Le marché du cloud en France
Pour Markess, le marché des solutions et services de cloud computing (BPaaS, SaaS, PaaS, IaaS) en France pèsera près de 12 milliards d'euros fin 2019, ce qui représente une croissance de plus de 20 % par rapport à 2018 (où il était de 10 milliards d'euros). Markess développe un programme annuel de recherche dédié au cloud computing et aux innovations numériques, renseigné à partir de plusieurs centaines d'entretiens par an de décideurs métiers, de DG, de DSI, ainsi que de prestataires du marché.

Pour Emmanuelle Olivié-Paul, directrice associée de Markess, "il y a une accélération de la demande en cloud computing et les dépenses des DSI dans le cloud entre 2017 et 2020 devraient être multipliées par 1,7. Elles représentaient 26 % de l'ensemble en 2017 et devraient passer à 44 % l'an prochain. La part du parc applicatif qui pourrait basculer ou être hébergé dans le cloud à cet horizon est de 48 % ; 25 % des répondants indiquent même que cette part pourrait être de 75 % de leur parc applicatif".
Et de citer le cas de Renault avec son plan de transformation numérique lancé en 2017 et un axe majeur de migration de l'IT dans le cloud, ou encore la SNCF, qui veut basculer 60 % des applications dans le cloud d'ici fin 2020. Pour ce faire, elle fait appel à trois fournisseurs (AWS, Microsoft et IBM) et construit un nouveau centre de données pour accueillir entre autres les plate-formes denses du cloud privé appelé Greenfield.
"Afin de conserver leur position sur leur segment de marché, les prestataires de l'écosystème du cloud doivent désormais valoriser les axes les différenciant clairement de leurs concurrents et justifier leurs apports à la chaîne de valeur", poursuit-elle. "Les stratégies protéiformes et multi-fournisseurs adoptées par les entreprises et les administrations françaises segmentent le marché en groupes de compétences et favorisent la création d'offres ou de réponses verticalisées. […] Sur un marché toujours en croissance à deux chiffres, les prestataires s'interrogent cependant quant à leur devenir face aux grands acteurs de cloud public, disposant de ressources d'investissements difficiles à égaler, et aux exigences nouvelles de clients plus aguerris".
Sur les 125 prestataires interrogés en juin 2019, 58 % ont enregistré une hausse de 10 % et plus de la demande pour leurs solutions SaaS par rapport à l'an dernier et 32 % pour leurs solutions PaaS et iPaaS. Pour les 6 prochains mois, c'est à dire d'ici fin 2019, ils sont 59 % à prévoir une forte hausse du carnet de commandes de leur activité associée à des solutions de cloud (SaaS, PaaS, IaaS) et 78 % à envisager une augmentation modérée à forte de la valeur moyenne des contrats par client sur ce marché. La tendance 2019 est également à la croissance du cloud public : 58 % des prestataires interrogés prévoient une forte à très forte hausse du recours à des solutions de cloud public sur l'ensemble des projets de cloud sur lesquels ils travaillent chez leurs clients. Interrogés pour la première fois dans cette édition 2019 sur les conteneurs, 59 % des prestataires constatent, sans surprise, une hausse du recours à ces technologies dans le cadre des projets de cloud qu'ils ont menés chez leurs clients l'an passé.
Les besoins des clients associés aux projets de cloud computing évoluent aussi : 71 % des prestataires indiquent que l'automatisation de tâches de mise en production est importante à très importante. Les attentes sont fortes aussi en observation et supervision des solutions de cloud retenues (selon 56 % des prestataires) ainsi qu'en sécurisation "by design" des environnements et des applications (51 %) et en cryptage de données (50 %).
Et comment ne pas évoquer l'Intelligence Artificielle (IA) ? Markess constate qu'en 2019, la tendance est à la croissance des usages de l'IA et du machine learning (ML) dans les projets de cloud. Ainsi, 68 % des prestataires estiment que ces technologies joueront un rôle important à très important dans les opérations sous-tendant le bon fonctionnement de leurs solutions SaaS, PaaS ou IaaS : automatisation de tâches de routine, prédiction d'incidents, automatisation du support (via des chatbots), optimisation de la production, détection de risques ou de failles sécuritaires.
Face aux exigences accrues des clients (conformité réglementaire, sécurité, protection des données, continuité de service...) et suite aux différents incidents survenus au 2ème trimestre 2019 (pannes de grands opérateurs de cloud public comme Salesforce ou Google), les prestataires sont de plus en plus vigilants quant aux risques de dysfonctionnement opérationnel de leurs solutions de cloud. C'est tout particulièrement le cas des éditeurs de solutions SaaS et des hébergeurs dont les services s'appuient sur des infrastructures de cloud tierces. Ils indiquent notamment craindre l'indisponibilité ou la rupture temporaire des infrastructures réseaux permettant d'accéder à leurs services (50 %), la perte de données clients stratégiques (46 %), les erreurs humaines susceptibles d'ouvrir des brèches (35 %), ou encore le piratage des environnements hébergés chez leur cloud provider ou leur opérateur de centre de données (31 %).
En dehors de ces enjeux, pour lesquels des solutions existent ou se mettent progressivement en place, tous les signaux sont au vert sur le marché du cloud en France avec des leviers toujours aussi forts favorisant sa croissance pour les deux prochaines années.
Des applications à foison
Dans ce contexte, Francis Weill, président d'Eurocloud France, a, dans son introduction, souligné les nouvelles orientations de l'association, jusqu'ici très orientée infrastructure. "Il était temps de s'orienter vers les usages du cloud", a-t-il indiqué avant d'afficher ses ambitions de passer de 140 sociétés adhérentes à 300 membres dans les deux ans.

Fil rouge de la journée : le "cloud de confiance". Depuis les avatars Cloudwatt et Numergy, la notion de "cloud souverain" est presque devenue un gros mot. Mais l'idée est peu ou prou la même. À ce sujet, Henri d'Agrain, délégué général du Cigref indique qu'entre 20 et 30 % des besoins ne peuvent pas être satisfaits par un cloud public. De son côté, Laurent Maury, vice-président critical information systems & cybersecurity chez Thales et DG de Thales Services parle de cloud public européen.
Parmi les autres enjeux stratégiques du cloud, Henri d'Agrain pointe la gestion des relations fournisseurs : "nous avons des débats en ce moment avec les principaux fournisseurs pour qu'ils reviennent à des rapports plus normaux avec leurs clients", explique-t-il sans nommer SAP alors même que le géant de Walldorf était dans tous les esprits. Rappelons que le Cigref est une association d'utilisateurs et que ses membres ne sont que des entreprises et des administrations, à l'exclusion de tout fournisseur. Et Henri d'Agrain de poursuivre : "SAP ne démontre pas la valeur de la migration vers S4/HAHA, pourtant rendue obligatoire à horizon 2025. Ça n'a aucun sens économique".
Pour Emmanuelle Olivié-Paul, les grandes tendances à suivre autour du cloud sont DevOps/Finops, les micro-services PaaS-IaaS et les conteneurs, les usages (Big Data, analytique, IA ML...), la digital workplace, la mobilité, les plate-formes de management cloud, les services managés, le cryptage et l'IoT. S'agissant de ce dernier, il semble bien que le cloud le motorise. C'est en tout cas ce qu'ont tenté de démontrer les participants à une table ronde sur le sujet venus faire état de leurs expériences. Ainsi Nexity, premier promoteur de France avec 20 000 logements neufs par an, a-t-il lancé il y a deux ans la motorisation des volets roulants à distance, de l'éclairage, du chauffage, des détecteurs de fumées et de l'alarme. Baptisé Eugénie, ce projet a d'ores et déjà permis de livrer 500 logements ; à terme, c'est l'intégralité des logements de Nexity qui seront concernés (à l'exception des logements sociaux). Pourquoi dans le cloud ? "Parce que c'était la seule manière d'y arriver", lance Yann Ludmann, directeur des technologies et des SI chez Nexity.
Autre sujet, le serverless (modèle dans lequel les ressources sont fournies sous forme de services cloud évolutifs), illustré par le témoignage de Transdev et de son CTO, Gaël Esnis. La dépendance aux fournisseurs a également occupé une bonne place dans les débats. Mais pour Gaël Esnis, "tant que je les paye, je ne suis pas plus lié que cela à AWS. Mon plus gros 'lock in', c'est avec mon application héritée Windows, qui ne compte pas moins de 3 000 procédures stockées...". Laurent Maury conseille cependant de se méfier de cette dépendance et de veiller à la réversibilité. Et Romain Fouache, COO (Chief Operating Officer) de Dataiku, constate que la dépendance à un fournisseur unique devient un risque encore plus important si l'IA et l'analytique avancée deviennent centraux.

Les assistants intelligents envahissent le cloud pour optimiser l'expérience client : ainsi Jacky Galicher, directeur des systèmes d'information de l'Académie de Versailles, qui s'est vu le matin même décerner une certification AFNOR sur le sujet, est-il venu expliquer comment il a transformé une base de connaissance en chatbot, c'est-à-dire en langage utilisateur. Et Emmanuelle Mougin, Chief Digital Officer (CDO) et directrice du projet transformation numérique de l'établissement public ASP (Agence de Services et de Paiements) a insisté sur les gains de productivité, mais aussi sur la valorisation des gestionnaires que permettent de tels agents intelligents. "Cela redonne de la noblesse à l'être humain", a-t-elle affirmé.
La keynote de clôture, confiée à l'entrepreneur du Web et fondateur du site Netvibes et de dissident.ai Tariq Krim, a permis de prendre un peu de hauteur par rapport à ce foisonnement de possibilités et de témoignages. Après avoir cité Marshall McLuhan, qui a dit "We shape our tools and thereafter our tools shape us" (Nous forgeons nos outils et ensuite ce sont nos outils qui nous forgent), il a embrayé sur le "slow Web" et ses trois règles que sont la transparence, l'attention et le droit à une vie privée avant de conclure qu'il faut "se donner la possibilité de construire un environnement dans lequel on a envie de vivre et dont on a compris les impacts".
Benoît Herr