La donnée et ce qui l'entoure font partie des grands chantiers que Syntec Numérique s'est assignés pour 2018. Le premier des trois débats a eu lieu le 13 mars dernier et traitait de la protection des données personnelles. Nous avons publié le compte-rendu officiel établi par Syntec Numérique ici, dans notre rubrique "Tribune Libre". Le troisième de ces débats aura lieu le 15 mai et portera sur les modèles économiques dans le monde de la donnée.
L'opportunité de valoriser les données publiques, qu'elle passe par l'ouverture totale, le partage ou d'autres types d'échanges, semble désormais acquise. Elle se concrétise notamment par une politique publique ambitieuse en matière d'Open Data, au niveau national comme local, ainsi que par de nombreux projets autour de la réinvention de l'espace urbain. Les administrations et les collectivités investissent à la fois pour faire évoluer leurs services et pour intégrer l'innovation aux politiques publiques qu'elles pilotent : mobilité, stationnement, sécurité, gestion des réseaux ou des bâtiments publics, etc. "Comment valoriser ces données ? Et quelle position adopter lorsqu'on est une entreprise privée ?", telles sont les questions que Godefroy de Bentzmann, président de Syntec Numérique, a posées en introduction.
Simon Chignard, data editor de la plate-forme data.gouv.fr
Pour commencer à répondre, Simon Chignard, data editor de la plate-forme ouverte des données publiques françaises data.gouv.fr et co-auteur, avec Louis-David Benyayer, de "Datanomics - Les nouveaux business models des données", a planté le décor sur le thème des données publiques source de valeur et d'innovation. Outre le RGPD, la troisième et dernière étape du mouvement vers l'Open Data "par défaut" est prévu pour le 7 octobre prochain, avec l'obligation pour les administrations de diffuser toutes leurs bases de données ainsi que les données dont la publication présente un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental. "Source de valeur, la donnée publique est le support de la relation entre le public et l'État", commente Simon Chignard. "Mais il n'y a pas de valeur à stocker des données : le principe général est donc d'encourager la circulation de ces données". La donnée est aussi un actif stratégique ; et Simon Chignard de citer l'exemple de la base SIRENE, créée en 1969 et qui non seulement existe encore aujourd'hui mais fait partie des 9 premières bases de données identifiées pour faire partie du service public de la donnée.
Un État plate-forme, des acteurs privés impliqués
Le point d'orgue de la matinée a été l'intervention de Henri Verdier, Directeur Interministériel du Numérique et du Système d'Information et de Communication (DINSIC) de l'État, venu expliquer pourquoi et comment l'État entend utiliser et mettre à disposition une plate-forme de données fédératrice. "Nous sommes entrés dans une économie où il est impossible de faire quoi que ce soit sans en demander la permission à un GAFA", constate-t-il. "C'est préoccupant. Nous nous installons dans une organisation de droit californien. La puissance publique a le devoir de comprendre comment cette stratégie crée de la valeur, car elle ne procède pas de la souveraineté du peuple français. Et l'État plate-forme est une réponse à cela, pour la défense de l'intérêt général".
Henri Verdier plaide non seulement pour l'Open Data, mais plus généralement pour un service public de la donnée, la mise en commun de données "co-construites" avec des organismes comme l'IGN ou la Poste mais aussi des acteurs privés, et une "APIfication" complète du système. Et de citer France Connect, ce système de single sign-on permettant l'accès à de nombreux services publics. "ll permet aussi de gérer la confiance", ajoute le DINSIC. "Cela bouleverse complètement la philosophie centralisatrice de l'État : il ne suffit pas d'avoir des données, mais il faut aussi une stratégie d'ouverture et une prédilection pour le logiciel libre. On ne devient plate-forme que si on fédère les usages".
Henri Verdier, Directeur Interministériel du Numérique et du Système d'Information et de Communication de l'État
Lors du débat qui a suivi, réunissant des acteurs privés autour de Henri Verdier, celui-ci a répondu pied à pied aux demandes et propositions de ses interlocuteurs. Ainsi, à Camille Putois, fondatrice de K Solutions, un réseau d'anciens fonctionnaires et de spécialistes de l'administration dont l'objectif est la simplification administrative au travers d'une plate-forme d'entraide, lorsqu'elle suggère d'aller vers une co-production des démarches au travers de la création d'API, il répond que c'est exactement ce que vise la plate-forme de l'État. "Il ne faut pas créer un monde dont 20 % des gens seraient exclus parce que, par exemple, ils ne parleraient pas français. Il faut créer des interfaces".
Pour Benjamin Jean, président du cabinet de conseil en innovation ouverte Inno3, "ce que fait l'État a forcément une incidence sur le secteur privé. Il existe une sorte de coopétition entre les secteurs privé et public. Dans le domaine de la mobilité par exemple, il existe plusieurs bases de données, qui sont une manne pour le secteur privé". Ce à quoi Henri Verdier répond que "certaines données sont ouvrables à tous, d'autres non. En outre, aujourd'hui on voit arriver l'IA, qui va tout changer". Il cite l'exemple de la tomate, qui est un fruit, mais que les américains ont, au début du siècle dernier, classé parmi les légumes pour des raisons fiscales, pour le plus grand intérêt des producteurs de ketchup, notamment. "Si on s'appuie sur une telle base de données, l'IA et le machine learning vont partir sur de fausses bases".
Pour Guillaume Blot, chief digital and innovation officer chez Sopra Banking Software, "l'État plate-forme peut aussi être vu comme fournissant de nouveaux usages pour arriver à un écosystème de services publics numériques". Pour illustrer la collaboration entre public et privé, il cite la nécessaire fourniture, lors d'un parcours usager, d'un justificatif de domicile, émis le plus souvent par un opérateur privé. "À l'inverse, dans une banque, il faut souvent un avis d'imposition, qui émane de l'État". Henri Verdier reste retenu : "il faut construire cette coopération avec prudence. Nous n'allons pas privatiser l'économie de la France. Il appartient au privé de développer des API d'interopérabilité, ce qui techniquement ne pose pas de difficulté majeure". Et de conclure "Ce n'est pas facile de permettre aux autres de faire mieux que nous. Mais c'est là qu'est l'avenir".
Quels nouveaux modèles pour quels nouveaux services ?
Les intervenants du deuxième débat de la matinée étaient exclusivement privés : Henri Isaac, président du think tank Renaissance Numérique, Jean-Marc Lazard, président d'Opendatasoft, Anne-Claude Poinso, responsable développement collectivités chez Microsoft France et Sarah Prot, responsable des affaires publiques chez Airbnb.
Le site dataville fournit des éléments chiffrés sur les annonces et les voyageurs Airbnb
Pour illustrer les apports potentiels du privé, cette dernière a d'emblée mis en avant son initiative de mise à disposition des collectivités du site dataville, destiné à fournir aux maires des éléments chiffrés sur les annonces et les voyageurs (nombre, âge, durée du séjour etc.) dans sa ville. Acteur important du tourisme, Airbnb est présent dans 20 000 communes de France et recense plus de 450 000 annonces. "Nous travaillons aussi avec des départements et des régions sur des conventions de partenariat. Ce que nous voulons, c'est valoriser nos données, mais nous ne vendons pas la donnée brute, pour favoriser notre intégration dans le tissu économique local", précise Sarah Prot.
De son côté, Jean-Marc Lazard évoque – entre autres – son partenariat lillois avec Waze, qui "est une entreprise mondiale mais a des problématiques locales. Nous sommes dans une logique contributive, Opendatasoft fournissant des informations sur les services locaux comme les pompiers, Waze fournissant certaines informations issues de de sa plate-forme". Pour Henri Isaac "il y a beaucoup de choses à créer : à Paris, par exemple, on pourrait avoir des mesures beaucoup plus fines et localisées de la pollution. Autre nuisance, le bruit, qui est très peu mesuré dans les villes. Ou encore réaliser des prévisions météorologiques très locales".
Comme on le voit, l'imagination est débordante, en matière de nouveaux services potentiels. Anne-Claude Poinso estime que "le DPO doit travailler en étroite collaboration avec le DSI. Ce binôme garantit la maintenance de la donnée, son rafraichissement et sa véracité. Il faut aussi mutualiser, à l'instar de ce qui se fait pour le DPO. Et avancer par étape par étape. Commencer par identifier les données partageables et réutilisables par d'autres. Et ne pas oublier de le faire savoir".
Godefroy de Bentzmann, président de Syntec Numérique
En conclusion de cette matinée, Godefroy de Bentzmann retient trois points et tout d'abord que le sujet de la donnée publique suscite de nombreux débats. "Ensuite, la circulation de la donnée est un élément essentiel. Et cette circulation doit être bidirectionnelle. Enfin, la frontière entre public et privé s'amenuise au travers de nouveaux modèles de collaboration". Et de revenir sur un autre de ses sujets préférés : "il n'y a pas de modèle unique et dans cette multiplicité on voit émerger les besoins en formation, tant initiale que continue. Toutes choses qui donneront lieu à un formidable jaillissement de nouveaux emplois".
Benoît Herr