En repoussant les frontières et en étirant les chaînes de valeur, sourcing et distribution ont exposé l'entreprise à de nouveaux risques et amplifié les anciens (défaillances financières, catastrophes naturelles, accidents industriels, grèves...). La carence du "fournisseur d'un fournisseur" de pièces assemblées en Asie peut désormais induire l'arrêt des chaînes de production d'un industriel européen ; le non-respect du droit du travail par un sous-traitant peut durablement dégrader l'image d'une entreprise et la faillite d'une compagnie maritime transportant des produits finis peut entraîner, comme ce fut récemment le cas avec l'armateur Hanjin Shipping, un désastre pour les distributeurs à la veille des fêtes de fin d'année... Ainsi, maîtriser "l'effet papillon" d'un bout à l'autre de la chaine logistique devient-il un enjeu crucial pour les entreprises qui souhaitent maîtriser la gestion de leurs risques.
De nombreux exemples récents témoignent de cette fragilité
Comme nous venons de l'évoquer, la récente faillite de Hanjin Shipping, l'un des leaders de la logistique maritime, l'a contraint à abandonner 500 000 containers transportant 14 milliards de dollars de marchandises en pleine mer. General Motors a, de son côté, dû rappeler près de 4,3 millions de véhicules dotés de systèmes logiciels défectueux. Quant au groupe Fiat Chrysler, il a rappelé 1,9 million de véhicules à l'échelle mondiale suite à la découverte de potentiels défauts dans les airbags et les ceintures de sécurité. À l'échelle européenne, Volkswagen a dû interrompre la production de près de 10 000 véhicules, ne disposant pas des pièces nécessaires à leur construction, suite au refus de livraison de l'un de ses fournisseurs. Samsung enfin a rappelé un million de Galaxy Note 7 en raison du risque de combustion spontanée des appareils.
Tous ces exemples laissent à penser que les chaînes d'approvisionnement deviennent de plus en plus fragiles et nous allons tenter de comprendre quelles en sont les principales causes...
L'écosystème : force et faiblesse pour l'entreprise en réseau
Depuis l'âge d'or du Fordisme, où tous les composants étaient fabriqués en interne, le secteur de l'automobile a considérablement évolué. Aujourd'hui, les fournisseurs créent et assemblent eux-mêmes 75 % des pièces dont les constructeurs ont besoin. Chaque véhicule est donc fabriqué par plusieurs entreprises qui évoluent au sein d'un écosystème complexe de partenaires, constituant un même réseau et une même chaîne de valeur. Ainsi, quel que soit le secteur d'activité sur lequel il intervient (automobile, électronique, habillement, etc.), le fabricant de produits complexes est aujourd'hui beaucoup plus dépendant de son écosystème de fournisseurs qu'il ne le pense.
Le récent fiasco de Volkswagen a bien montré le lien indivisible qui unit la performance de l'écosystème dans son ensemble à celle des partenaires pris individuellement. Car, en cas de déséquilibre ou de rupture, c'est le système tout entier qui se trouve menacé !
Tous les écosystèmes sont sujets aux conflits et aux frictions. Prenons un exemple courant : le coût des composants. Il est délicat d'équilibrer la répartition des coûts dans l'écosystème et la valeur créée. Quelle part de valeur représentera ce siège auto premium dans le produit fini ? Qu'en est-il du nouvel écran de ce smartphone ? Et combien le fournisseur devrait-il facturer ce nouveau composant à l'équipementier ?
Dans tous les secteurs, on demande aux fournisseurs de réaliser d'importants investissements à long terme pour optimiser leur R&D et améliorer la valeur des composants utilisés dans le cadre de la fabrication du produit fini. S'ils ne parviennent pas à rentabiliser ces dépenses, notamment en raison des pressions subies de la part des équipementiers, une situation de déséquilibre se crée. Et alors que de plus en plus de nouvelles technologies font leur entrée dans l'écosystème, toutes soumises à des négociations tarifaires serrées, ce phénomène tend à s'amplifier.
Ainsi, quelle serait la valeur d'un système visuel développé intégralement par une petite start-up israélienne, dont un constructeur automobile pourrait se servir pour commercialiser le premier véhicule autonome du marché ? Ou celle d'un nouveau capteur pour "wearables" (vêtements intelligents) permettant de détecter les troubles cardiaques ? Ou encore celle d'un dispositif haptique qui pourrait révolutionner l'expérience du divertissement ?
Dans ces contextes de fabrication complexes, la concurrence ne concernera bientôt plus les entreprises, mais leurs écosystèmes tout entiers. Pour éviter de fragiliser leur chaîne d'approvisionnement internationale, les organisations vont devoir adopter une vue d'ensemble de leur écosystème et changer fondamentalement leurs relations avec leurs partenaires. Outre les partenariats stables et long terme noués avec leurs fournisseurs de confiance, ces mêmes organisations vont devoir développer des relations plus éphémères avec de nouveaux prestataires, en acceptant la possibilité de l'échec et en restant prêtes à poursuivre leur développement sans ces nouveaux prestataires. Gartner appelle cette approche "la Supply Chain bimodale".
Impossible donc aujourd'hui de faire marche arrière, aucune entreprise n'étant capable de gérer intégralement les systèmes complexes qu'elle développe ! Ainsi, seules les organisations réactives qui sauront dépasser une approche individuelle à chaque partenaire et adopter une vue d'ensemble de leur écosystème pourront s'en sortir. C'est une véritable révolution qui s'opère et les partenaires de la chaîne d'approvisionnement sont désormais en passe d'assumer un rôle tout aussi stratégique que celui de leurs donneurs d'ordre, les équipementiers.
De la nécessité d'un écosystème agile
Pour revenir à l'exemple de Volkswagen, l'interruption de sa production résultait en partie de son approche sourcing, qui s'appuyait sur un seul fournisseur pour le composant en cause. Pour Volkswagen, cette stratégie d'approvisionnement unique s'est donc révélée désastreuse et pour Prevent Group, son fournisseur, ce partenariat exclusif s'est également soldé par un échec cuisant.
Toutefois, si elles disposent de l'agilité requise pour passer rapidement d'un écosystème à un autre en cas de problème, les entreprises peuvent se permettre de mettre en place des stratégies mono-fournisseur ou mono-client. Malheureusement, les équipementiers et les fournisseurs, généralement soumis à un manque de souplesse et de réactivité du fait de leurs systèmes IT, ne parviennent pas à mettre en œuvre ce type de décision dans les délais imposés par le marché ! Car la plupart des acteurs de la fabrication complexe s'appuient sur des systèmes ERP classiques trop lourds, qui ne permettent pas de gérer les processus et les données en dehors de l'organisation. Cette approche s'oppose donc directement au concept de l'écosystème, qui repose sur l'interopérabilité et le partage en temps réel de données pertinentes entre les partenaires.
On peut poursuivre le raisonnement en s'intéressant plus particulièrement au domaine de la logistique automobile. Si tous les constructeurs automobiles font aujourd'hui appel à des sociétés spécialisées pour gérer le transport de leurs produits, c'est parce qu'aucun d'entre eux ne semble capable d'assumer cette partie de sa chaîne d'approvisionnement. Là encore, il est impossible de définir une approche universelle car chaque chaîne est unique : acheminement des composants et des sous-ensembles, transport des véhicules produits, expédition de pièces de rechange souvent volumineuses... sans parler de l'impression 3D, qui risque fort de compliquer les choses !
Le cloud, indispensable brique à la construction du réseau du futur
Compte-tenu de cette complexité, aucune organisation ne peut aujourd'hui se suffire à elle-même ! L'avenir appartient inexorablement aux entreprises organisées en réseau, la connectivité du réseau permettant de proposer une vue unique de l'écosystème. Ainsi, à partir de cette vue unique, les décideurs pourront s'affranchir de leurs données ERP de manière simultanée avec des données temps réel provenant du réseau étendu. Ces données sont celles dont les responsables des systèmes ERP ont souhaité pouvoir disposer depuis plus de 10 ans, sans pouvoir y accéder dès qu'une étape de fabrication avait lieu dans une entreprise externe, mais cela est désormais possible ! Et c'est possible uniquement grâce aux nouvelles plateformes cloud, qui permettent de partager en temps réel les données relatives aux stocks, aux envois et aux documents associés et ce, avec l'ensemble des partenaires et à tous les niveaux de la chaîne logistique. Ainsi, la question qui se pose n'est plus de procéder au remplacement des systèmes ERP existants, mais plutôt de s'appuyer sur les investissements réalisés pour étendre la portée de la solution au-delà du périmètre de l'entreprise.
Par Boris Felgendreher, senior marketing director EMEA chez GT Nexus
*Effet papillon : élément d'une chaîne de causalité, spécifiquement le fait qu'un petit changement de conditions initiales provoque une grosse différence à la fin de la chaîne. Calqué de l'anglais "butterfly effect", lui-même issu du nom de la thèse "Predictability: Does the Flap of a Butterfly's Wings in Brazil Set Off a Tornado in Texas?" ("Prédictibilité : Le battement d'aile d'un papillon au Brésil peut-il déclencher une tornade au Texas?"), par Edward Lorenz.