Car l'ERP est bien désigné comme LE modèle d'utilisation de l'IT à abattre par Tien Tzuo, CEO de Zuora, et ses collaborateurs. Sans doute parce qu'il incarne à ses yeux une forme d'immobilisme et donc de manque de souplesse. "Aujourd'hui, nous vivons dans un monde de liberté. Nous ne voulons plus conduire la même voiture pendant quatre ans, nous voulons nous libérer de la taille unique pour tous. C'est le principal sujet de l'économie de l'abonnement", a déclaré le CEO en préambule. "Dans le futur, la croissance ne viendra que des abonnements".
Le charismatique Tien Tzuo a été le onzième employé de Salesforce et a beaucoup œuvré au système de facturation de cette société. Aujourd'hui, il fait l'apologie du modèle basé sur l'abonnement et des structures de facturation complexes qui en découlent. C'est lui qui est à l'origine de l'expression "économie de l'abonnement", un concept pilier de l'entreprise qu'il a créée depuis et dont il est le CEO.
Fondée en 2007 par trois anciens de chez Salesforce, K.V. Rao, Cheng Zou et Tien Tzuo, donc, Zuora n'est pas officiellement une émanation de Salesforce, même si son CEO Marc Benioff a investi dans la société et que Zuora entretient des liens très étroits avec la firme de San Francisco. Après plusieurs levées de fonds successives et importantes, auprès de nombreux capital risqueurs, la société a connu une croissance rapide. Aujourd'hui, elle est présente dans 18 pays et compte 850 collaborateurs et plus de 1 000 clients, dont, en France, SNCF, Cegid, Bic, Sierra Wireless ou encore Axa.
Son offre se destine exclusivement aux entreprises fonctionnant sur le mode de l'abonnement, quelle que soit la nature de celui-ci. L'événement parisien "Subscribed Paris" était émaillé de nombreux témoignages de clients ayant mis en œuvre la plate-forme de Zuora, dont la SNCF, Bic, Doctolib ou encore Klaxoon (cf. infra). Cette plate-forme comporte plusieurs modules, dont une facturation, un CPQ (Configure, Price, Quote, soit configuration, tarification et génération de devis) et tout ce qu'il faut à une entreprise fonctionnant sur le modèle de l'abonnement pour se passer d'ERP... la plate-forme totalise aujourd'hui quelque 2,5 milliards de call API par mois. Une plate-forme de "liberté de business, au centre d'une nouvelle architecture IT dynamique", pour Tom Krackeler, vice-président produits.
Tien Tzuo, CEO de Zuora
Penser différemment
Pour Tien Tzuo, il faut faire évoluer notre manière de penser : "Pour accéder à la liberté des abonnements, il faut que les entreprises soient libres aussi". L'ennemi est clairement désigné : l'informatique héritée et plus particulièrement l'ERP. Il suffit de visiter le site Web de Zuora pour trouver des assertions comme "Le problème est que les solutions ERP traditionnelles et les tableurs ne sont pas équipés pour gérer les complexités de revenus différés, de dispositions multi-éléments ou de modifications contractuelles" à toutes les pages.
Et d'appuyer son propos sur des chiffres : "les entreprises basées sur l'abonnement connaissent une croissance 9 fois plus rapide que les entreprises du S&P 500", constate Tien Tzuo. Et de citer une enquête de l'IFOP selon laquelle 50 % des Français seraient en train de délaisser le traditionnel modèle de la propriété.
De nombreux succès
Mais Tien Tzuo et ses collaborateurs ne se sont pas contentés, lors de "Subsribed Paris", d'asséner des affirmations et des résultats d'enquêtes pour démontrer le bien fondé de leur démarche : ils sont venus accompagnés de nombreux clients venus témoigner du succès de leurs projets.
Ainsi, la SNCF a-t-elle mis en place depuis le début de l'année un système d'abonnement TGV destiné aux jeunes de 16 à 27 ans : pour 79 euros mensuels, il est possible de voyager à volonté sur tout le réseau TGV. "Nous recherchions une expérience d'achat fluide pour les clients, pour offrir une expérience et une liberté de voyage aux jeunes", explique Anne-Claire Baschet, directrice de la BU Project Factory, filiale de Voyages SNCF . "Nous sommes dans un changement de modèle, avec une approche centrée sur le client".
"Nous avons lancé le projet en deux fois moins de temps que nous avons l'habitude de le faire, soit 4 mois au lieu de 9, avec une équipe resserrée et une vision produit", poursuit la directrice. L'approche technologique se base sur Salesforce, Zuora pour tout ce qui est paiement à l'usage et Slimpay.
Au bout de 9 mois d'exploitation, c'est un vrai succès, "interne, mais aussi dans les KPI : nous avons à ce jour 90 000 abonnés (septembre 2017 NdlR) alors que l'objectif était de 100 000 sur la première année. 2,8 millions de voyages ont été réservés, dont 85 % réalisés, soit 1,2 fois la distance entre la Terre et Saturne parcourus..", se félicite Anne-Claire Baschet.
Pour Laurent Laforest, general manager de Bic, "le marché du rasoir est en train de basculer vers une offre d'abonnement". L'entreprise a ainsi créé une offre dans ce sens : le client reçoit le premier mois un rasoir et 4 recharges et des recharges les mois suivants pour 9 euros mensuels. "Nous avons retravaillé la forme du rasoir pour que le paquet puisse passer dans une boite aux lettres standard, évitant ainsi à l'abonné des aller/retours à son bureau de poste", poursuit le dirigeant. Le choix de Bic s'est porté sur Zuora pour des raisons de "time to market – le projet a là aussi mis 4 mois – et de scalabilité.
Lors de la table ronde qui a suivi, ce sont les mots de "simplicité", "absence d'engagement", "flexibilité", "scalabilité, "compréhension du SaaS", qui sont revenus le plus souvent dans la bouche des intervenants pour expliquer et justifier le choix de Zuora. Parmi les témoins présents, citons Scott Gordon, vice-président Delivery Unit de John Paul/Accor Hotels, Marc Lafond, directeur des solutions de Schneider Electric, Cecile Coutens, global CMO de Royal Canin, Jean-Thomas Rouzin, co-fondateur et CEO de Web Geo Services, Mathieu Hongrois, CFO de Klaxoon ou encore Mong-Trang Nguyen-Sarrazin, directeur financier de Doctolib. Leurs projets sont très divers, mais ont un point commun : le modèle de l'abonnement, le plus souvent en rupture avec le modèle traditionnel mis en œuvre jusqu'ici dans leurs entreprises, comme par exemple dans le groupe Accor ou chez Royal Canin.
Faire bouger les lignes
Le succès de Zuora, de son modèle et des projets de ses clients est indéniable et remarquable. Pour autant, faut-il opposer ainsi l'économie de l'abonnement au modèle ERP ? Les deux ne sont-ils pas compatibles ? Les voitures, par exemple, se louent beaucoup, ces derniers temps et l'on a beaucoup abandonné le modèle de la propriété pour celui de l'usage. Mais il subsiste des personnes morales ou physiques pour préférer posséder leur véhicule pour, par exemple, l'user jusqu'à la corde. Et pour fabriquer ces voitures, difficile d'imaginer un modèle d'abonnement : les constructeurs devront bien en gérer la production avec leur ERP traditionnel. Il en va de même pour la plupart des entreprises industrielles. Et pourquoi, si ce modèle est si performant, Voyages SNCF ne gère-t-il pas toutes ses offres via un système du même ordre ? Et les rasoirs ? Certains utilisateurs n'auront sans doute pas besoin de quatre recharges tous les mois et ne mettront pas 9 euros mensuels dans leurs lames. On le voit, si le modèle de l'abonnement progresse indéniablement, les modèles traditionnels vont sans aucun doute persister.
Enfin, s'il est peut-être vrai que "les solutions ERP traditionnelles et les tableurs ne sont pas équipés pour gérer les complexités de revenus différés, de dispositions multi-éléments ou de modifications contractuelles" (une généralisation qui reste à démonter), qui dit que dans un avenir plus ou moins proche, les ERP ne s'adapteront pas aux nouvelles exigences des utilisateurs, comme ils l'ont toujours fait ?
Benoît Herr