En marge de sa soirée Open Source Pro, 4ème du nom, à la maison d'Alsace (voir photo), réservée aux DSI, Alexandre Zapolsky, président de Linagora, a accordé une interview exclusive à la rédaction. Pour lui c'est simple : "l'Open Source est au cœur de la stratégie de tous les géants de l'Internet. Le succès des GAFAM est fondé sure des socles technologiques Open Source. Si IBM a certes payé Red Hat cher, c'est en train de fonctionner". Explication.
Sur la seule année 2018, les cessions et/ou introductions en bourse ont représenté au moins 53 milliards de dollars aux États-Unis, avec les deux rachats déjà cités, mais aussi celui de Mulesoft par Salesforce pour 6,5 milliards de dollars ou de Magento par Adobe pour 1,7 milliard. "L'explosion de valeur de l'Open Source n'a pas vraiment été commentée par le marché et pourtant elle génère de la valeur", estime Alexandre Zapolsky. "Même Microsoft fait dans l'Open Source. En fait, ils n'ont pas vraiment le choix et toutes les GAFAM et les BATX (c'est-à-dire les géants du Web chinois : Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) s'y mettent. On assiste à un vrai changement de paradigme à ce niveau". Même le très propriétaire Apple est un grand consommateur de libre. Rappelons que son système d'exploitation Mac OS est fondé sur le noyau Mach et sur l'implémentation BSD d'Unix. "Il n'y a plus de tabou à ce niveau là", estime le dirigeant. "Même les grandes banques ont aujourd'hui des stratégies Open Source massives". Et il assure pouvoir en parler savamment puisqu'il siège à l'IT advisory board de la Société Générale.
La 4e soirée Open Source Pro, à la maison d'Alsace
Le Président Macron plaide pour une troisième voie numérique qu'incarneraient la France et l'Europe, quelque part "entre l'Internet californien et l'Internet chinois, pour faire respecter nos valeurs et faire respecter nos idéaux". C'est en tout cas ce qu'il a affirmé à l'occasion du forum sur la gouvernance de l'Internet, le 12 novembre 2018. Une vision qui n'est pas pour déplaire à Alexandre Zapolsky, on s'en doute. Et dans le prolongement de cette assertion, le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Lemaire, accueillait le 22 janvier dernier la seconde édition des "Rendez-vous de Bercy", dans un contexte où la France va présider le G7 pendant toute l'année 2019. À cette occasion, il a évoqué la possibilité d'un "démantèlement, ou à tout le moins l'encadrement, des monopoles et oligopoles technologiques pour ne pas brider les futures vagues d'innovation". Ce qui fait dire à Alexandre Zapolsky "qu'il est donc vraiment en train de se passer quelque chose en France et en Europe".
Linagora surfe sur la vague
Dans ce contexte mondial des plus favorables, Linagora a enregistré une année record en 2018, avec 18 % de croissance. "Nous sommes happés par le mouvement ; la société est en plein boom et il s'y passe beaucoup de choses intéressantes", commente son président. À commencer par les premiers succès de sa plate-forme Open Source collaborative OpenPaaS, lancée il y a tout juste un an, à l'occasion du Mobile World Congress 2018, et mise en œuvre notamment avec le laboratoire d'informatique de l'École Polytechnique et le Laboratoire Lorrain de Recherche en Informatique et ses Applications (LORIA). "Le marché est en train de prendre, y compris à la gendarmerie nationale, ce qui est un signe encourageant", estime le dirigeant.
La croissance de l'entreprise est surtout liée à une augmentation significative de l'activité de souscription, qui a fait un bond de 26 % sur l'année et représente près de 50 % du chiffre d'affaires total, qui sera de l'ordre de 16 M€ en 2019 pour quelque 200 collaborateurs. Cette activité correspond à la commercialisation des offres logicielles de l'entreprise en mode SaaS (une gamme complète et 100 % Open Source), au support des logiciels installés on-premise et aux activités dites OSSA (Open Source Software Assurance). Ces dernières consistent à fournir un support de haut niveau sur quelque 400 logiciels libres. En 2018, Linagora a gagné près d'une dizaine de contrats OSSA importants, auprès de plusieurs grands groupes bancaires, de PSA, de la Banque de France, de La Poste ou encore de la CNAM (Caisse Nationale d'Assurance Maladie).
Le secteur public est un marché des plus importants pour l'entreprise. Outre les organismes publics précités, 42 ministères et administrations au total comptent parmi les clients de Linagora, essentiellement pour du support à l'usage des logiciels libres, ce qui en fait l'un des principaux fournisseurs de l'État. Des centaines de tickets ont ainsi été traités au cours des 24 derniers mois. Malgré une politique "Open Source first" qui dure depuis des décennies, certains services de l'État sont à la peine et encore au moins partiellement équipés de logiciels commerciaux, ce qui fait dire à Alexandre Zapolsky que "dans le public, en fait, l'Open Source commence à peine à prendre maintenant".
Alexandre Zapolsky, président de Linagora
L'international et l'export ont également toujours fait partie de la stratégie. Ils entrent pour quelque 20 % dans l'activité globale et l'entreprise possède trois représentations à l'étranger, au Canada, à Montréal, au Vietnam, à Hanoï, et en Tunisie, à El Ghazala.
Alexandre Zapolsky conclut que "2018 s'est terminée en forme de consécration de notre modèle d'éditeur de logiciels libres éthiques. [...] Nous avons créé un grand industriel de la troisième voie numérique. Et nous ne comptons pas nous arrêter là ! De fait, le dirigeant prévoit une accélération de sa croissance organique en 2019, qu'il voit supérieure à 32 %. Pour atteindre cet objectif il compte notamment poursuivre ses investissements en R&D à hauteur de 4 M€ sur l'année. Quant aux valeurs qu'il défend, outre l'Open Source par principe et donc une alternative crédible aux GAFAM, ce sont des concepts comme "ethical by design" ou "privacy by design". Enfin, dans la droite ligne de ce qu'exprimait le Président Macron le 12 novembre dernier, Alexandre Zapolsky confirme qu'entre les pôles américain et chinois "il faut développer une exception numérique française ou européenne, qui intéressera aussi l'Inde, l'Amérique du Sud ou l'Afrique".
S'il n'est certes pas possible de généraliser le cas de Linagora, le fait est que le secteur du libre a actuellement le vent en poupe ; les autres acteurs français du secteur affichent aussi pour la plupart des résultats tout à fait satisfaisants.
Benoît Herr
Qui est Alexandre Zapolsky ?
Toulonnais de naissance, Alexandre Zapolsky a fondé sa société, Linagora, en 2000, après des études à Télécom Ecole de Management, dont il est également sorti en 2000. Depuis, il en a été est le PDG et, depuis peu, uniquement le président, laissant le rôle de directeur général à son associé et co-fondateur Michel-Marie Maudet. En 18 ans, Linagora est devenu l'un des principaux acteurs du logiciel libre en France, bien implanté notamment dans les instances gouvernementales (dont de nombreux ministères et l'Assemblée nationale).
Entrepreneur militant de la cause des PME, du numérique et de l'Open Source, Alexandre Zapolsky a été le premier dirigeant issu du monde du logiciel libre à faire son entrée au conseil d'administration de Syntec Numérique, en 2011, et y a présidé le comité Open Source. Aujourd'hui, il est membre du Conseil national du numérique.
Chevalier de l'Ordre National du Mérite en 2017 et détenteur de nombreuses autres distinctions, il a aussi fait une brève carrière politique en étant l'un des premiers à s'engager dans le mouvement En Marche, mouvement dont il a été le candidat malheureux dans la 3ème circonscription du Var (sa circonscription de naissance) lors des législatives de 2017.
BH