Pour Alice LaPlante et Matt LeMay, les auteurs de cet opuscule destiné aux chefs de projets du domaine de l'analytique et du Big Data, les données ne sont plus suffisantes en elles-mêmes. Il faut désormais préparer ses données de manière à ce qu'elles soient faciles à interpréter et utiles à tout utilisateur. Le temps des années 70, où seule une poignée d'universitaires et de spécialistes comme les contrôleurs aériens par exemple comprenaient comment utiliser les données correctement est révolu. Aujourd'hui, tout un chacun, du manager forcément non technicien à l'utilisateur occasionnel, a découvert des moyens d'utiliser les données pour mieux accomplir sa mission professionnelle mais aussi réussir sa vie privée. Le corollaire de cet état de fait est que les gens souhaitent de plus en plus disposer d'accès aux données. Et jusqu'à il y a peu, l'abondance de données n'a jamais été un souci.
Comment les données deviennent des fonctionnalités
Si l'on définit une fonctionnalité logicielle comme une fonction apportant de la valeur ou un ensemble de bénéfices à un pan fonctionnel métier dans un produit logiciel destiné à l'utilisateur final, une donnée devient une fonctionnalité lorsqu'on la traite comme telle dans un produit logiciel de manière à ce qu'elle apporte de la valeur à l'utilisateur.
En agrégeant et en proposant des données efficacement dans un logiciel, les développeurs fournissent de l'information critique à l'utilisateur, ce qui leur permet de prendre des décisions éclairées et d'entreprendre des actions. Il est donc essentiel pour le développeur et le chef de projet de bien comprendre les utilisateurs pour lesquels il élabore une application, d'appréhender les données dont ils ont besoin et comment un "pan fonctionnel métier" va les aider dans leur mission.
Pour aider les utilisateurs dans leur mission, une donnée devenue fonctionnalité doit posséder quatre caractéristiques : elle doit être intuitive, c'est-à-dire facile à comprendre, appropriée, c'est-à-dire accessible dans le bon contexte, personnalisable, c'est-à-dire visualisable de manière propre à chaque utilisateur et actionnable, c'est-à-dire facile à mobiliser pour produire les résultats escomptés. Workday, par exemple, a réalisé cela en intégrant des données comme fonctionnalités dans son application de gestion des RH, conçues pour mieux orienter les utilisateurs, avec force visualisations et étiquettes, pour simplifier la compréhension de données complexes (cf. schéma).
Penser à l'objectif utilisateur avant tout
Il importe de comprendre en profondeur pour qui on développe une application et dans quel but. Il ne suffit pas de fournir un accès à la donnée ; encore faut-il l'intégrer dans un service plus global. C'est là que les rôles des chefs de projets, des développeurs et des concepteurs d'interface utilisateur se rejoignent. Dans ce contexte, l'objectif recherché est le moteur du projet, la conception n'étant qu'un moyen de l'atteindre.
La compréhension de l'utilisateur est facilitée si l'on personnifie celui-ci au travers de la description d'un utilisateur type : pour qu'elle soit utile, cette personnification doit inclure des éléments comme les objectifs, les motivations, les comportements et les circuits de validation utilisés. L'intérêt d'une telle approche est le centrage sur l'utilisateur lors du développement d'applications. Attention toutefois à ne pas décrire son utilisateur type à partir de ce que l'on souhaite soi-même construire : c'est précisément l'inverse qu'il faut faire. La tentation est grande aussi de définir son utilisateur type au travers de la donnée que l'on pense utile pour lui et d'estimer que le travail est terminé lorsqu'on a fourni cette donnée : les utilisateurs n'ont pas besoin de données en tant que telles, mais de prendre des décisions. La donnée n'est qu'un outil qui leur facilitera cette prise de décision.
Se demander pourquoi et non comment
La manière dont les utilisateurs souhaitent voir présentées les données ne correspond pas à la raison pour laquelle ils veulent ces données. Là encore, la tentation est grande de se satisfaire une fois que l'on a déterminé la meilleure présentation souhaitée par l'utilisateur, s'il veut une donnée brute ou un tableau de bord bien présenté etc. Mais il importe plus encore de comprendre pourquoi cette personne souhaite disposer de cette donnée : ce n'est pas le "comment" mais bien le "pourquoi" qui crée de la valeur pour l'utilisateur. Un utilisateur peut par exemple demander un accès à une donnée brute en plus d'un tableau de bord dont il dispose déjà. De prime abord, il peut sembler simple de lui fournir cet accès et de s'arrêter là. Mais dans cet exemple, l'utilisateur ne s'est exprimé que sur le "comment" et non sur la raison pour laquelle il souhaite cette information.
Un autre objectif fondamental de la gestion de projet est d'aligner le "pourquoi" avec l'interface utilisateur et les besoins métier. Comment s'assurer que le travail du concepteur est en phase avec celui du développeur ? Et avec le besoin de l'utilisateur ? En d'autres termes, la conception doit avoir un objectif, basé sur une solide compréhension du "pourquoi" de l'expérience pilotée par la donnée. On crée ainsi une sorte de langage commun qui unifiera tous les aspects du "comment", de la conception à la mise en œuvre technique.
Se poser les bonnes questions
Pour mettre l'utilisateur en première ligne dans une expérience pilotée par la donnée, la liste de questions successives à se poser qui suit est primordiale : qui sont mes utilisateurs ? Quels sont les objectifs de mes utilisateurs ? Quelle donnée est nécessaire pour atteindre ces objectifs ? Où convient-il d'aller chercher cette donnée ? Comment la collecter ? Comment la présenter aux utilisateurs ?
Cette approche nécessite d'étendre la conception au-delà des aspects visuels pour y intégrer la conception de l'information. Pour réellement placer l'utilisateur au centre des préoccupations, il importe de garder cela à l'esprit, parce que la donnée la plus facile d'accès et la plus facile à visualiser n'est pas forcément celle qui sera le plus bénéfique à l'utilisateur.
Au-delà du foisonnement actuel d'outils et de données, au-delà des difficultés qu'éprouvent parfois les utilisateurs à déterminer les données essentielles pour eux, il devient nécessaire d'aller plus loin que la valeur intrinsèque supposée de la donnée et de l'intégrer dans un produit pour en faciliter la manipulation et en communiquer la valeur. Il faut aussi qu'elle soit facile d'accès, intuitive et pratique à consommer, sans quoi les utilisateurs s'en détourneront ou, pire, pourront mal l'interpréter et agir en conséquence. Dans la nouvelle génération d'applications décisionnelles, la donnée deviendra le plus grand atout des développeurs.
Benoît Herr