Sur le papier, le principe est simple : les données issues de l'IoT, à l'instar de toute autre donnée en entrée du système, alimentent un ou plusieurs traitements ayant des finalités précises. Les domaines d'application de l'IoT sont vastes et nombreux et vont de la géolocalisation à la médecine à distance en passant par la gestion intelligente de bâtiments ou l'optimisation de tournées de livraison. En entreprise, industrielle notamment, la maintenance prédictive permet de détecter automatiquement les besoins de maintenance des divers équipements : un capteur envoie une alerte à l'ERP aux personnes concernées, optimisant les interventions. Les données de l'IoT viennent ainsi renforcer et enrichir l'ERP pour le rendre plus agile, pertinent et efficace et permettre aux entreprises d'offrir de nouveaux services.
Pour attrayant qu'il soit, l'IoT, dont les formes rudimentaires existent depuis longtemps, alors connues sous le nom de machine-to-machine, notamment dans le monde industriel, pose un certain nombre de difficultés pour l'intégrer aux ERP. La première de ces difficultés est le volume des données en entrée à traiter. En effet, si l'on prend le bien connu compteur Linky, par exemple, appelé à remplacer les anciens compteurs qui, dans le meilleur des cas, envoyaient quelques informations par an au système central, Linky envoie quant à lui des données quotidiennement, voire plusieurs fois par jour. Il faut que le système aval soit en mesure de les traiter.
IoT et industrie
Selon une étude de la branche recherche de IEN (Industrial Equipment News), une joint-venture entre Thomas Publishing Company LLC et Rich Media Group, commanditée par l'éditeur suédois IFS et portant sur 200 réponses émanant de cadres de l'industrie, la transformation numérique dans le monde industriel et l'IoT sont intimement liés. Pour démontrer ceci, deux questions ont été posées : "Dans quelle mesure estimez-vous que votre ERP vous prépare à la transformation numérique ?" et "Dans quelle mesure votre ERP ou votre EAM facilite la consommation des données de l'IoT ?".

Les répondants ont été classés en deux grandes catégories, les "leaders de la transformation numérique, qui affirment que leur ERP les prépare bien ou plus ou moins bien à cette transformation, et les "traînards", qui disent au contraire que leur ERP ne les prépare pas ou pas très bien à la transformation numérique. Le rapport établit une corrélation directe entre le niveau de préparation et le nombre de capteurs IoT utilisés, une corrélation plus flagrante que la taille de l'entreprise par exemple.
Le rapport cherche aussi à démontrer qu'il appartient à l'ERP de faciliter l'intégration de l'IoT. "La progression des organisations industrielles dans leur transformation numérique repose largement sur la capacité de chaque entreprises à étendre les données IoT émanant de l'atelier de production ou du terrain aux cadres dirigeants. C'est pourquoi l'ERP doit faciliter la communication dans les deux sens entre les unités connectées (contrôleurs logiques programmables, capteurs de température ou de vibrations voire unités de travail complètes reliées au travers d'un système SCADA) et le système d'enregistrement utilisé pour gérer l'entreprise", explique-t-il.
Les éditeurs sont-ils prêts ?
Les ERP actuels ne possèdent certainement pas tous ni ces fonctionnalités ni cette agilité. "Il est intéressant de noter que même les entreprises les plus avancées ont bien souvent répondu que leur ERP ne les préparait pas très bien à l'intégration des données de l'IoT. Cela signe le niveau de maturité de l'ERP en place et sa capacité à supporter des technologies de pointe comme l'IoT. Il y a à l'évidence un espace de progression à ce niveau, cette capacité n'étant pour l'instant toujours pas suffisamment robuste", analyse Rick Veague, Chief Technology Officer d'IFS pour l'Amérique du Nord.
De nombreuses installations ERP actuelles datent d'il y a 8 à 10 ans voire de bien plus longtemps encore : selon l'enquête CXP 2017, 54 % du parc est âgé de plus de huit ans, un pourcentage qui se répartit en 18 % datant d'avant l'an 2000 et un bon tiers (36 %) d'avant 2009 (voir ici). Il est clair qu'un ERP affichant un age aussi avancé n'est pas prêt techniquement à intégrer l'IoT, quand bien même il aurait connu toutes les mises-à-jour proposées par l'éditeur. Dans son assertion, Rick Veague en fait d'ailleurs implicitement le constat et la modernisation de ces systèmes est indispensable pour pouvoir profiter des nouvelles technologies comme les solutions mobiles, le cloud et bien sûr l'IoT.
Au-delà de la réalité du terrain, il y a aussi la perception subjective des ERP : alors même qu'ils constituent la colonne vertébrale du SI de l'entreprise, ils sont vécus comme lourds, longs à mettre en œuvre et un peu dépassés, l'antithèse des nouvelles technologies comme l'IoT. Si l'on ajoute à cela la notion d'accès indirects, lancée par SAP qui "demande à être payé non pas pour l'accès aux données des clients mais pour l'utilisation de l'intelligence embarquée dans ses solutions" (voir (Audit de licences et accès indirects irritent les utilisateurs), comme l'indiquait Marc Genevois, alors directeur général de SAP France, la situation se complique quelque peu et l'on comprend les réticences des entreprises utilisatrices, qui craignent des coûts supplémentaires et imprévus voire imprévisibles.

Globalement, les entreprises ne sont pas prêtes : c'est surtout vrai pour les PME, qui ne sont pas encore majoritaires à entreprendre leur transformation numérique et ne sont la plupart du temps pas encore prêtes à intégrer l'IoT dans leurs projets ERP. Mais c'est également le cas des entreprises plus importantes. Dans l'étude citée plus haut, près de 40 % des répondants déclarent posséder moins de 10 % d'équipements de production susceptibles de se connecter à l'IoT, c'est-à-dire qui utilisent des capteurs intégrés pour envoyer des données de performances utilisables pour prendre des décisions ou automatiser les processus (voir schéma 1). Il semble qu'en la matière les organisations fassent des choix tactiques en équipant leurs équipements les plus critiques de capteurs et non l'ensemble de la chaîne de production. De là à intégrer ces données dans un ERP à des fins d'exploitation automatisée le chemin est encore long.
Pourtant, l'IoT est non seulement l'un des piliers essentiels de la transformation numérique et tôt au tard il faudra bien que l'ERP soit en mesure d'en traiter les données. Gageons qu'à terme ce sera le cas.
Benoît Herr