % du marché du logiciel.
La baisse du conseil en technologies en 2013 et 2014 a été la conséquence de la fin des gros projets aéronautiques et de l'arrivée de Free sur le marché des télécoms, qui a entraîné la rationalisation des contrats des autres opérateurs. Mais le relais est pris en 2015 par d'autres marchés comme ceux de l'automobile, du transport et de l'énergie. L'offshore représente 1,4 % du conseil en technologies.
L'emploi
Le secteur du numérique compte 365 000 emplois en France, dont 265 000 informaticiens. D'après l'APEC (Association Pour l'Emploi des Cadres), 35 000 recrutements de cadres devraient être effectués en 2015 dans ce secteur. Depuis plusieurs années, le nombre d'emplois net créés est en moyenne de 10 000 par an : le secteur du numérique compte 18 trimestres consécutifs de création nette d'emplois. "Le secteur se caractérise par l'attractivité et la sécurité de l'emploi, se félicite le président de Syntec Numérique. Il recrute beaucoup de jeunes et 93,6 % de ses salariés sont en CDI."
Mais la sous-représentation des femmes dans la profession pose problème : elles ne représentent que 27,3 % des salariés. Une étude a révélé que seuls 13 % des 68 000 ingénieurs dans le numérique sont des femmes. "Nous travaillons à améliorer ces chiffres grâce à de nombreux projets et actions dans le cadre d'une approche citoyenne. L'idée est de former toute la population à l'informatique", affirme Guy Mamou-Mani.
Syntec numérique a signé il y a 2 ans un accord sur le chômage partiel dans la profession avec les syndicats. Étudié au plus fort de la crise, cet accord stipule qu'en travaillant 70 % du temps, le salarié touche 90 % de son salaire. Ces dispositions peuvent concerner un seul secteur d'une entreprise ou une seule implantation régionale.
Le financement
Guy Mamou-Mani, président de Syntec Numérique
Le Crédit Impôt Recherche (CIR) est un sujet sensible : il est souvent critiqué à cause de certains abus ou parce qu'il serait inutile, ce que conteste Guy Mamou-Mani : "c'est la combinaison entre les formations de qualité (ingénieur, BTS...) et le crédit impôt recherche qui a fait le succès de l'industrie du numérique. La France est considérée comme le 2e pays au monde dans ce domaine." Syntec Numérique a été auditionné par la commission sénatoriale enquêtant sur les abus du crédit impôt recherche. Il ressort que, dans le numérique, les abus se montent à environ 4 % du total. Avec des partenaires, Syntec Numérique lutte contre les mauvaises pratiques de certaines entreprises. Autre critique, le CIR favoriserait les grandes entreprises par rapport aux petites. Pour le président de Syntec Numérique, "le CIR est utilisé par de nombreuses start-up et PME du numérique, qui reçoivent 800 millions d'euros au titre du CIR, sur les 6 milliards attribués globalement en France."
Véronique Torner, présidente de la commission PME de Syntec Numérique, affirme que "c'est un des premiers arguments d'attractivité pour les grandes entreprises mondiales qui veulent s'installer en France." Une enquête auprès de 256 entreprises montre que 53 % d'entre elles bénéficient d'un agrément CIR, 74 % considérant qu'il a un impact direct sur la R&D, tout particulièrement sur les investissements en R&D et le recrutement de personnel de R&D.
L'attribution de fonds du CIR à une entreprise génère de nombreux contrôles de la part de l'administration. Ceux-ci touchent 31 % des sociétés de conseil en technologies, 53 % des ESN et 58 % des éditeurs de logiciels, soit près d'une déclaration sur deux ces cinq dernières années. Ces procédures suscitent de nombreuses contestations de la part des entreprises, qui sont le plus souvent prises en compte : 98 % des entreprises contrôlées ne sont finalement soumises à aucune pénalité.
C'est le manque de clarté dans la définition de la notion de recherche qui entraîne une bonne partie de ces investigations. L'administration se demande si l'argent attribué est utilisé à autre chose que de la recherche. Syntec Numérique travaille actuellement avec le Ministère de l'Enseignement et de la Recherche pour clarifier la situation à l'aide d'un document.
La formation à l'informatique, la promotion du numérique
La formation à l'informatique à l'école est une préoccupation majeure de Syntec Numérique, qui travaille dans ce domaine en partenariat avec l'Association Pascaline et avec CinovIT, la chambre professionnelle des TPE et PME du numérique. Ces actions rencontrent de la résistance et les résultats ne sont pas à la hauteur. L'un des objectifs consiste à intégrer le numérique dans l'enseignement de l'école primaire alors qu'il est actuellement pris en compte par les activités périscolaires. Mais les nouvelles méthodes d'éducation utilisent le numérique : cela impose de transformer les méthodes et les équipements et de revoir les plages horaires. La solution consiste à privilégier la formation par l'usage : comme l'explique Muriel Barneoud, présidente du collège éditeurs, "il faut passer de l'apprentissage théorique à l'apprentissage pratique pour ne pas laisser cette matière dans la marge." La formation à l'informatique concerne particulièrement les filles, pour lesquelles il y a un travail à faire dans la communauté éducative avec les conseillers d'orientation et les enseignants. Mais l'évolution est lente.
Par ailleurs, Syntec Numérique organise cette année la deuxième édition du concours Talents du Numérique pour mettre en avant et appuyer des projets d'étudiants, avec remise des trophées le 21 mai 2015.
Syntec Numérique, positionnement et objectifs
L'enjeu du numérique suscite de nombreuses initiatives : France Digitale regroupe les entrepreneurs et les investisseurs du numérique ; Embedded France représente les acteurs des logiciels et systèmes embarqués, y compris les pôles de compétitivité, dont Systematic, dans le cadre de la Nouvelle France Industrielle, préparant l'industrie du futur. "La France est un pays numérique et un pays d'entrepreneurs mais il faut augmenter le nombre de sociétés innovantes", insiste Guy Mamou-Mani. Par ailleurs, en 2014, Syntec Numérique et l'AFDEL (Association Française Des Éditeurs de Logiciels) ont discuté d'un éventuel rapprochement mais actuellement les discussions sont en suspens. De son côté, Syntec numérique compte 700 éditeurs de logiciels et enregistre 15 adhésions par mois.
"Face aux problèmes que rencontre la France, arrêtons de la dénigrer et travaillons à trouver des solutions. C'est ce que nous faisons", conclut le président de Syntec Numérique.
René Beretz