La ludification, souvent appelée par l'anglicisme "gamification" est le processus de transposition les mécanismes utilisés par le jeu à des domaines non-ludiques, comme le processus d'achat, par exemple, dans lequel on introduit une part de jeu destinée à émuler le client. Directement inspirée des jeux vidéo, la ludification repose notamment sur l'étude du comportement des individus, d'où l'intérêt des nouvelles technologies telles que l'Intelligence Artificielle (IA). Elle est reconnue comme l'une des idées les plus révolutionnaires de ces dernières années et son marché devrait bientôt représenter plus de 10 milliards de dollars. La ludification est de plus en plus utilisée dans le secteur du commerce et du e-commerce pour améliorer l'engagement du consommateur en misant sur l'amusement et la créativité, avec par exemple la mise en place de quêtes, la collecte de points d'expériences ou encore par les défis entre amis. Elle est un levier puissant dans la mesure où elle exploite les motivations et les désirs qui existent en chacun de nous : feedback, réussite, ou encore récompense. Pour les marques, elle représente un moyen de renforcer leur image et de structurer leur communauté de consommateurs.
Cédric Chéreau, co-fondateur et directeur général d'UntieNots
Une récente étude sur le sujet, commanditée par l'éditeur Comarch et réalisée par Opinionway auprès de 1 068 personnes représentatives de la population française âgée de 18 ans et plus, fait ressortir que 69 % des Français privilégient les marques qui leur proposent de gagner des récompenses. Les Français témoignent d'un attrait important pour le jeu de façon générale et y recherchent des éléments souvent très différents, voire complètement opposés : le quart d'entre eux par exemple (24 %), désigne la découverte et l'exploration comme leur élément préféré, ce qui témoigne de leur attrait pour l'immersion dans un univers ludique. L'échange et le dépassement de soi arrivent en seconde position avec 19 % des interrogés qui aiment interagir avec les autres, quand 16 % préfèrent la compétition ou la progression individuelle.
Des différences notables apparaissent également entre hommes et femmes : les hommes par exemple, se montrent plus sensibles aux aspects de compétition dans un jeu (20 % contre 13 % pour les femmes). D'un point de vue générationnel, les jeunes entre 18 et 24 ans sont en majorité séduits par la découverte ou l'exploration offerte par le jeu (34 %), contre 19 % des personnes âgées (65 ans et plus). Enfin, de manière générale, une large part des Français, toutes générations confondues, exprime sa préférence pour des jeux dans lesquels ils contrôlent le déroulé de la partie, n'ayant pas vraiment d'affinités pour le hasard ou la confrontation.
Récompenser les consommateurs pour les fidéliser
L'étude montre que 66 % des Français préfèrent opter pour un format de jeu leur assurant des récompenses, via un système de points ou de badges, par exemple. Et lorsqu'ils gagnent des récompenses dans un jeu proposé par une marque, les Français désirent pouvoir utiliser leurs gains instantanément et avoir une grande liberté de choix. Les bons d'achats sont donc à privilégier (48 %). Les récompenses sous forme de cadeaux ont tendance à séduire plutôt les femmes (23 %) et les jeunes entre 18 et 24 ans (30 %), les points de fidélité arrivent, eux, en dernière position, avec seulement 17 % d'adeptes. Enfin, près de 70 % des Français préféreraient faire un jeu proposé par une marque pour gagner des récompenses avant d'effectuer un achat, plutôt que pendant ou après.
Promotion de masse vs personnalisation
C'est sur cette vague que surfe la start-up UntieNots, créée en 2016 par deux anciens consultants de la société Emnos, filiale d'American Express spécialisée dans le développement de clientèle, Zyed Jamoussi et Cédric Chéreau. "La personnalisation de la promotion des marques est un sujet majeur", estime Cédric Chéreau, directeur général d'UntieNots. "Il y a bien longtemps, les distributeurs ont inventé la promotion massive et les avantages clients. Et au bout d'un moment, tout le monde se retrouve à faire les mêmes promotions. Et au final le consommateur ne se rend même plus compte qu'il y a un vrai avantage derrière une promotion". Et de citer, pour illustrer son propos, l'exemple d'une célèbre marque de café qui est "toujours en promotion quelque part". Et donc, le consommateur change de fournisseur au gré de ces promotions, ce qui n'est pas intéressant pour une enseigne en particulier. "Il faut sortir de cette spirale pour proposer des offres uniquement aux clients qu'elles intéressent. Nous avons lancé notre start-up il y a deux ans pour permettre aux distributeurs d'accéder à une vraie personnalisation des offres et leur proposons une solution reposant sur la gamification et sur l'IA.", poursuit le dirigeant.
"Nous avons démarré le projet en 2015 parce que nous pressentions que le Big Data, le cloud et l'IA représentaient de vraies opportunités. Grâce à ces technologies, on peut aujourd'hui faire des calculs beaucoup plus rapides et beaucoup moins chers", se souvient notre interlocuteur. Les deux porteurs de projet sont alors partis de rien mais avaient le carnet d'adresses nécessaire pour coder et exploiter les technologies cloud et Big Data. "Nous avions cependant le savoir et les connaissances du monde du retail et surtout une idée précise de ce que nous voulions faire", précise Cédric Chéreau. La première phase a été menée sur fonds propres, jusqu'à la preuve du concept. Ce n'est que dans un second temps, après la création de la société en 2016, que les deux associés sont allés chercher de l'aide à l'extérieur, auprès de la BPI et de l'accélérateur Wilco, notamment.
Concrètement
Le principe : si le client dépense un certain montant sur une période et sur une marque qui lui plait, il aura droit à une récompense (10, 20 ou 30 % de remise, par exemple). "L'idée est de faire dépenser plus dans l'enseigne et pas sur la marque", insiste Cédric Chéreau.
Ainsi, le client reçoit un e-mail, un SMS ou une notification l'invitant à se rendre sur une page personnalisée pour participer à "Loyalty Challenge". Là, il choisit un nombre de challenges parmi ceux, entièrement personnalisés, qui lui sont proposés. Les dépenses sur les produits, les marques ou les catégories concernés sont alors ajoutées au compteur du client, qui une fois le seuil de dépenses atteint, bénéficiera de la récompense promise.
C'est ce schéma que la start-up a mis en place notamment dans le groupe Auchan, où sa solution est utilisée dans le cadre des "Défis Waaoh", un dispositif de promotion ciblée déployé auprès d'un million des clients. "Auchan a été le premier distributeur alimentaire chez lequel nous avons déployé notre solution. Testée en 2017, elle a été utilisée entre mars et juin de cette année", détaille notre interlocuteur. "Le client recevait un e-mail et en cliquant sur le lien, il arrivait sur une page personnalisée qui lui proposait une vingtaine de défis, dont il pouvait choisir jusqu'à 10. Puis, lorsqu'il allait faire ses courses chez Auchan, il voyait ses compteurs avancer. Et plus la fin de la période approchait, plus les clients se connectaient pour voir où ils en étaient". Une nouvelle opération chez le même distributeur, de plus grande envergure encore, est prévue à la rentrée.
Dans un tel contexte, l'IA permet de comprendre les affinités des clients : "nous nous sommes inspirés des avancées récentes de Netflix ou Spotify, avons remonté ces algorithmes et les avons adaptés au retail physique", explique le dirigeant. "L'IA intervient pour prédire les comportements d'achat des clients et le moment où cet achat va intervenir, ainsi que le montant que le client va dépenser. Mais ce ne sont pas ses seules applications : elle est aussi utile par exemple pour traiter le résultat des campagnes passées pour affiner le résultat". Pour Cédric Chéreau, "la principale différence entre IA et analytique traditionnelle, c'est la force de frappe". Mais il note aussi une différence dans l'approche : "la nouvelle façon de travailler des Data Scientists est très intéressante : ce sont des assembleurs capables de 'cuisiner' les éléments qu'ils ont à disposition", constate-t-il.
Le dirigeant affiche une grande confiance dans l'avenir de sa société : "la richesse de notre approche, c'est de proposer quelque chose de différenciant, qui ne soit pas ce que tout le monde propose". Ainsi envisage-t-il, lorsque sa solution aura séduit une bonne partie des distributeurs français – mais pas tous, sans quoi elle n'aurait plus rien de différenciant – d'assoir sa croissance sur l'international. "Nous avons déjà une activité en cours en Tunisie, où nous menons un projet d'IA pour aider la chaîne de grandes surfaces Magasin Général à mieux comprendre les comportements de ses clients, afin d'y adapter les points de vente. C'est une première étape", conclut Cédric Chéreau.
Benoît Herr