Et pour prolonger cette réflexion, affirmons tout de suite qu'il s'agit là du meilleur moyen pour un éditeur de taille modeste ? comptant, disons, de quelques dizaines à quelques centaines de collaborateurs en fonction de l'activité ? implanté localement, de subsister sur ce marché où s'entre-dévorent les plus grands. Rappelons pour mémoire l'histoire de JD Edwards, cinquième éditeur d'ERP au monde à l'époque, racheté par Peoplesoft, lui-même racheté par Oracle quelques mois plus tard. De Cegid à Ordirope, de Qualiac à Sylob, les éditeurs français ? à l'instar des habitants d'un certain village gaulois ? font encore et toujours de la résistance.
Spécialisation tous azimuts
Le siège de Cegid, en périphérie lyonnaise
Comme si le paramétrage d'une solution généraliste ne suffisait plus, les éditeurs proposent de plus en plus de solutions métiers, parfois développées en interne, mais le plus souvent issues d'une croissance externe.
Cegid par exemple, le plus gros éditeur de logiciels de gestion en France, possède un catalogue pléthorique dans lequel, aux côtés de sa solution ERP Cegid Business, on trouve bon nombre de solutions métiers, souvent arrivées au catalogue via le rachat d'une société spécialisée et donc de compétences spécifiques du domaine. C'est ainsi qu'on y trouvera des solutions dédiées aux métiers de la mode (Cegid Business Mode), de l'hôtellerie restauration (Cegid Business Hôtellerie, Cegid Business Restaurant et Cegid Business Traiteur), de l'industrie (Cegid Business Manufacturing), du négoce, du BTP, des services... bref, l'éditeur se diversifie tous azimuts.
De son côté, Sage, qui a construit sa notoriété autour de logiciels de comptabilité et de paie, propose des offres spécifiques de la distribution automobile (suite au rachat de Cogestib), du transport et de la logistique, de l'agroalimentaire ou du bâtiment. Éditeur d'envergure internationale, Sage a la particularité d'avoir conservé une R&D et des solutions spécifiques dans chaque pays. En France, ce sont 480 des 2400 collaborateurs de l'éditeur qui sont dédiés à la R&D.
La carte de l'hyperspécialisation
Ce dernier propose un intégré de gestion répondant au doux nom d'Estelle, destiné aux professionnels de l'équipement de la personne. Qu'elles soient fabricant, distributeur, négociant ou franchisé, les entreprises concernées pourront gérer modèles, coloris, tailles et pointures grâce à Estelle. Dans ce même domaine, Ordi Conseil propose la gamme Ocea, destinée aux métiers de la confection, du tissage et la filature, et Cegid s'appuie sur Cegid Business Mode.
Implanté au Mans, Systel suit depuis plus de 20 ans maintenant son petit bonhomme de chemin en éditant et en intégrant des ERP spécifiques des PME-PMI de l'agroalimentaire. Là encore, l'équipe est spécialisée et les solutions sont fonctionnellement très pointues. Elles gèrent les spécificités du domaine, depuis la traçabilité amont et aval jusqu'à la télévente en passant par le contrôle qualité, les ristournes, promotions, gratuits, lots etc...
Le risque ? ou la planche de salut, selon comment on se place ? de cette hyperspécialisation, c'est de se faire racheter. Ce fut par exemple récemment le cas d'Infolog Solutions, bien connu sur le marché du transport et de la logistique avec ses solutions Infolog. Aujourd'hui, l'ensemble de son portefeuille applicatif est intégré dans l'offre de Generix. Et l'on en revient à la situation décrite dans le paragraphe précédent.
Vincent Gonnet, PDG d'Ordirope
Autre exemple : Ordirope s'est fait un vrai nom dans le monde au final pas si énorme de la grande distribution. Depuis 1989, ce groupe indépendant édite et intègre des solutions de gestion destinées aux négociants, industriels et fournisseurs de la grande distribution et des canaux spécialisés. Il affiche clairement sa stratégie de solution alternative aux ERP généralistes sur cette niche à fort développement et forte spécificité. Sa valeur ajoutée lui vient de sa connaissance des métiers et des acteurs de la grande distribution. "Loi Galland", "marges arrières", "loi Jacob-Dutreil" font partie du vocabulaire quotidien de l'éditeur, qui au travers de partenariats étroits noués avec les acteurs de ce monde, renforce encore son avantage concurrentiel. C'est ainsi qu'Ordirope est partenaire de GS1, organisme assurant au niveau mondial la promotion de l'utilisation des standards métiers (code à barres, EDI (Echange de Données Informatisées) ou le standard GS1 EPCglobal pour les étiquettes radiofréquence, et de Trace One, société indépendante ayant développé la 1ère solution transversale dédiée à la traçabilité.
Crée en 1991, Sylob propose de son côté des solutions de type ERP adaptées aux besoins des PMI industrielles. Elle compte aujourd'hui plus de 300 entreprises clientes, et 15000 utilisateurs, avec une présence dans tous les secteurs de l'industrie. Son objectif affiché est de devenir d'ici cinq ans le "leader des spécialistes" français de l'ERP à destination des entreprises industrielles petites et moyennes, grâce à un taux de croissance annuel de 20 %.
On pourrait multiplier ainsi les exemples à l'envi et trouver une nuée de "leaders sur leur marché".
Mais le seul atout que des acteurs plus locaux, moins internationaux, plus exclusivement français, ont en main, c'est celui de la niche. C'est cette carte que jouent des acteurs comme Ordirope, Sylob, Ordiconseil ou Prios, pour n'en citer que quelques uns.
Le seul atout que des acteurs plus locaux, moins internationaux, plus exclusivement français, ont en main, c'est celui de la niche
Et le libre ?
Il n'y a pas de génération spontanée d'applications, sauf peut-être chez les plus grands... et encore.
Compiere par exemple, le plus usité de ces ERP Open Source à travers le monde, a au départ été écrit par Jörg Janke pour la société Goodyear en Allemagne et se destinait plutôt à des applications de négoce et de distribution. Forme évolutive d'un logiciel préexistant, il s'est d'emblée basé sur le concept de dictionnaire actif des données (ADD : Active Data Dictionary), ce qui lui a permis d'intégrer ultérieurement d'autres modules, comme la GPAO. Aujourd'hui, il s'articule autour des deux grands axes que sont un ERP de plus en plus complet, auquel se rajoutent des fonctionnalités de CRM de plus en plus poussées. Compiere n'est donc pas à proprement parler un progiciel métier, mais à l'instar de ses collègues, il a une forte teinture au départ, qui interviendra dans le choix de la solution par l'entreprise utilisatrice ayant opté pour cette philosophie.
Les solutions réellement métier se comptent par centaines dans notre pays. Leur adoption est une vraie question de fond. C'est un choix stratégique de l'entreprise, dans lequel entrent des éléments sans rapport avec le produit lui-même, comme la pérennité supposée de l'éditeur, les chances (ou les risques) qu'il se fasse croquer par plus gros que lui et que le produit en pâtisse subséquemment, ou encore son assise financière. Mais la vraie question est celle du métier : la PME/PMI souhaite-t-elle adopter une solution répondant au plus près aux besoins spécifiques de son métier et faire de l'éditeur un partenaire sur le long terme, qui saura s'adapter et adapter ses produits aux évolutions de la réglementation, de la normalisation et du marché considéré ? Ou vaut-il mieux jouer la carte de l'envergure internationale et celle du déséquilibre entre client et éditeur ? Il n'y a pas de réponse univoque, bien sûr, mais autant que de cas particuliers.
Benoît Herr