L'APDC (Association des Professionnels et Directeurs Comptabilité et gestion), dont la vocation est le partage d'expériences et de connaissances, a lancé en septembre 2017 les "Rendez-vous de la finance digitale". En partenariat avec BearingPoint se tenait mardi dernier la troisième édition de ces rendez-vous. "Les entreprises doivent pouvoir s'appuyer sur des outils, simplifier et sécuriser leurs processus, inventer de nouvelles manières de travailler. Et le socle, c'est l'ERP, qui doit être plus agile, plus innovant, moins lourd", déclarait Dominique Defache, de l'APDC, en introduction, avant même de permettre à Cyrille Coustenoble, senior manager Finance chez BearingPoint, de présenter ses intervenants à la table ronde des éditeurs, Alexis Sainte-Beuve, directeur commercial solutions Finance chez SAP, Guillaume Rocher, directeur commercial ERP d'Oracle et Patricia Moscatelli, responsable commerciale Financial Management chez Workday.
Les nouveaux ERP
Les intervenants à la table ronde s'accordent sur les termes de "simplification", d'"expérience utilisateur" et d'"agilité" pour caractériser ce qu'il est convenu d'appeler les nouveaux ERP ou les ERP de nouvelle génération. Avec son offre, SAP veut "capitaliser sur ses points forts, acquis au fil des décennies, tout en gommant les imperfections des anciens ERP, comme la lourdeur et la complexité", commente Alexis Sainte-Beuve. "Nous cherchons à avoir la meilleure proposition possible à la fois on-premise et dans le cloud et HANA nous a permis de grandement simplifier la structure des données de l'ERP ; les frontières disparaissent grâce au in-memory". Autre son de cloche chez Oracle, où Guillaume Rocher confirme la stratégie "tout cloud par conviction" de l'éditeur. "Nous avons l'ambition d'être le numéro un de l'ERP dans le cloud. Nous y avons déjà 4 000 clients et le cloud nous fait nous transformer en société de services. Et avec le rachat de Netsuite, le précurseur de l'ERP dans le cloud, nous sommes en mesure d'attaquer le bas du marché, des sociétés à qui il faut des solutions tout-en-un, tandis qu'à la partie haute du marché nous proposons Cloud ERP", explique Guillaume Rocher. Voir aussi Oracle et ses ERP. Quant à Workday, "nous sommes nés en 2005 pour devenir les leaders du cloud RH et finance", affirme de son côté Patricia Moscatelli, dont les 2 100 clients utilisent aujourd'hui tous la version 30 des produits, puisque Workday n'est proposé que dans le cloud et en multi-tenant. "L'offre finance de Workday s'adresse de plus en plus à des gros groupes internationaux. Notre vision rejoint celle de Gartner, qui pense que les entreprises ont besoin d'agilité", ajoute-t-elle.
Concernant la durée des projets, "on n'est plus dans des déploiements de 12 à 18 mois, mais plutôt entre 3 et 6 mois", affirme Patricia Moscatelli. "Ce qui fait la différence, c'est l'approche projet, car l'outil a été conçu dès le départ pour répondre aux besoins de tous. Il faut donc se demander ce qu'on a à disposition plutôt que de raisonner spécificités et spécifiques", conseille Guillaume Rocher. Il est vrai que l'une des caractéristiques de ces ERP, notamment dans le cloud, c'est la limitation voire la suppression des développements spécifiques. "Et au final, le TCO est moindre. Le SaaS est un train lancé à 300 km/h et qui ne s'arrêtera plus", martèle Guillaume Rocher. Pour Patricia Moscatelli, "le cloud affranchit l'utilisateur de la définition d'un core-model rigide dans lequel certaines petites filiales peuvent ne pas se retrouver".
Ceux qui en parlent le mieux...
...ce sont bien sûr les clients. Chacun des trois éditeurs présents était venu avec un client-témoin, et Oracle même avec deux. Engie pour SAP, LaFourchette pour Workday et Orange et Showroomprivé pour Oracle. "Nous invitons nos prospects à parler à au moins trois à cinq clients pour se faire une idée", lance Patricia Moscatelli. Son client, LaFourchette, est né en 2007 et aujourd'hui présent dans 11 pays et sur 3 continents. Le rachat de l'entreprise par le groupe américain Tripadvisor en 2014 a été à l'origine d'un certain nombre de challenges lorsqu'il s'est agit de faire converger les systèmes comptables des différents pays et de mettre en place un système unique, Workday en l'occurrence. La France et de nombreux pays européens utilisaient alors Microsoft Dynamics AX tandis que l'Australie utilisait Netsuite et les Pays-Bas une autre solution on-line, Twinfield. Sylvie Nhansana, CFO de LaFourchette, explique que les enjeux clés du projet étaient, outre la convergence des systèmes, l'automatisation des tâches, l'optimisation des processus, les évolutions technologiques, la gestion des devises et la possibilité d'expansion géographique grâce à un système agile et souple.
Christophe Eouzan, directeur comptable du groupe Orange
Le projet a démarré en juin 2017 et en octobre, l'entreprise a signé un contrat avec un consultant. Tout est ensuite allé très vite : "lorsque nous nous sommes aperçus qu'il ne serait pas possible de mettre en place tous les modules avant le 1er janvier 2018, nous avons été placés devant un choix : soit décaler le démarrage en Big Bang initialement prévu, soit faire le projet en deux phases", poursuit Bozena Adamczyk, directrice comptable de LaFourchette. Et c'est la deuxième possibilité qui a été retenue. En deux mois et demi, l'entreprise a donc démarré la comptabilité générale, fournisseurs, la trésorerie et les commandes d'achat. Et depuis le début de l'année, ce sont la gestion des notes de frais, le procure to pay, la gestion des taxes, les immobilisations et les états financiers qui sont mis en place jusqu'au 31 mai 2018.
"Nous sommes passés de trois systèmes comptables à un seul avec succès", se félicite Erwan Joy, responsable comptable international de LaFourchette. "La satisfaction des utilisateurs est générale et nous ne connaissons que peu de crash. En termes de résultats, nous avons réduit nos délais de traitement des notes de frais de 60 %, le temps de saisie des factures et des paiements de 50 % et les délais de clôture de 40 %. Nous sommes allés vers plus d'uniformité, vers une plus grande visibilité, un meilleur contrôle et une récupération des données d'audit facilitée". Enfin, la vie devrait changer pour les comptables de LaFourchette : "les tâches manuelles vont peu à peu disparaître au profit d'une augmentation du temps passé à l'analyse et à la revue d'analytique", poursuit Bozena Adamczyk, qui liste les facteurs clés de succès qu'elle a identifiés : avant tout le soutien des sponsors que sont sa CFO et le groupe Tripadvisor, le cadrage du projet, avec des objectifs clairs et un calendrier précis, une équipe de projet organisée et déterminée, avec des comptables locaux impliqués, "ce qui n'est pas toujours facile", admet-elle, des consultants compétents et présents, des utilisateurs formés tout au long du projet et un accompagnement de la conduite du changement. "La communication est très importante", conclut-elle.
Orange s'est équipé d'Oracle Cloud ERP et est même early adopter de cette solution. Pour Christophe Eouzan, directeur comptable du groupe Orange (et également administrateur de l'APDC), "Orange est aujourd'hui beaucoup plus customer centric qu'auparavant et il y a un vrai enjeu de transformation dans l'adoption de cette solution". La genèse du projet remonte à quelques années, "alors que nous étions plutôt sur une base Oracle, mais que différents ERP existaient dans les divers pays", se souvient Christophe Eouzan. "En 2014, nous avons voulu mettre en place quelque chose de commun et aussi aller vers une solution plus moderne. C'est ainsi que le projet ERP a démarré, d'abord dans une petite filiale en France, qui utilisait Oracle Business Suite, puis dans toutes les entités en France. Aujourd'hui, nous n'avons plus aucune customisation, ce qui ne nous empêche pas de traiter 1,2 millions de factures entrantes par an".
Pour le directeur comptable, "le fait de se conformer au standard aide à se transformer, car on se rend compte qu'on n'est pas si spécifique que ça. Et si nous avons perdu en productivité à certains endroits, nous avons tellement gagné par ailleurs que ce n'est pas grave". Et de comparer les solutions cloud et on-premise : "avec le on-premise, il faut tout avoir prévu à l'avance, y compris le dimensionnement des serveurs. Avec le SaaS, il faut avant tout comprendre ce qu'il y a à disposition dans la solution. C'est une autre démarche, dans laquelle l'essentiel est la gestion du changement. D'ailleurs, notre projet a nécessité 12 mois mais il aurait dû prendre moins de temps ; l'allongement des délais est dû au fait que les gens n'étaient pas prêts au changement. Aujourd'hui encore, j'entends ici ou là que 'c'était mieux avant'. Et c'est normal : même si la solution est beaucoup plus intuitive que la précédente, pour des gens qui ne sont pas nés avec l'informatique, ce changement n'est pas anodin".
Dirk Philipp, directeur comptable du groupe Showroomprivé, trouve au contraire que "le déroulement du projet en soi n'est pas très différent d'un projet on-premise. Nous avons travaillé avec Accenture, qui a bien géré les processus et les étapes du projet, qui sont restées très classiques". Showroomprié est l'un des grands acteurs français du e-commerce, qui connaît une forte croissance et a généré l'an passé 655 M€ de chiffre d'affaires.
Dirk Philipp, directeur comptable du groupe Showroomprivé
"À mon arrivée, en juin dernier, le projet était déjà en route", poursuit Dirk Philipp. "Showroomprivé n'avait pas d'expérience d'un ERP et travaillait auparavant avec Sage, que l'on pouvait personnaliser à outrance. La volonté de l'entreprise était de se réarmer pour le futur et pour la croissance, avec un outil permettant d'augmenter la productivité. La rapidité et la simplicité ont également joué un rôle". L'entreprise compte 12 entités au total, dont 6 en France. "Même si nous avons été obligés de décaler une entité une fois, les délais ont globalement été respectés. Le cloud vous empêche de vouloir trop customiser et donc les budgets ont eux aussi été respectés". Les 12 entités du groupe sont toutes en production depuis début mars.
Dirk Philipp insiste lui aussi sur la nécessaire disponibilité notamment des utilisateurs clés : "ce qui est important dans tout projet ERP, c'est de disposer de ressources en interne qui comprennent bien les enjeux. Côté IT, c'est un projet technique. Mais le métier doit s'approprier le projet et l'outil. Il faut libérer du temps aux utilisateurs clés. Ça donne parfois lieu à des frictions, mais en ce qui nous concerne, nous avions la volonté de réussir". Il conclut de manière un peu elliptique sur l'innovation et sur l'Intelligence Artificielle (IA) en particulier : "l'IA me paraît proche mais encore assez lointaine... on a encore du mal à imaginer ce que ça peut nous apporter". C'est encore assez souvent ça, en effet.
Benoît Herr