Il y a eu un schisme au sein du cabinet de consulting américain indépendant spécialisé dans l'ERP Panorama Consulting Group : son fondateur, le charismatique Eric Kimberling, l'a quitté pour aller fonder un autre cabinet de consulting, sur le même modèle et à quelques encablures de là : Third Stage Consulting Group. Third Stage comme – entre autres – le troisième stade de maturité des entreprises, d'une implémentation d'ERP réussie ou encore de la transformation numérique d'une entreprise. Déjà tout un programme. Mais aussi, sur un plan plus personnel pour lui, son premier stade a été la fondation de Panorama Consulting Group, le second l'arrivée à bord de deux partenaires. Et donc le troisième, Third Stage, a pour objectif de lancer une nouveau et différent cabinet de consulting dans le paysage.
Dans ce contexte, loin de renoncer aux rapports périodiques toujours très informatifs qu'il publiait, il en a élaboré un nouveau, dont à la fois le périmètre et la méthodologie diffèrent (de son côté, Panorama Consulting Group poursuit les efforts en la matière, qui avaient été initiés dès 2008). Côté méthodologie, plutôt que d'établir des moyennes, dont il doute de l'intérêt pour les entreprises, il propose des fourchettes, quantitatives et qualitatives. L'étude analyse aussi les corrélations entre réussite ou échec de la transformation numérique et les choix stratégiques et tactiques qui ont été faits. Elle s'appuie sur des données issues d'un millier de transformations, recueillies au cours des 20 dernières années.
Durée et coûts
Ainsi par exemple, l'étude montre que dans les PME générant entre 50 millions de dollars de chiffre d'affaires annuel et un milliard, la plupart des projets ERP durent entre 14 et 16 mois. Dans les entreprises au-delà du milliard de chiffre d'affaires, cette durée grimpe à 31 à 34 mois. À noter que la tendance est à la hausse depuis deux ans, parce que les éditeurs majeurs lancent de nouveaux ERP, moins éprouvés et moins matures. Le phénomène induit de la complexité et des difficultés d'implémentation.
En termes de budgets, les chiffres varient également largement en fonction de la taille de l'entreprise. C'est pour cela que Third Stage les rapporte au chiffre d'affaires. Ainsi, dans les PME réalisant moins d'un milliard de dollars de chiffre d'affaires annuel, ce ratio oscille entre 3 et 5 % du CA. Dans les entreprises de taille plus importante, ils s'établiront plutôt entre 2 % et 3 % du CA. Cette baisse du ratio est liée aux économies d'échelle plus importantes lorsque les plus grandes organisations se transforment. Autrement dit, il y a un ticket d'entrée à la transformation numérique, indépendamment de la taille de l'organisation.

De nombreux facteurs comportementaux et qualitatifs ont été analysés. Parmi ceux-ci, les plus corrélés aux délais et aux coûts d'implémentation sont :
- Le périmètre du projet. Les projets ayant des périmètres fonctionnels plus importants coutent logiquement plus et prennent plus de temps ;
- L'importance du changement. Les projets qui modifient l'organisation en profondeur coutent plus cher et prennent plus de temps. Une migration d'un mainframe vers une solution moderne, par exemple, va couter plus en temps et en budget que des changements moins radicaux et plus incrémentaux ;
- Le complexité de l'exploitation. Les organisations comptant de nombreux départements ou services, des représentations dans de nombreux pays et d'autres éléments de complexité dans leur modèle d'affaires auront les coûts et les dépenses les plus élevés ;
- Le niveau de support au changement organisationnel. Les entreprises ayant le plus investi dans la gestion du changement enregistrent les coûts les plus faibles et les délais les plus courts ;
- Le degré de personnalisation du logiciel. Les organisations ayant le plus développé de spécifiques au sein de leur solution auront les coûts et les dépenses les plus élevés.
Défis et tendances
L'étude met aussi en lumière les principales difficultés rencontrées par les directions et les équipes de projet et leurs causes dans le processus de transformation. Les cinq défis majeurs, par ordre de fréquence d'apparition, sont :
- Le changement organisationnel et plus particulièrement ses aspects humains. Que la résistance au changement soit intentionnelle ou plutôt liée à des incompréhensions, il s'agit là du défi majeur de la transformation numérique ;
- Un mauvais alignement de la transformation avec les objectifs stratégiques. De nombreux dirigeants et équipes projets ont eu à gérer des transformations qui n'étaient pas en phase avec les objectifs stratégiques globaux de l'organisation ;
- Les difficultés à gérer et à résoudre les carences de l'intégrateur. De nombreuses entreprises parmi celles qui ont entièrement confié leur déploiement à un intégrateur ont eu à relever ce genre de défis, bien plus que celles qui s'étaient plus activement impliquées et approprié leur transformation ;
- La pertinence des processus métier. Les organisations qui n'ont pas pris le temps de définir clairement leur processus métier à venir ont eu plus de difficultés. Ce sont celles qui s'appuient sur des "best practices" et des fonctionnalités logicielles standard pour piloter leur transformation qui ont le plus de difficultés ;
- Difficultés à migrer les données. Le nettoyage, le mapping et le transfert des données de l'ancien système vers le nouvel ERP sont des défis classiques pour les organisations qui opèrent leur transformation.
Sur la base des éléments quantitatifs et qualitatifs qu'elle a mis en lumière, l'étude se livre ensuite à un certain nombre de prédictions et anticipe les tendances. Elle en retient 10, parmi lesquelles la première est une restructuration du marché des ERP majeurs, car la nature même des ERP est en perpétuelle évolution. Jusqu'ici, des solutions comme Salesforce et Workday n'ont jamais été considérées comme des ERP. Pourtant, elles arrivent en tête de la liste des systèmes les plus performants dans l'étude de Third Stage. À noter également que des systèmes comme Microsoft Dynamics 365 et Netsuite tirent bien mieux leur épingle du jeu cette année en se classant respectivement premier et troisième. A contrario , des classiques comme Oracle n'entrent pas même dans la liste des meilleures solutions. Tout ceci plaide en faveur d'une redynamisation importante du secteur dans les années à venir.
Parmi les autres tendances mises en exergue, l'obsolescence progressive des implémentations traditionnelles d'ERP et de SIRH arrive en deuxième position. "On n'implémente plus aujourd'hui un ERP comme en 1999", dit le rapport. "Cela ne fonctionne plus. Plutôt que de voir les installations d'ERP et de SIRH comme un moyen d'automatiser des fonctions de back-office ou d'automatiser des processus métier d'ores et déjà inefficaces, les organisations innovantes sur le plan technologique vont rencontrer le succès en rompant avec le status quo". Les entreprises vont plus s'orienter vers le troisième stade de l'ERP et s'engager dans une vraie transformation numérique. Par rebond, les implémentations d'ERP traditionnelles se feront plus rares.
Enfin, s'agissant du cloud, si certains croient en la disparition totale du on-premise, le rapport émet des doutes sur ce point mais prédit que 2019 sera l'année où l'adoption des ERP dans le cloud atteindra un point critique. "Les éditeurs et même l'ensemble de l'écosystème des ERP investissent trop d'argent dans leurs produits phares dans le cloud pour que cela n'ait pas une influence sur le taux d'adoption. C'est l'an prochain que cela se matérialisera de manière vraiment concrète".
Benoît Herr, sur la base de "The 2019 Digital Transformation, HCM, and ERP Report", Third Stage Consulting Group