Dans le monde du travail, les usages numériques évoluent plus rapidement que l'action du législateur. Certaines pratiques, en dehors de toute considération réglementaire, suscitent des interrogations éthiques. Cette charte a pour objet de poser un cadre de bonnes pratiques pour l'utilisation de solutions numériques dans le domaine des Ressources Humaines, afin que les droits, libertés et sensibilités de chacun soient respectés. Pour cela elle s'appuie notamment sur le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données). Elle est le fruit d'une co-élaboration inédite, initiée en juin 2017. Elle a été co-écrite par des représentants syndicaux, des chercheurs spécialistes de l'intelligence artificielle et des RH, des responsables RH et des start-up RH. Le Lab RH est une association de 410 start-up du secteur de l'emploi et des RH. Jérémy Lamri, son président, explique : "à travers le domaine des ressources humaines, l'impact potentiel du numérique sur l'égalité des chances, les libertés et le libre-arbitre est immense. Porter le sujet de l'éthique RH sur la place publique est une initiative indispensable pour préempter le modèle de société vers lequel nous voulons collectivement tendre, d'autant que même avec le RGPD, un comportement éthique ne sera pas obligatoire".
C'est la première fois qu'une telle démarche est initiée en France et que des acteurs syndicaux, associatifs et des start-up s'unissent pour proposer à la fois d'ouvrir le débat sur le sujet tout en apportant des premières propositions en réponse aux problématiques soulevées. La publication de cette charte est une première étape : elle a pour objectif d'ouvrir un débat autour des questions d'éthique dans l'emploi dans un contexte de développement des outils numériques et de l'intelligence artificielle.
Le processus
Un premier texte, issu du travail croisé entre la CFE/CGC, le Lab RH et des chercheurs
contributeurs au projet a été présenté à la CNIL en décembre 2017. Puis, la charte a été rendue publique le 31 janvier 2018. Elle a pour vocation d'être enrichie des propositions qui seront faites d'ici au mois de juin par les acteurs qui souhaiteront s'impliquer dans la réflexion sur le sujet.
Jérémy Lamri, président du Lab RH
Pour cela, une consultation ouverte jusqu'à fin mars a été lancée. Elle prendra la forme d'ateliers ouverts à toute personne qui souhaite être contributive. Les trois premiers se tiendront à Paris, les mardi 20 février, vendredi 2 mars et lundi 5 mars, et quatre autres à Lille, Marseille, Lyon et Nantes dans le courant de la première quinzaine de mars. À noter que le projet de charte est également ouvert aux contributions en ligne via ce lien. François Hommeril, président de la CFE-CGC, souhaite une concertation la plus large possible : "si on veut que les RH ré-investissent leurs fonctions avec éthique, il faut leur en donner les moyens. Ce sera un enjeu pour lutter contre le défaut d'attachement que l'on constate hélas beaucoup en entreprise. Naturellement, même si notre syndicat est à l'origine de la démarche avec le Lab RH, sa réussite dans la durée dépend du nombre d'acteurs qui la rejoindront. Les partenaires syndicaux sont bien entendu invités à le faire". Par ailleurs, la participation d'un panel plus large de DRH paraît souhaitable. Pour l'heure, seule une demi-douzaine d'experts relecteurs et contributeurs ont été associés à la rédaction de la charte, dont Laurence Devillers, professeure en intelligence artificielle à Sorbonne Université et chercheuse au LIMSI-CNRS, André Perret, ex-DRH, vice-président des groupes Dever et Alésia-Nation ANDRH, et Michel Barabel, maître de conférences à l'Université Paris Est.
Étape décisive, la relecture et la validation finale par la CNIL, qui interviendra à l'issue de la phase de concertation et de participation : l'envoi officiel de la charte à la CNIL pour modification et validation est prévu pour le 30 mars. Le vendredi 25 mai – date symbolique car il s'agit de celle de la mise en application du RGPD – se tiendra la conférence de presse de lancement public de la charte co-construite.
Ensuite, la commission la diffusera dans ses réseaux. À noter toutefois que cette charte vient en complément de la législation en vigueur en matière de données et des travaux menés par ailleurs par la CNIL. Elle a vocation à devenir une référence de bonnes pratiques pour les acteurs publics comme des entreprises et à initier une labellisation éthique des algorithmes par un acteur spécialisé en la matière, mais ne se substitue en aucun cas aux obligations légales ni aux recommandations existantes de la CNIL. La labellisation n'est toutefois pas prévue pour l'instant, car "il est difficile d'accéder aux algorithmes, qui sont la propriété intellectuelle de leur créateur. Mais nous travaillons sur le sujet via la CNIL", explique Jérémy Lamri.
Le contenu
Le charte constate qu'"un flou considérable demeure actuellement sur les sujets d'utilisation des données, en lien avec l'absence de bonnes pratiques en matière de numérique appliqué aux ressources humaines". Et François Hommeril de s'insurger : "dans l'entreprise du Big Data, l'individu est placé dans une case. Mais individu n'est pas individualité". Et de rappeler, pour illustrer son propos, le scandale du "ranking" qu'on a connu il y a quelques mois : "statistiques et courbes de Gauss sont la négation même de l'entretien individuel. Vouloir tout connaître, c'est ne jamais rien comprendre. Le process RH, qui devrait reposer sur la valorisation, ne doit pas tomber dans le fantasme de l'exhaustivité".
François Hommeril, président de la CFE-CGC
La charte s'inscrit dans le respect du RGPD, qu'elle prolonge, et attire l'attention sur huit principes essentiels du règlement européens qui sont la transparence, le recueil du consentement, la limitation des finalités, la minimisation des données, l'exactitude des données, la limitation de conservation, la confidentialité et la sécurité et la responsabilité.
Elle propose ensuite un certain nombre de bonnes pratiques pour l'acquisition, le traitement algorithmique, la restitution, la structuration et le stockage des données. L'ensemble des contenus décrits relève d'un bon sens commun ainsi que d'une culture responsable du numérique. C'est cette partie là en particulier qui demande à être enrichie à travers la démarche participative évoquée plus haut. Et François Hommeril de conclure : "La vraie question, c'est 'dans quelle société voulons-nous vivre ?' Nous pensons que ce qui fait la compétitivité, c'est l'attachement des salariés à leur entreprise, pas leur classement dans telle ou telle catégorie".
Benoît Herr