L'institut G9+ est un think tank français créé en 1995 qui fédère une vingtaine de communautés d'anciens d'écoles d'ingénieurs, de management, de sciences politiques et d'universités. Il a pour objectif d'aborder les thèmes émergents ou d'actualité dans le secteur des technologies de l'information et de la communication et a pour ambition de faire référence dans le domaine du numérique.
L'idée de réunir une brochette de grands patrons français pour évoquer la transformation numérique est venue du constat que sa première vague n'a pas produit tous les effets attendus, confrontant les entreprises aux difficultés du passage à l'échelle et de mise en mouvement de toute l'organisation vers cette nouvelle ère. S'y sont côtoyés, outre Guillaume Pepy, Hélène Chinal, DG de Capgemini Technology Services, Benoît Grisoni, DG de Boursorama, Sylvie Jéhanno, PDG de Dalkia, Alain Roumilhac, président de Manpower France, et Michel Paulin, DG d'OVH Cloud.
La transformation numérique à la SNCF
Après une brève introduction d'Ana Semedo, vice-présidente de l'Institut G9+, qui a insisté sur la nécessité de tenir la transformation numérique à bras le corps en comité de direction, Guillaume Pepy, encore PDG de la SNCF pour quelques jours, a été longuement interviewé. Rappelons que le site oui.sncf est le premier site marchand de France. Pour le dirigeant, "la transformation numérique est avant tout intuitive. En 2000, à l'apparition de Google, on ne savait pas encore exactement ce que ça représentait, mais on sentait qu'il fallait se lancer. De fil en aiguille, on est passé dans une phase d'industrialisation. Et aujourd'hui, le sujet devient plutôt culturel et managérial. C'est là que se trouve la clé de la transformation numérique".
Il a ensuite dressé un bilan de cette transformation et listé les éléments positifs comme les difficultés. Parmi les éléments positifs, "le travail en liberté, de façon horizontale, qui permet aux équipes de créer des choses formidables. Et la souplesse : lorsqu'on a des besoins de traçabilité, par exemple, on procède par briques".
Guillaume Pepy, ex-PDG de la SNCF
Parmi les difficultés rencontrées, Guillaume Pepy se souvient d'une longue période "où nous avons vécu avec un digital en marge des métiers et de l'entreprise. Ces gens-là étaient alors surnommés 'je-me-la-pete.com'. Les cultures sont différentes et à chaque fois que nous avons essayé de marier le legacy et le digital ça n'a pas été simple". Il cite aussi le lâcher prise : "les grandes entreprises adorent les plans d'ensemble, les gros projets, ce qui répond mal aux exigences du digital. Du coup, pas mal de projets sont tombés au tapis parce qu'ils n'avaient pas assez de soleil, de place. Le temps du digital est aussi plus rapide que celui des grandes entreprises et la conciliation des temps nous a parue très difficile".
La résistance au changement est également un sujet d'importance pour le top management : "comment assurer la transmission des compétences numériques dans la boite ? Nous avions encore 15 à 20 % des gens en interne qui avaient honte de ne pas être à niveau. La conclusion a été que la seule chose qui compte c'est l'humain et donc la mise à disposition de bénévoles, de mécènes de compétences, qui vont aider les personnes en difficulté. Nous avons aussi créé des lieux ouverts à tous les salariés. Au fond, plus ils ont de mal, plus il faut les amener à considérer le numérique comme une ressource". Et Guillaume Pepy de donner quelques conseil, quelques "trucs, qui permettent d'inclure les gens, de baisser les barrières : il faut admettre d'emblée les usages personnels, car bien souvent, les personnes sont bien équipées et possèdent des unités plus performantes que celles de leur entreprise. La mise à bord de tous les salariés est un réflexe indispensable".
Enfin, si la réussite de la transformation numérique de la SNCF est indéniable, il reste encore beaucoup à faire. Interrogé sur les défis que son successeur, Jean-Pierre Farandou, aura à relever, Guillaume Pepy explique : "d'abord la réconciliation de la dimension technologique et de l'usage facile. Quand on regarde ce qu'utilisent effectivement les gens, c'est souvent 30 % du projet, le reste n'étant utilisé que 3 % du temps. Un deuxième chantier va consister à réconcilier les gens avec l'IA, qui est perçue de façon horrible dans l'entreprise, parce que les gens pensent que ça va leur voler leur valeur ajoutée. Il va falloir avoir un vocabulaire moins agressif. Troisième enjeu, le digital industriel (drones, robotisation etc.). Il faut investir massivement sur les salariés pour les faire monter en compétences".
Et de conclure : "la difficulté, c'est de concilier le 'core" et 'l'explore'. Rachel Picard, par exemple (directrice générale de Voyages SNCF - NdlR) a nommé un start-uper patron du TGV. Au départ, j'étais circonspect, mais la personne a apporté des choses vraiment nouvelles à la production".
OVH, une entreprise du numérique
OVH évolue dans le monde du numérique, ce qui la place a priori à l'opposé de la SNCF. Pourtant, Michel Paulin, DG d'OVH Cloud, s'accorde avec Guillaume Pepy et " reste persuadé que la transformation numérique est avant tout un enjeu humain. C'est le point commun de toutes les entreprises. Nous aussi, nous avons un processus industriel que nous devons faire évoluer continuellement. C'est en permanence un sujet pour le COMEX. Et l'une de nos valeurs, c'est la transparence. Il ne faut surtout pas arriver avec un modèle".
Autres points de vue
Dans la table ronde qui a suivi, Sylvie Jéhanno, PDG de Dalkia, a confirmé que "la transformation numérique est effectivement un sujet extrêmement humain. Grâce au digital, nous allons plus loin dans les optimisations de consommations énergétiques, mais la transformation est en cours et je suis en train de la conduire. La première chose que j'ai faite en arrivant chez Dalkia il y a 2 ans et demi, c'est de nommer un DSI au COMEX. Plus précisément un DSIN, DSI et du Numérique. Car je n'ai pas voulu créer de poste de CDO.". Alain Roumilhac, président de Manpower France, a "très vite cru à la notion d'open innovation et embarqué les équipes sur ce sujet. Nous avons fait des progrès énormes, mais c'est très frustrant, parce qu'on avance juste à la vitesse du décor".
Chez Boursorama, Benoît Grisoni, DG, explique que grâce au numérique "chaque personne gère aujourd'hui 2 600 clients alors que ce n'était même pas 1 000 il y a seulement trois ans. Nous comptons deux millions de clients aujourd'hui et existons depuis 20 ans, mais avons doublé de taille ces trois dernières années". Boursorama est lui-même disputé sur son marché par de nouveaux entrants. Alors comment avoir encore sa place ? "Nous adaptons nos offres en permanence pour rester au top. Mais pour cela il faut avoir un peu envie de se battre", répond Benoît Grisoni.
Hélène Chinal, DG de Capgemini Technology Services, estime que "le métier de Capgemini est finalement assez jeune. Mais nous aussi, nous avons dû nous adapter, parce que tous nos clients sont touchés par la transformation numérique. Pour cela nous avons mis en place une structure unifiée et le fait que nous soyons un énorme recruteur nous permet de nous adapter en permanence".
Le mot de la fin est revenu à Bénédicte Tilloy, aujourd'hui présidente de l'Institut des Métiers Orange et Partner de la start-up Schoolab. Cette ex-DRH et secrétaire générale de SNCF Réseau a donc opéré une transformation personnelle en intégrant une start-up et dû apprendre beaucoup de choses, notamment à évacuer ses réflexes de dirigeante d'avant. Intervenant en tant qu'observatrice, elle a conclu : "ce qui m'a beaucoup intéressée dans ces interventions, ce sont les questions de culture. Dans le numérique, les gens qui pensent et ceux qui exécutent sont les mêmes".
Benoît Herr