Emmanuel Gaudin, DSI du groupe Lagardère et co-président d'EuroCIO, association européenne indépendante d'utilisateurs IT de grande taille, et Christophe Lepage, DSI de BNP Paribas Investment Partners, ont mené les débats aux côtés d'Emmanuel Schupp, directeur général de Citrix France, Marc Monpeurt, directeur exécutif chez Accenture Technology France, Fabien Gautier, business development et directeur marketing chez Equinix France, Sebastien Vugier, responsable analytique et solutions verticales chez Axway et Arcady Ahmed, responsable de la BU finances et services chez Oxalide. À noter qu'un DSI de PME devait également prendre part au débat, mais il a été retenu dans son entreprise. Illustration s'il en fallait encore, de la rareté des ressources en PME.
Le rôle du DSI
Pour Christophe Lepage, "on trouve chez moi tous les métiers de l'informatique. Et lorsque je suis arrivé, il m'a fallu modifier toute l'organisation pour mettre les personnes au bon niveau. La deuxième grande réforme que j'ai menée, c'est de développer la notion de partenariat avec les métiers". De son côté, Emmanuel Gaudin estime que l'informatique n'est pas au cœur de son métier, même si elle reste importante : "nous avons développé une cellule dédiée à l'innovation, qui fait de l'open innovation au-delà du rôle de la start-up. Et en général, les choix que nous faisons, comme le cloud par exemple, sont loin d'être anodins et engagent l'entreprise. D'autant plus que les retours en arrière sont sont souvent difficiles".
Emmanuel Gaudin, DSI du groupe Lagardère et co-président d'EuroCIO
Fabien Gautier, d'Equinix, explique que sa société "héberge quelque 300 SI d'entreprises. Il est intéressant de voir qui, au sein de ces organisations, gère l'informatique". Et de constater que "le DSI reste quand même le gardien du temple, en général. La DSI gère le timing et les équilibres". Michel Juvin, ex CISO (Chief Information Security Officer) chez Chanel, invité surprise à ce débat, confirme et ajoute qu'il n'aime pas beaucoup le terme de DSI et lui préfère le terme anglais de CIO (Chief Information Officer), plus vaste, "car il s'agit vraiment d'un chef d'orchestre".
Question d'équilibre
Le DSI se doit de trouver un équilibre entre maintien de l'opérationnel et innovation, tout en se satisfaisant de ses ressources existantes. Un exercice d'équilibriste, d'autant que "il n'est pas facile d'impliquer les métiers dans les processus innovants", constate Christophe Lepage, qui se félicite toutefois d'avoir réussi à le faire dans son entreprise. Mais Emmanuel Gaudin demeure plus circonspect quant au rôle de la DSI dans l'innovation : "dans le monde du livre, la transformation numérique, c'est surtout de vendre des livres numériques, pas forcément de faire un intranet ou du collaboratif", note-t-il.
L'ombre de l'IT
Le shadow IT (systèmes mis en œuvre par les directions métier sans approbation de la DSI) demeure un sujet important pour les DSI présents. "C'est toujours d'actualité et reste une menace. Mais elle peut être contrôlée et donc devenir une opportunité", estime Emmanuel Gaudin. "Pour déterminer s'il d'agit de shadow IT ou non, la sécurité est souvent le critère discriminant. Cette démarche des utilisateurs permet aussi de se rendre compte des services que la DSI a mal rendus. On identifie ainsi les départements qui ont le plus de besoins et les raisons pour lesquelles les solutions sécurisées que nous leur proposons ne leur conviennent pas". Sebastien Vugier, d'Axway, se veut plus sévère envers les utilisateurs : "si l'on est permissif, les métiers s'en donnent à cœur joie".
Christophe Lepage note que "le shadow IT commence souvent par une feuille Excel, qui devient une application Access et ainsi de suite. Et effectivement, le premier facteur bloquant est effectivement la sécurité. Mais quelque part j'encourage aussi cette démarche, parce que les meilleures applications viennent des métiers". Emmanuel Gaudin met en garde : "le plus gênant, et c'est là la nouveauté, c'est que le SI de l'entreprise se promène à l'extérieur de l'entreprise, ce qui n'est pas le cas avec des feuilles Excel". Marc Monpeurt, d'Accenture, concède que "le sujet du shadow IT n'est non seulement pas nouveau mais a toujours existé. Cependant, à un moment ou un autre, ces solutions vont devoir s'intégrer avec le back-office de l'entreprise". De son côté, Emmanuel Schupp, de Citrix précise que "en ce moment nous nous recentrons un peu sur la DSI et arrêtons d'aller voir les utilisateurs en direct". Des éléments rassurants pour les DSI.
Le CDO va-t-il remplacer le DSI ?
Avec la transformation numérique est apparu un nouveau métier, à la confluence de plusieurs fonctions et donc de plusieurs compétences : le CDO (Chief Data Officer). L'émergence de ce profil, souvent rattaché à la direction générale et non pas à la DSI, met-elle en péril le DSI ?
Christophe Lepage, DSI de BNP Paribas Investment Partners
Emmanuel Gaudin répond tout de go "non" à cette question : "il s'agit d'un manager de transition, qui n'existe que parce que soit le DSI n'est pas à niveau, soit parce que celui-ci est complètement absorbé par l'opérationnel au quotidien". Même s'il précise que son entreprise ne compte pas de CDO, Christophe Lepage confirme le caractère transitoire de cette fonction, tout comme Arcady Ahmed, d'Oxalide, qui estime que "ce métier se transforme beaucoup en product owner".
Fabien Gautier ironise : "nous les avons beaucoup cherchés et étonnement, nous ne les avons pas trouvés là où nous les attendions, comme dans les banques, par exemple". Sebastien Vugier trouve qu'il "en rencontre souvent, surtout sur des aspects techniques", de même qu'Emmanuel Schupp, qui constate que "souvent ils suppléent le DSI qui ne peut pas s'occuper de l'innovation".
Le DSI de demain
Une étude menée par Accenture en partenariat avec notre confrère IT for Business, montre que "les DSI souhaitent participer à la mutation des métiers", résume Marc Monpeurt. L'étude fait émerger quatre grandes tendances pour les DSI : des investissements tournés vers l'innovation, le support des nouveaux modèles économiques de l'entreprise, une position centrale et de référence pour l'innovation et des alliances indispensables avec son écosystème.
Si Arcady Ahmed pense que " le DSI doit se mettre au service des métiers et leur fournir des lignes directrices en faisant le tour des directions métiers", Sebastien Vugier estime que "le DSI dispose d'une formidable opportunité de prendre le leadership de l'innovation". Et Michel Juvin de résumer : "le DSI est un architecte de l'information".
La conclusion est revenue aux deux DSI présents autour de la table ; Christophe Lepage considère "qu'il y a a plusieurs futurs. Il faut d'abord gérer les systèmes hérités, puis coordonner l'innovation. Dans ce contexte, de nombreux experts seront nécessaires. La valeur de demain est là, notamment dans la formation de ces experts".
Pour Emmanuel Gaudin, "le DSI est un intégrateur de ce qui vient de l'intérieur mais aussi de l'extérieur. Il coordonne l'innovation, car si l'innovation ne venait que de la DSI, les métiers auraient des cheveux à se faire".
Benoît Herr