La notion de management de transition n'est pas récente : elle consiste à louer les services d'un "top manager", capable de prendre en charge au pied levé une mission particulière, limitée dans le temps et le plus souvent urgente, comme une restructuration, le lancement sur un nouveau marché ou la préparation d'une cession, fusion ou acquisition. Également appelé interim management pour dirigeants, ce système a longtemps concerné surtout les DRH, DAF, directeurs opérationnels, voire directeurs généraux. Mais avec la transformation numérique, les DSI sont aujourd'hui très demandés. La transformation numérique bouscule les codes de l'entreprise et ne pas se transformer assez vite, c'est mettre en jeu la pérennité de l'organisation.
Ces dirigeants sont immédiatement opérationnels et possèdent en principe des compétences pointues et adaptées à la mission. Le management de transition est de plus en plus utilisé, y compris en cas de vacance de poste. Il répond à la pénurie des talents et au besoin d'encadrer des missions spécifiques dans le temps. En progression de 27 % en 2017 par rapport aux quelque 300 M€ qu'il représentait en 2016, le marché français du management de transition est en forte croissance selon l'étude XERFI 2017 réalisée pour la FNMT (Fédération Nationale du Management de Transition). Cela représente quelque 2 000 missions par an, d'une durée moyenne de 150 jours pour un prix client moyen de 1 000 €/jour.
Des compétences immédiatement opérationnelles
La management de transition répond souvent à des situations complexes, pour aider une organisation à résoudre des difficultés qu'elle ne pourrait résoudre seule. Le manager de transition permet d'accompagner et de sécuriser le changement et doit être capable, en très peu de temps, de proposer une première solution. Il est lui-même associé à un accompagnateur, qui l'aide à prendre du recul sur sa mission en entreprise et lui permet de valider et séquencer les objectifs à atteindre, en lien avec le client.
"Autant dire qu'un manager de transition est observé de tous lorsqu'il débute sa mission", relève Xavier de Lombarès, directeur général d'Aptimen Managers, une entreprise de management de transition rachetée en 2018 par le recruteur et conseil RH Taplow Consulting France. "Le savoir-être est essentiel : c'est même la première des compétences, indispensable les premiers jours de mission pour cerner les défis à relever, les attentes de l'entreprise et évaluer et contractualiser ses objectifs". Il est vrai que les rapports hiérarchiques peuvent être compliqués, quand on n'est pas salarié de l'entreprise. D'où l'intérêt du binôme. La dimension humaine de ces missions est essentielle. Cédric Texier, manager de transition, et Thierry Siebenborn, accompagnateur référent chez Aptimen Managers, témoignent de cette assertion. Ils ont pu mener à bien une délicate opération de réorganisation de la principale plate-forme logistique d'un important groupe industriel français, par laquelle transite chaque année 80 % du chiffres d'affaires national, parallèlement à la transition vers un nouvel ERP.
Management de transition et SI
Dans le cadre plus spécifique de l'IT, les managers de transition se doivent, outre leurs capacités d'engagement, de faire preuve de fortes aptitudes opérationnelles pour accompagner la transformation. Des exemples de missions dans l'IT ? Relancer un projet ERP en difficulté ou outiller l'entreprise de façon à permettre sa transformation. Fabien Triaire, responsable practice IT et Digital chez Robert Walters Management de transition, créé il y a plus de 10 ans, explique que "l'activité SI et digital est en croissance, avec plusieurs dizaines de missions en cours à date. Il y a 20 ans, c'était les DAF qui occupaient cette position".
Fabien Triaire, Robert Walters
La fonction de DSI a toujours été chahutée et la DSI longtemps présentée comme un centre de coûts. Surtout axée sur le "run", "on l'appelle quand ça ne marche pas...", constate Fabien Triaire. Or, la fonction évolue : "hier le DSI modifiait la présentation Powerpoint du DG et aujourd'hui on lui demande de refondre le business model de l'entreprise". La transformation numérique et l'externalisation des infrastructures imposent en effet une refonte des schémas directeurs et des modèles d'affaires de l'entreprise. D'où de nouveaux besoins en managers de transition en SI. "Il y a donc eu une espèce de panique autour du numérique, particulièrement dans le B2C ou le retail, qui fait que le numérique est devenu stratégique".
Mais 10 ans de recherche permanente de réduction de coûts, l'obsolescence progressive des systèmes et des méthodes et la prééminence du "run" sur les projets innovants ne font pas d'un DSI l'acteur auquel on pense immédiatement pour mener la transformation numérique d'une organisation. Et pourtant, sa connaissance transverse des métiers, son savoir en matière de management des équipes techniques et le regard pragmatique qu'il porte sur la transformation numérique en font un partenaire stratégique des directions générales. "Aujourd'hui, le DSI ne joue plus simplement un rôle de maitrise d'œuvre", commente Fabien Triaire.
Robert Walters travaille essentiellement avec des DSI indépendants ayant une expérience de quelque 25 voire 30 ans dans le métier, ce qui les rend immédiatement opérationnels. "Ce n'est pas de la chasse de têtes mais de l'animation de réseau, que nous faisons. Le management de transition, c'est 'faire appel à un pair pour, par exemple, introduire le DevOps ou les méthodes agiles pendant que je peux continuer à me consacrer au run'", détaille Fabien Triaire, qui cite l'exemple de ce grand équipementier automobile qui a fait appel à lui pour mener son projet ERP. "Il maîtrise le sujet de bout en bout et, à l'inverse d'un consultant, n'a pas d'enjeu. C'est la grande différence avec le conseil".
Compte-tenu du profil de ces managers, "le sujet de la séniorité n'est juste pas un sujet. Au contraire, nous la valorisons et nos managers assument pleinement leur expérience antérieure", assure notre interlocuteur. Autrement dit, il estime redonner le pouvoir à ces personnes qui ont roulé leur bosse pendant des décennies dans le métier. Plus généralement, l'avenir de cette forme de management dans les SI semble radieux dans un contexte de transformation exigeant expérience, transversalité et efficacité. D'ailleurs, "nous avons fait deux missions blockchain l'an passé, dans le commerce de détail, et nous commençons à avoir de la demande dans le domaine de l'intelligence artificielle", conclut Fabien Triaire.
Benoît Herr