Le cloud, c'est simple : ça fonctionne à l'abonnement, à la consommation, au "pay as you go". Et c'est flexible et s'adapte aux besoins de l'entreprise. De plus, les fournisseurs de cloud n'ont de cesse de vanter les économies réalisées si l'on compare cette technologie au on-premise. Seulement voilà, ça c'est la théorie : à l'instar de ce que nous connaissons tous dans la sphère privée pour nos smartphones, par exemple, un abonnement que l'on n'utilise pas peut rapidement coûter très cher. En outre, si l'élasticité du cloud permet d'absorber les pics de charge il faut s'en servir réellement et ne pas recréer des environnements dimensionnés sur les crêtes, comme au temps du on-premise. De la même façon, le cloud, notamment public, propose de nombreuses fonctions. Il vaut mieux s'en servir plutôt que de recréer ses propres services, sans quoi la sanction est économique.
Toutes ces raisons ont fait apparaitre depuis quelques temps un nouveau "buzzword" : FinOps. FinOps signifie "Financier des Opérations". Il s'agit d'un nouveau métier, une nouvelle mission au sein de l'entreprise, généralement confiée à un nouveau mouton à cinq pattes, un architecte cloud qui serait en même temps contrôleur de gestion et gestionnaire de contrats. Sa mission : surveiller les coûts de ces ressources fluctuantes du cloud, pour qu'ils n'explosent pas d'une période sur l'autre et permettre à l'entreprise d'atteindre les économies qu'elle attend de son passage au cloud.
Une explosion des coûts d'autant plus plausible pour ne pas dire probable que les fournisseurs de cloud ont une fâcheuse tendance à facturer des services supplémentaires, à la multiplication desquels on assiste depuis quelques années, comme par exemple le "load balancing" (ou répartition des charges), ce qui peut certes être utile. Non seulement cela alourdit la facture mais la complique également, la rendant de moins en moins lisible. "Il y a de nombreux services cloud qui ne sont pas forcément toujours utiles", estime Etienne Deneuve, solution architect cloud & DevOp Solutions chez Dell EMC. En effet, alors qu'un DSI, un DAF ou un DG s'attendraient à ce que leur prestation cloud soit forfaitaire, de nombreux "extras" apparaissent sur le document. De fait, les témoignages selon lesquels le cloud serait en réalité plus coûteux, la facturation des fournisseurs bien trop technique et pas si prévisible que cela, surtout sur le long terme, se multiplient. "Il y a de nombreux coûts cachés dans le cloud public et si on y va pour le prix, on fait rapidement machine arrière", poursuit Etienne Deneuve. "Certains clients n'ont que faire des détails et veulent du résultat. Mais d'autres souhaitent savoir ce qui leur est réellement facturé et veulent entrer dans le détail", se défend Frédéric Atlan, group business & partner development manager chez Claranet. "Certaines entreprises fonctionnent encore avec de budgets à 4 ou 5 ans mais veulent profiter des avantages du cloud public. Et là, elles veulent en plus connaître le prix du Go", ajoute James Karuttykaran, director Southern EMEA chez Nutanix. "C'est à la faveur de l'évolution technique qu'on a pu passer dans un modèle d'économie du partage. Mais les entreprises n'avaient pas nécessairement les outils pour évaluer les différentes options", résume Mathilde Saint-Pol Cousteix, chief technology management & financing innovation officer chez Econocom.
Autre aspect des choses, les contrats, leur durée et leur réversibilité. Et aussi leur diversité, car chaque fournisseur propose plusieurs types de contrats. Alors qu'on a vendu le principe de l'abonnement, du paiement à l'usage et de la possibilité de quitter le fournisseur à tout moment aux dirigeants, les voilà engagés contractuellement pour trois ans voire plus, ce qui est pour le moins antinomique. Des contrats le plus souvent négociés par les DSI et les acheteurs, selon les intervenants.
"Quitter le cloud, c'est compliqué", lance Renaud de la Croix, partner financial services chez Accenture. Une réversibilité d'autant plus compliquée que certains fournisseurs enferment les clients dans des technologies propriétaires. AWS par exemple, qui vante les mérites et l'ouverture de ses API, oublie un peu de préciser qu'elles ne fonctionnent que sur sa propre infrastructure. Ainsi, si le client souhaite opter pour une plate-forme concurrente, il lui faut tout réécrire.
La consumérisation
Le cloud a aussi tendance à favoriser la consumérisation : il est simple, pour un utilisateur, de souscrire à tel ou tel service, sans d'ailleurs en référer à sa DSI, renforçant au passage un peu plus le shadow IT dans l'organisation. Pour Etienne Deneuve, "le principal problème du Shadow IT est sécuritaire".
Au départ, les budgets liés à ces services sont réduits pour ne pas dire insignifiants. Mais au fil du temps, ils enflent insidieusement et devraient faire se poser des questions comme la rentabilité de la chose ou les possibilités alternatives, peut-être moins chères et plus performantes. Côté DSI, il faut se demander comment sensibiliser les utilisateurs à ces dérives et comment les éviter. Car, on le voit, la disruption du cloud n'est pas uniquement technique mais aussi organisationnelle.
Quelles solutions ?
"Il faut utiliser au maximum les services des fournisseurs de cloud. Ce qui coûte cher, ce sont les services que l'on n'utilise pas. Il faut donc savoir où sont consommées les ressources pour optimiser leur utilisation", insiste Renaud de la Croix. "Sur le cloud, il faut adopter et non adapter. En adoptant, on réduit les délais et les coûts. Et il importe de donner de la valeur métier à la facture du cloud".
Pour James Karuttykaran, "les entreprises ont besoin d'outils de mesure". "Il faut comprendre comment l'application consomme les ressources du cloud, car ce qui coûte cher, ce sont les ressources inutilisées", rappelle Renaud de la Croix. Et Mathilde Saint-Pol Cousteix estime que "le dimensionnement de l'infrastructure est le reflet de l'entreprise de demain, pas de son état actuel. Elle peut anticiper de la croissance, mais pas nécessairement. Cette projection n'est pas simple à faire, car la grande question est l'échelle de temps".
Frédéric Atlan explique que "l'activité FinOps est utilisée depuis 5 où 6 ans chez Claranet, pour accompagner les clients. Mais elle n'a été formalisé que depuis deux ans. Nous avons commencé à identifier des personnes, essentiellement avec un profil ingénieur, pour la prendre en charge" – "Le FinOps est là pour expliquer le cloud a des financiers et à des managers", note James Karuttykaran. Il constitue une réponse, mais plutôt que celle d'un seul individu, pour Renaud de la Croix, "il est l'œuvre d'une équipe". Mathilde Saint-Pol Cousteix souligne "qu'il s'agit d'un processus d'entreprise" et que la question du vrai besoin d'hyperflexibilite est fondamentale. "Il y a souvent plus besoin d'agilité que de prédictibilité des coûts", affirme-t-elle.
Cependant et heureusement pour Dell-EMC, "il y a toujours des clients qui achètent des serveurs et du stockage. Il n'est pas possible de tout mettre dans le cloud". Et James Karuttykaran de constater que "aujourd'hui les start-up utilisent le cloud public et concurrencent les entreprises traditionnelles. Il faut donc que ces dernières s'adaptent si elles veulent rester dans la course". Autrement dit qu'elles aillent également vers le cloud public. "Les études montrent que le monde idéal est hybride", conclut-il.
Benoît Herr