Conseil et fournisseur de nouveaux leviers de changement pour les acteurs de la transformation interne, Lecko réalise tous les ans cette étude, qui a évolué au fil du temps depuis les seuls réseaux sociaux d'entreprise vers la globalité de la transformation numérique (voir par exemple l'édition 2018 icil'édition 2018 ici). De la même façon, l'œil du conseil devient plus affuté année après année et plus critique par rapport à ce qui se passe sur le terrain.
Moderniser n'est pas transformer
Parmi les nombreuses facettes de cette étude, il en est une qui illustre la différence entre modernisation et transformation. Arnaud Rayrole, directeur général, insiste sur le fait que la modernisation ne précède pas nécessairement la transformation. Pour le dictionnaire Laroussse, moderniser, c'est "rajeunir quelque chose, lui donner une tournure moderne", mais aussi "remplacer ce qui est vétuste ou obsolète par des installations, des équipements modernes". La notion de transformation est plus profonde et implicante que cela : le même dictionnaire nous dit que c'est "rendre quelque chose différent, le faire changer de forme, modifier ses caractères généraux". Appliquée à l'entreprise, cette notion implique un impact sur les processus, qui doivent évoluer, dans le cadre d'une transformation.

"Il arrive souvent que l'entreprise entame une démarche de modernisation avec l'ambition affichée de se transformer dans le cadre d'un même programme. Or, l'une ne précède pas l'autre, et la modernisation appliquée à des sujets de transformation crée plus d'inconvénients qu'elle n'en résout", nous explique Lecko. "Utiliser un outil à mauvais escient ou vouloir utiliser un outil pour une finalité pour laquelle il n'a pas pas été conçu conduit à l'échec". S'il est plus facile d'adopter de nouveaux outils en reproduisant les schémas habituels, il faut voir le changement comme une dynamique aux effets très différents quant il s'accompagne d'un véritable travail de remise en question des habitudes et des façons de travailler. Arnaud Rayrole illustre son propos par la métaphore des deux surfers abordant une pente suivie d'une remontée (voir schéma 1). Celui qui se contente de moderniser dévale la pente mais n'a pas suffisamment d'élan pour parvenir au haut de la remontée et reviendra se coincer dans le creux, tandis que celui qui se lance dans la transformation parviendra jusqu'au sommet.
Il cite trois exemples pour illustrer l'impasse créée par les stratégies consistant à d'abord moderniser puis transformer. Tout d'abord celui de la bureautique en ligne, qui entraîne une autre façon de travailler avec ses collègues. "L'expérience montre que la modernisation de l'outil sans changement d'usage associé crée de la frustration et des usages intermédiaires déceptifs". Pour illustrer cette contre-productivité, il cite l'export d'un document pour le transmettre par mail, la création de copies ou encore l'envoi d'un lien par mail à chacun avec un commentaire. Autre exemple, celui de la perte de productivité lors des réunions en ligne : ce type d'outils facilite l'organisation et réduit les contraintes logistiques. Mais leur effet pervers est la saturation des agendas et une certaine perte d'efficacité des réunions. En même temps qu'on facilite les réunions en rapprochant les gens géographiquement éloigné, les participants présents en salle s'échappent vers d'autres occupations. "Aujourd'hui, c'est tout juste si on a un ordre du jour, lors d'une réunion. Les Webex et autres outils réduisent la distance et subséquemment les réunions se multiplient, surtout que nous sommes tous connectés. Mais le niveau d'attention en réunion baisse : les gens sont sur leur smartphone ou sur autre chose", se plaint Arnaud Rayrole. Enfin, l'utilisation de chatops (outils collaboratifs connectant les personnes, les outils et le processus en un flux transparent) conduit à porter toutes les conversations dans un espace ouvert à l'équipe. Cette transparence n'est acceptée que dans un contexte de confiance. Dans le cas contraire, on assistera à des comportements déviants et à l'utilisation d'autres moyens de communication, plus classiques, comme le mail, le téléphone ou des réunions.
Sur le terrain, Lecko constate que les démarches de modernisation non suivies de transformation sont de plus en plus fréquentes. "On est aujourd'hui un peu endormi et souvent au maximum des apports potentiels du numérique", constate Arnaud Rayrole. "Les démarches de transformation doivent intégrer cette situation. Mais ces changements sont longs et pour qu'ils aboutissent il faut en démontrer la mise en mouvement progressive au travers d'éléments factuels", prévient-il.
Par ailleurs
Parmi les nombreuses autres facettes de cette étude, véritable panorama du collaboratif et de la transformation interne des organisations, il en est une qui insiste sur l'importance croissante des données secondaires pour mieux organiser et transformer l'entreprise.

Que sont les données secondaires ? Ce sont des données provenant d'un partenaire ou d'une source externe, qui viennent enrichir et compléter les données propriétaires (ou primaires) dont dispose déjà l'entreprise. Exemples : celles issues d'applications comme Waze ou Linkedin, qui peuvent être mises à profit par l'entreprise. Dans le cas de Waze, elles peuvent aider une collectivité à mieux comprendre comment et pourquoi se créent des embouteillages et ainsi servir à optimiser la gestion des feux de circulation. De la même façon, les données de Linkedin peuvent apporter une connaissance plus fine du marché de l'emploi sur un territoire. Plus généralement, ces données secondaires retracent l'activité et génèrent de la valeur même quand elles sont décorrélées des identités et des contenus produits.
Cependant, elles n'appartiennent pas à l'entreprise mais à la plate-forme qui les a générées. Ainsi, Microsoft, Google et les autres sont propriétaires des données secondaires de leurs clients Office 365 ou G Suite. Les géants du Web exploitent ces données avec des technologies d'intelligence artificielle pour faire progresser leurs outils mais aussi pour proposer des nouveaux services à valeur ajoutée qu'ils seront les seuls à pouvoir fournir. L'exclusivité sur la connaissance du fonctionnement des entreprises les rend à même d'évaluer la performance des équipes et d'orienter les choix des collaborateurs. Google propose déjà des suggestions de réponses aux mails pertinentes grâce à l'apprentissage automatique de nos comportements, et Microsoft Delve trie l'information utile au collaborateur. Se pose alors encore une autre question : celle du biais introduit par les algotithmes mis en œuvre.
Dans ce contexte, Lecko conseille de redonner la souveraineté aux entreprises sur leurs données secondaires en leur fournissant un cadre juridique, en distinguant l'usage des données lorsqu'elles sont associées à des données personnelles des situations où elles ne le sont pas. Le prestataire suggère aussi d'informer les collaborateurs de leur existence, de définir des mécanismes d'anonymisation et des règles d'accès à ces informations. L'objectif est de faciliter l'accès, la collecte et l'exploitation des données secondaires de l'entreprise en toute autonomie.
L'étude brosse aussi bien sûr, comme à son habitude, un tableau des outils existant sur le marché, avec un premier constat : Microsoft Office 365 et Google G Suite dominent de la tête et des épaules. Pour cette étude, Lecko a rencontré 72 éditeurs et intégré 87 solutions, dont 28 (dont les susnommés) ont été analysées en détail, le tout selon trois axes : transversalité, productivité et processus. Le résulat est synthétisé sur le schéma 2.

Quelques commentaires : la spécialisation des éditeurs continue d'avancer cette année sur l'axe de la productivité. La spécialisation est la clé trouvée par de nombreux éditeurs pour survivre dans un marché devenu ultra concurrentiel. Les généralistes sont de moins en moins nombreux. On y retrouve le dominant Office 365, G Suite et quelques autres acteurs qui adressent le marché de la collaboration d'une manière large.
Toutefois, Google ralentit le rythme. Le challenger principal de Microsoft sur le marché du cloud collaboratif a en effet connu une année 2018 en demi-teinte : d'un côté de bonnes nouvelles en matière d'évolution de l'expérience utilisateur, de l'enrichissement fonctionnel, du développement de fonctionnalités d'intelligence artificielle, mais de l'autre des déceptions, avec l'arrivée de Hangouts Chat (à l'expérience utilisateur brouillonne et avec un nombre de connecteurs encore trop faible). L'actualité n'est pas rassurante non plus pour la partie réseau social interne, avec l'arrêt de Google+ version grand public et (plus récemment) l'annonce de la fin des API Google+ globales. L'offre se recentre sur ses fondamentaux (messagerie et calendrier, collaboration en ligne en temps réel et organisation des contenus dans les drives). Hormis Workplace by Facebook, les surcouches G Suite et bien sûr Microsoft, les spécialistes, notamment les acteurs français, ont leur carte à jouer.
Benoît Herr