C'est en grande pompe que Syntec Numérique a fêté il y a quelques jours son demi-siècle d'existence, en présence de quelque 600 personnes : tout le Ghotha de la profession était là, plus un ancien ministre et un ministre en exercice. Et même de Geoffroy Roux de Bézieux, le patron du MEDEF. L'ancien ministre, c'était le philosophe Luc Ferry, venu nous parler de transhumanisme et de Victor Hugo, transhumaniste avant l'heure. Le ministre en exercice Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et des Finances chargé du Numérique. Lui était plutôt venu secouer un peu le cocotier et expliquer que bien que le secteur du numérique en France représentait plus que celui de l'aéronautique, par exemple, on entendait bien moins sa voix. Un phénomène qu'il met en relation avec l'atomisation des représentations de la profession.
La journée a commencé par une assemblée générale, au cours de laquelle les adhérents ont élu neuf nouveaux administrateurs sur les trois collèges de Syntec Numérique : Entreprises de Services du Numérique (ESN) (Véronique Di Benedetto (Econocom), Marc Bousquet (Accenture), Olivier Cazzulo (Netsystem Digital), Béatrice Kosowski (IBM) et Soumia Malinbaum (Keyrus)), éditeurs de logiciels (Guillaume Buffet (U Change), Arnaud Merlet (SAP) et Gilles Mezari (Saaswedo)) et sociétés de conseil en technologies (Benoît Maistre (Astek)).
À retenir
L'objectif de la consultation "Raconte-moi le futur", lancée quelques semaines en amont, était de recueillir les opinions des Français par rapport au futur et à la place du numérique dans la société. Plus de 6 500 répondants se sont prêtés au jeu de ce questionnaire Internet, pourtant assez long à remplir. Si les réponses révèlent une certaine maturité quant à l'usage du numérique dans la vie des répondants, elles révèlent aussi les trois grands défis qui devront être relevés pour emporter l'adhésion de tous.
Pour les répondants, les technologies doivent servir les enjeux liés à l'écologie et à l'environnement. 37 % considèrent que le numérique doit servir en priorité cette grande cause, devant la santé (26 %) et l'enseignement (20 %). Un véritable défi car, pour l'heure, les réponses sont partagées : 48 % estiment que le développement des technologies numériques est plutôt un espoir pour l'environnement mais 52 % pensent au contraire qu'il s'agit plutôt d'un danger (voir figure 1).

L'humain doit rester le maître du jeu : 54 % des répondants préfèreraient prendre un avion avec un pilote plutôt que sans, même s'il a statistiquement plus de chances de s'écraser et seulement un tiers du panel se dit prêt à consulter une application proposant des diagnostics basés sur des millions de cas recensés plutôt que d'appeler un médecin.
Le défi des compétences et des métiers du numérique : près des deux tiers des répondants (64 %) se disent confiants pour aborder les évolutions du monde du travail auxquelles ils pourraient être confrontés du fait du numérique dans les années à venir, mais une majorité (55 %) se sentent plutôt seuls pour ce faire. Et seulement 26 % des répondants seraient prêts à s'engager avec enthousiasme dans une formation en informatique.
Trois défis
La consultation met en lumière trois principaux défis à relever par les professionnels du numérique :
1/ Épouser les préoccupations environnementales des Français
En 50 ans, le numérique a profondément métamorphosé le quotidien des Français, un changement perçu aujourd'hui comme majoritairement positif puisque près de 9 répondants sur 10 (88 %) estiment que ces technologies leur simplifient la vie. 52 % considèrent également qu'elles leur apportent personnellement "plus de bien que de mal". Toutefois, quand on leur demande de juger cet apport du point de vue de l'intérêt collectif, le constat se révèle bien plus ambigu car seuls 27 % font le même calcul couts-bénéfices.
Par exemple sur l'environnement, 52 % des personnes interrogées perçoivent le numérique comme un danger. Or, comme déjà indiqué, ils sont 37 % à estimer que ces technologies devraient au contraire se développer en premier lieu à son service, devant la santé (26 %) et l'enseignement (20 %). Ces préoccupations transparaissent en effet de plus en plus dans leurs usages : en matière de mobilité, 42 % ont pour priorité de se déplacer à l'avenir de façon plus écologique. Ce n'est qu'ensuite qu'arrivent les autres préoccupations, comme se déplacer avec plus de fluidité, de façon plus économique ou plus confortable et moins fatigante (voir figure 2). Enfin, 45 % d'entre eux (dont 53 % des moins de 30 ans) soutiennent les nouveaux modes de consommation autour du partage, de la location (abonnements etc.).
2/ Garantir la protection de la vie privée et la place de l'humain
La gestion des données personnelles divise : 59 % des répondants s'opposent à l'idée que des applications ou appareils collectent leurs données et suivent leurs activités même si c'est pour leur faciliter la vie (versus 41 % pour qui ce n'est pas un problème). De façon générale, ils sont même 64 % à considérer le numérique comme un danger pour le contrôle de leur propre vie.

Plus que de la méfiance, leurs réponses semblent dénoter un certain recul et une nouvelle maturité dans les usages : si les répondants estiment ne pas pouvoir se passer d'Internet (80 %) ou de GPS (60 %), ils sont désormais plus de 50 %, toutes générations confondues, à penser pouvoir faire sans réseaux sociaux. La consultation fait aussi ressortir une certaine prise de conscience de la question de la dégradation de l'attention : ils sont en effet 46 % à estimer faire une utilisation excessive de leur téléphone portable (contre 54 % qui la jugent raisonnable). Une maturité des usages qui fait émerger un défi d'acceptabilité des technologies au niveau sociétal.
Ainsi, plus d'un répondant sur deux (52 %) s'inquiète des conséquences de la robotisation et de l'automatisation sur l'avenir de l'emploi quand 48 % se réjouissent au contraire que des tâches répétitives soient progressivement prises en charge par des ordinateurs ou des robots. On le voit en creux, la place de l'humain dans les développements à venir interroge.
3/ Accompagner la formation et soutenir l'attractivité des métiers du numérique
À l'heure où l'ensemble des secteurs organisent leurs transformations numériques, les répondants se déclarent en majorité (64 %) confiants pour affronter les évolutions du monde du travail auxquelles ils seront confrontés dans les années à venir.
Ils sont même 81 % à juger motivante et excitante l'idée de se former tout au long de leur vie. Cela étant, une majorité d'entre eux (55 %) se sentent plutôt seuls face à ces mutations qui s'annoncent.
Dans ce contexte, l'attractivité du secteur numérique en tant que tel, pourtant perçu comme l'avenir, apparaît aussi comme un véritable enjeu. Car si 26 % des répondants seraient prêts à s'engager avec enthousiasme dans une formation en informatique (ou ont déjà fait ce choix), 41 % concèdent ne pas être intéressés par ce type de filière. Et ce chiffre est encore plus important chez les femmes. À l'heure où le secteur du numérique fait face à des difficultés de recrutement, l'éducation et la communication autour du sujet restent donc de rigueur.
Et Godefroy de Bentzmann, président de Syntec Numérique, de conclure : "si cette grande consultation publique révèle une certaine maturité des Français face au développement des technologies dans leur quotidien, elle souligne aussi la nécessité de les rassurer sur des sujets clés : l'écologie, la place de l'Homme face à la machine et l'évolution de leurs compétences professionnelles. Il s'agit de trois défis majeurs à relever pour notre secteur mais également pour les pouvoirs publics, impliquant un travail de co-construction pérenne afin de préparer un futur numérique et technologique sécurisant, dans lequel chacun se retrouve".
Benoît Herr