Cinq ans après avoir démarré la dématérialisation des factures, à travers la plate-forme InvoiceWorks de l'International Air Transport Association (IATA) fonctionnant sous SAP/B-process, Air France-KLM a décidé en 2015 de migrer vers Tradeshift. Dans un premier temps, l'utilisation de cette nouvelle solution devait se limiter aux fournisseurs à l'origine des plus importants volumes, pour un total d'un demi-million de factures par an, avec comme objectif de réduire les temps et les coûts de traitement. La compagnie aérienne entendait aussi s'appuyer sur la plate-forme pour gérer ses flux d'approvisionnement et pouvoir se rapprocher des quelque 500 000 sociétés référencées dans 190 pays. En effet, comme l'explique Charles Henri Royon, vice-président EMEA de Tradeshift, "la solution, qui permet d'organiser les relations commerciales entre des fournisseurs et des entreprises acheteuses, est à la fois une plate-forme applicative et un réseau".

Pourquoi cette migration ? "À travers la plate-forme précédente, nous avions enrôlé peu de fournisseurs, principalement par manque d'intérêt au regard des coûts induits et des contraintes techniques", explique Jean-Charles Cassé, directeur des achats indirects d'Air France. Fin 2014, dans son nouveau cahier des charges, la compagnie décide donc d'adopter un nouveau modèle économique pour évoluer vers la gratuité pour les fournisseurs et de s'orienter vers une plate-forme capable d'intégrer ou de s'interfacer avec des outils externes, tout en offrant une plus grande convivialité d'utilisation. En effet, poursuit Charles-Henri Royon, "alors que Tradeshift ne cherche pas à couvrir la totalité de la chaîne de traitement avec des applications propriétaires, notre plate-forme a depuis toujours vocation à accueillir des éditeurs tiers".
De la gestion du stock à la facturation dématérialisée
Pour Jean-Charles Cassé, Tradeshift a apporté deux changements majeurs par rapport à la plate-forme InvoiceWorks. D'une part, un modèle économique plus à même d'attirer les fournisseurs n'échangeant pas un volume suffisant de factures pour justifier un investissement dans des liaisons EDI. D'autre part, une plate-forme capable d'intégrer de nombreux standards en EDI et, pour les fournisseurs qu'Air France a jugé prioritaires, la prise en charge par Tradeshift de leur intégration. "Ainsi, l'effort pour le fournisseur et la durée moyenne pour mettre en place les interfaces sont moindres", explique-t-il.
Dans le prolongement, fin 2016, la compagnie décide également de revoir la gestion de ses flux d'approvisionnement, en particulier la gestion des commandes et des stocks, en optant pour l'externalisation. Dans le modèle jusqu'alors en place, les stocks étaient gérés dans l'ERP et les flux physiques pris en charge par un prestataire. Dans le nouveau schéma, le mode de passation des commandes doit évoluer d'un EDI classique vers du punch out, un dispositif permettant d'accéder à des catalogues externalisés. C'est ainsi que la chaîne logistique de près de 1 800 références, pour 300 escales en zones aéroportuaires, est confiée au prestataire spécialisé Docsourcing, pour les consommables d'exploitation : étiquettes de bagage, sacs plastiques, cartons à vélo, caisses à chien, trousses de première nécessité, formulaires et imprimés divers, panneaux signalétiques, etc.

Le choix de l'externalisation des flux logistiques s'explique avant tout par des raisons d'efficacité globale et de coût total du processus (TCO) : un seul système d'information pour gérer les stocks, une meilleure visibilité des produits pour les clients internes grâce à la qualité de l'interface d'accès au catalogue, une externalisation de la fonction approvisionnement pour un meilleur coût par mutualisation dans l'équipe du prestataire. Techniquement, depuis début 2017, la solution MyLink de Docsourcing héberge les catalogues. Les agents s'y connectent pour passer leurs commandes, de façon très intuitive. "MyLink est une interface de commande et de gestion unique", décrit Arthur Braemer, directeur du département solutions et innovation chez Docsourcing. "Elle a été conçue pour et avec nos clients sur une base modulaire : des briques fonctionnelles qui donnent accès à de nombreux services directement accessibles et administrables en ligne". Le périmètre de la prestation externalisée s'étend du portage du stock à la facturation dématérialisée des produits et services, en passant par la gestion des approvisionnements et la logistique de distribution (voir diagramme ci-dessus).
Un seul système pour gérer les stocks et les flux
Dans ce nouveau dispositif associant MyLink et la plate-forme collaborative Tradeshift, tout est beaucoup plus facile, selon Jean-Charles Cassé. "Le processus antérieur fonctionnait avec plusieurs flux EDI quotidiens relativement complexes à administrer entre notre ERP et le WMS du prestataire logistique, nécessitant en particulier une parfaite synchronisation et une correction en temps réel de tout blocage ou anomalie", détaille-t-il. "Avec la solution MyLink, un seul système gère l'ensemble des stocks et des flux. La communication des commandes internes via punch out et la dématérialisation des factures via Tradeshift réduisent la complexité : il n'y a plus que deux flux à réaliser au démarrage au lieu de huit EDI dans le schéma antérieur". La migration, pour passer le relais à Docsourcing, aurait elle-aussi été plutôt simple. "Nous avons transféré un stock de 2 300 palettes dans leur entrepôt et leur système a intégré les références", explique Benjamin Carel, en charge des achats opérationnels chez Air France. "Nous n'avons pas eu besoin de tout reconnecter, simplement de réaliser quelques réglages".

Sur le processus "source-to-contract" purement achats, en amont, Docsourcing ne se substitue pas à Air France. La compagnie continue de sélectionner les fournisseurs présents sur la plate-forme Tradeshift, qui gère ensuite les contrats et produit les bons de commande. Si les fournisseurs livrent directement Docsourcing, les flux de facturation remontent dans Tradeshift, pour être traités en mode dématérialisé. Dans ce schéma, près de 1 500 factures ont été produites depuis l'implémentation, au cours des six premiers mois d'exploitation. Sur la plate-forme Tradeshift, chaque fournisseur a une visibilité totale sur les flux entrants et les flux de règlement. "En combinant ainsi flux logistiques et flux de facturation, nous nous évitons un casse-tête administratif, avec une perspective de 3 millions de factures annuelles", souligne Jean-Charles Cassé. Après six mois pour caler l'organisation interne et le nouveau schéma de fonctionnement, 415 fournisseurs ont été enrôlés. "Depuis mi 2017, le rythme d'enrôlement a même atteint environ un par jour, pour 3 000 fournisseurs potentiellement adressables", se félicite-t-il.
Vers un rapprochement commandes-factures automatisé
La suite ? "Le rapprochement commandes-factures est un sujet de réflexion à moyen terme", annonce Jean-Charles Cassé. "Mais il faudrait pour cela que l'on pousse les commandes dans le système, pour permettre une réconciliation du côté de Docsourcing". Ce qui nécessite de lancer un projet dédié et donc de dégager des ressources. De même, le processus source-to-contract qui continue d'être géré par Air France dans SAP Ariba, dans le cadre d'une première phase transitoire, pourrait aussi être externalisé. "Quand Docsourcing aura acquis la connaissance suffisante des produits et des enjeux et risques associés pour Air France, nous pensons lui déléguer cet aspect avec les fournisseurs de produits, en fixant des objectifs de qualité, de prix et de disponibilité adéquats", poursuit le directeur des achats indirects.
Enfin, dernière évolution : la mise en place du modèle d'outsourcing pour d'autres catégories. "Après les Équipements de Protection Individuels (EPI), qui font déjà l'objet d'un processus d'approvisionnement externalisé en punch out avec la facturation dématérialisée via Tradeshift, la gestion de l'intérim sur une plate-forme spécialisée est en cours de déploiement pour toutes les entités d'Air France", annonce Jean-Charles Cassé. Elle communiquera avec les Entreprises de Travail Temporaire (ETT) et bouclera les flux de facturation également via Tradeshift. Le dispositif devrait être totalement opérationnel sur le périmètre France métropolitaine dans le courant du premier trimestre 2018.
Thierry Parisot