Les études varient, cependant, quant à la position de l'éditeur sur l'échiquier mondial des acteurs de l'ERP : si Infor était clairement passé devant Microsoft dans le rapport "Clash of the titans 2016" du cabinet américain indépendant spécialisé dans les ERP Panorama Consulting Solutions (PCS) (voir Nouvelle donne sur le marché), la situation est plus contrastée dans le même rapport daté de 2017 : précisons que cette étude classe les éditeurs non pas en fonction de leur chiffre d'affaires mais de leur fréquence de sélection par les répondants à l'enquête (470 répondants ayant choisi ou mis en place une solution ERP SAP, Oracle, Microsoft ou Infor entre octobre 2015 et novembre 2016). En 2017, Microsoft est passé en deuxième position et ce sont Oracle (malgré le rachat de Netsuite) et Infor qui se disputent la troisième place, avec 13 % de parts de marché chacun. Microsoft s'arroge 16 % et SAP caracole toujours en tête, avec 19 %.
Concernant Infor il ressort également de cette enquête de PCS comparant des quatre géants de l'ERP qu'il s'agit de l'éditeur pour lequel les durées d'implémentation sont les plus courtes et les plus prévisibles, qu'il s'agit de celui pour lequel le coût total de possession est le plus faible, le retour sur investissement le plus rapide et les coûts le moins souvent revus à la hausse. Mais c'est aussi l'éditeur pour lequel les utilisateurs estiment réaliser le moindre ratio de bénéfices attendus, chez lequel on voit le plus souvent des démarrages en mode "Big Bang", où l'on trouve le ratio de développements spécifiques le plus élevé et les interruptions de service les plus longues. Enfin, malgré sa stratégie "tout cloud" pour le moins agressive (voir L'écosystème d'Infor réuni dans la grosse pomme) c'est aussi celui des quatre pour lequel les répondants à l'enquête ont déclaré utiliser le moins le cloud.
Rachats et ingéniosité
L'éditeur a vu le jour en Pennsylvanie en 2002 sous le nom d'Agilsys avec dès le départ une stratégie de croissance externe : sa première acquisition a été l'allemand Brain AG dès décembre 2002. Suivirent des entreprises connues, comme GEAC, Lawson , GT Nexus, Mapics, SSA (l'ERP BPCS de la firme de Chicago était à une époque très répandu dans le monde industriel, sans doute au premier rang de ceux-là)... pour n'en citer que quelques unes, et d'autres moins connues. Au total plus d'une quarantaine.
Autant de noms qui ont disparu du paysage depuis 2002 pour entrer dans le giron d'Infor. SSA, devenu un temps SSA Global, a été racheté par Infor en 2006. Mais en 2003, SSA avait lui-même acquis un autre grand nom de l'ERP de l'époque : le Hollandais Baan. De son côté, Lawson, racheté par Infor en 2011, avait en 2006 lui-même racheté le Suédois Intentia. Les transactions se montent en général à des sommes conséquentes : un milliard de dollars pour GEAC, deux pour Lawson, par exemple.
Payante aujourd'hui, la stratégie de l'Américain a été élaborée dès le début, avec dès 2006 le démarrage du processus de réécriture des applications en verticaux et avec des technologies plus modernes que celles héritées de leurs anciens propriétaires. Mais le trait de génie est venu de ION (Intelligent Open Network), un middleware mettant à profit XML et basé sur la norme OAGIS (Open Applications Group Integration Specification) permettant de faire communiquer facilement toutes ces applications venues d'horizons divers et variés, et par là même aussi les applications tierces. C'était la seule solution pour l'éditeur pour transformer un invraisemblable patchwork applicatif en ensemble cohérent. Pari réussi, apparemment.
Charles Phillips, CEO d'Infor - (C) John McGall
Autre étape majeure pour l'entreprise, celle du changement de management en 2010, avec l'arrivée de l'ex-Oracle Charles Phillips, qui est venu accompagné de son staff, dont Duncan Angove, Stephan Scholl ou encore Pam Murphy. Charles Phillips a commencé sa carrière informatique dans la marine américaine, puis, après avoir été un temps chez Morgan Stanley, a été recruté par Larry Ellison en 2003. Mentionnons que Charles Phillips a également été conseiller du président Obama sur les questions économiques. C'est cette nouvelle équipe de direction qui a véritablement fait décoller Infor, lui a instillé un esprit d'entreprise et redéfini la stratégie, plus claire, axée sur les verticaux voire les micro-verticaux et l'expérience utilisateur, au travers de l'agence de design Hook & Loop, chez qui au passage le CEO a fait transférer le siège social.
Predictix est l'un de ces micro-verticaux, racheté par Infor en juin 2016. Solutions prédictives en mode cloud, les outils de Predictix exploitent des technologies comme le machine learning ou le Big Data et se destinent aux professionnels de la distribution.
Un utilisateur d'avant
Quant aux clients, Infor en revendique 90 000 dans le monde. Le Français spécialiste de la mode à petit prix Kiabi est de ceux-là (au moins depuis juin 2016 – cf. infra). La société a démarré un projet Pedictix fin 2014. L'entreprise compte 480 magasins dans le monde et est déjà présente dans 14 pays. Elle génère de l'ordre de 1,8 milliards d'euros de chiffre d'affaires, vend quelque 300 000 000 de pièces par an et ambitionne de se développer plus encore à l'international.
Pour cela, elle compte notamment sur son système d'information, car elle développe la quasi-totalité de ses produits en interne, soir 6 000 modèles par semestre, qui se déclinent en 2 coloris et 5 tailles. "Nous faisons 6 collections par an depuis 2014", ajoute Olivier Fruy, directeur des études sur le périmètre supply chain chez Kiabi. "Or, l'outil que nous utilisions précédemment ne savait gérer qu'une collection tous les six mois. C'est pour cela que nous avons lancé le projet LS&D (Link Supply and Demand), dont l'objectif est d'améliorer l'expression des besoins des collections".
Dans le cadre de ce projet, Predictix a été retenu et est aujourd'hui opérationnel. Auto-apprenant, il communique avec l'ERP et est utilisé sur deux périmètres, "Merchandize and financial planning" et "Forecast & Replenishment".
Olivier Fruy, directeur des études - supply chain, Kiabi
- Opérationnel depuis janvier 2017, "Merchandize and financial planning" consiste à réconcilier les collections avec l'exploitation dans les différents pays afin de faciliter le développement à l'international. L'outil permet de positionner un chiffre d'affaires global sur un territoire et d'ajuster les volumes et les performances. Il fournit aussi une vision intégrée des budgets et des ventes. Predictix est utilisé pour faire de la prévision : il permet notamment de gérer les produits saisonniers et les produits permanents (qui représentent de l'ordre de 10 % de l'offre).
- Opérationnel depuis avril dernier, F&R (Forecast & Replenishment) travaille quant à lui au niveau produit (et non plus famille de produits). "C'est une machine à faire des calculs de besoins et de prévisions de ventes au niveau référence/coloris/semaine, c'est-à-dire notre maille la plus fine", commente Olivier Fruy. Pour les produits permanents, l'outil écrit la courbe de vente et peut alors gérer les approvisionnements, en utilisant des indicateurs et des calculs sur la variabilité des éléments. Il génère des commandes d'achat à date pour les fournisseurs, quasiment en autonomie. "Le sujet est de savoir si on a réussi à faire moins de ruptures qu'avant", précise Olivier Fruy tout en répondant à son interrogation : "Nous avons considérablement amélioré la disponibilité des produits".
"Le modèle de Predictix est de se positionner sur la vision et sur la capacité à gérer de gros volumes de données. L'entreprise s'est créée dès le départ avec une vision cloud", poursuit notre interlocuteur. "Un module que nous utilisons a été développé spécifiquement pour Kiabi, c'est ce qui a généré un peu de délais".
Infor a donc racheté Predictix alors que le projet de Kiabi était en cours, en juin 2016. Olivier Fruy ne se montre pas plus affecté que cela par ce rachat et reste confiant. Il estime simplement que cela va sans doute changer un peu la stratégie de l'éditeur, notamment en allant vers une structuration de l'offre.
Benoît Herr