Devant ce phénomène, le cabinet de conseil américain spécialisé dans le choix et la mise en place d'ERP Panorama Consulting Group met en avant une analogie simple et non-technique pour illustrer les différences entre ERP et CRM : celle entre une croisière et un séjour de vacances traditionnel. Aux îles Galapagos, dans leur exemple.
Dans une croisière, le transport vers la destination est fourni. Il en va de même de l'hébergement, des repas et des animations. Le prestataire de la croisière maîtrise l'itinéraire et vous indique les moments auxquels vous pourrez débarquer. Autrement dit, vos vacances sont gérées de bout en bout par le prestataire : planning et activités sont intégrés. Tout comme avec un ERP. Si votre planning est aisément géré par une entité unique, vous pouvez vous sentir frustré et estimer ne pas tirer le maximum de vos excursions à terre, par exemple. Peut-être qu'un séjour traditionnel répondrait mieux à vs attentes ? Tout comme avec un système CRM, des excursions personnalisées permettent de tirer le maximum de ses vacances. Si vous passez une bonne partie de votre séjour dans les Galapagos, vous rechercherez les meilleures attractions et prestataires locaux.
Pour certaines personnes, les vacances idéales seront un mélange des deux démarches, c'est-à-dire le meilleur des deux mondes : une destination spécifique, mais où l'on peut réserver des visites personnalisées, tout en étant sur une croisière. Des destinations multiples pour un prix unique.
Pourquoi un tel débat aujourd'hui ?
L'autres cabinet américain indépendant spécialisé dans les ERP, Third Stage Consuting Group, celui créé par Eric Kimberling, qui avait lui-même fondé le Panorama Consulting Group en son temps – c'est dire si les deux sont proches – a récemment publié un rapport intitulé "The 2019 Digital Transformation - HCM, and ERP Report" (Transformation numérique – rapport 2019 sur les SIRH et les ERP) qui place le champion du CRM Salesforce en cinquième position dans la liste des "Top ERP Systems 2019". Il explique : "longtemps considéré comme un leader du CRM, Salesforce devient lentement légitime dans la liste des systèmes ERP. Financial Force et son écosystème intégré d'applications tierces a permis à Salesforce de répondre aux vastes besoins situés au-delà des fonctionnalités du CRM. Le fait que Salesforce ait été construit nativement dans le cloud est un autre atout. Pendant que d'autres éditeurs d'ERP crapahutent pour migrer les applications héritées dans le cloud, Salesforce met à jour en permanence sa solution cloud relativement mature. Sa souplesse et sa facilité de mise en œuvre sont deux autres atouts qui ont contribué à placer le produit dans le top 5".
Parallèlement à cela, le même Salesforce se défend bec et ongle de vouloir se rapprocher ou intégrer une solution ERP, alors même qu'il s'était pourtant intéressé de près à Netsuite avant son rachat par Oracle et que brique après brique il construit un vaste univers applicatif intégré autour du e-commerce avec Demandware, du décisionnel avec Tableau ou encore de l'intégration de données, d'applications et d'unités avec Mulesoft. Et comme cela ne suffit pas, l'écosystème du géant californien repose par ailleurs sur les milliers d'applications complémentaires disponibles sur son store Salesforce AppExchange. On y trouve en particulier une solution de type ERP développée avec les outils standard de Salesforce appelée Rootstock qui devient disponible en France (voir Le porte-greffe arrive en France).
Interrogé sur le sujet lors de son passage à Paris à l'occasion du dernier Salesforce World Tour, Alexandre Dayon, président et Chief Strategy Officer de Salesforce, a balayé l'importance de l'ERP d'un revers de main, expliquant, citant Gartner, qu'il s'agissait du quatrième ou cinquième poste de dépenses des DSI tandis que le marché CRM est non seulement en première position mais en croissance à deux chiffres année après année. Il va même plus loin et affirme qu'il y a "une évolution des esprits qui rend l'ERP beaucoup moins stratégique". S'il admet qu'il "y a certes un recouvrement entre Customer 360 et les ERP parce que les couches intermédiaires sont désormais écrasées", il considère que "le CRM est devenu le cœur de la problématique des dirigeants et non plus l'ERP". En d'autres termes, il prône une vision nouvelle de la gestion d'entreprise et n'ambitionne pas de faire de Salesforce un ERP mais bien un système intégré de nouvelle génération qui viendrait en remplacement des anciens.

Salesforce n'est pas la seule plateforme de CRM à se rapprocher d'un ERP ou tout du moins à intégrer la quasi-totalité des fonctionnalités nécessaires au fonctionnement d'une entreprise. Pour Alan Trefler, CEO et fondateur de Pegasystems, il faut "Build for Change", c'est-à-dire construire pour changer (voir Un leader très discret). Et l'ennemi désigné, ce sont ces "horribles systèmes hérités, générateurs de silos", autrement dit notamment l'ERP. "Il faut casser les silos et le faire de manière agile". Pour ce faire Pegasystems propose lui aussi un système de plus en plus intégré et de plus en plus complet.
Pourtant, de nombreuses différences existent sur le plan fonctionnel entre un ERP et un CRM. La plupart des CRM proposent des outils de gestion de l'engagement client, de marketing, comme la gestion des campagnes d'e-mails ou celle des réseaux sociaux, la gestion de leads, de centres d'appels, de commandes... S'y ajoutent le suivi des commandes ou encore des outils décisionnels. En termes de données, ces systèmes centralisent celles des clients, fournisseurs, partenaires, marketing, des ventes, mais aussi comptables, opérationnelles et une part variable de données issues de sources externes.
Côté ERP, les fonctionnalités peuvent être très vastes et vont des diverses comptabilités au marketing et aux ventes en passant par les commandes, les achats, la gestion de stocks, d'entrepôts, de la logistique à celle des produits et de la production et même des ressources humaines, sans oublier le décisionnel. Quant à la base de données, elle est en principe unique et intégrée dans tout ERP qui se respecte.
On le voit, s'il existe des pans fonctionnels communs aux deux types de solutions, elles sont loin de se recouvrir entièrement. Au moins pour le moment, même si certains CRM ont tendance à élargir leur couverture, comme nous l'avons vu plus haut. Pour l'heure, les entreprises ont donc encore à choisir entre l'une ou l'autre, voire – le plus souvent – les deux.
Comment faire ce choix ? Cela dépendra à la fois des besoins courants et de ceux projetés pour l'avenir. Si l'objectif est de rationaliser tous les processus et de remplacer un SI hétéroclite et peu intégré, l'ERP reste une bonne solution. Si en revanche les besoins identifiés tournent autour du marketing et de la gestion client, un CRM conviendra mieux. Et si les besoins se situent entre les deux et que l'on souhaite refondre son SI, la solution passe sans doute par l'adoption des deux systèmes, avec une intégration entre les deux. Quoi qu'il en soit, le "one size fits all" n'est pas encore pour tout de suite.
Benoît Herr