Des similitudes entre administrations et entreprises
Destiné à apporter un outil d'analyse des réseaux sociaux au monde des administrations, ce projet "Web innovant" doit répondre aux besoins de ces structures qui, à l'instar des entreprises, ont besoin d'outils collaboratifs récents. Ce besoin se double de celui d'assurer l'interface avec les citoyens, à l'instar, là encore, de ce qui se passe avec les partenaires des entreprises. L'objectif du projet est d'assurer un service d'analyse de réseaux sociaux hébergé sur une plateforme de "cloud computing" dans le cadre d'une ville de taille moyenne, en améliorant notamment les algorithmes d'analyse et de requêtage afin d'identifier et de caractériser plus finement les réseaux sociaux et en intégrant l'outil d'analyse, les usages et la méthode d'évaluation de la performance à l'existant. C'est la ville d'Antibes qui a été retenue en tant qu'utilisateur final du prototype. Il appartient à l'École Centrale Paris de travailler sur des algorithmes capables de supporter une mise à l'échelle ; l'École étudie également les comportements et usages des utilisateurs de la ville d'Antibes. Quant à Euclyde, il s'agit d'une PME spécialisée dans les datacenters, dont le rôle dans le projet est de gérer la montée en charge et de mettre en ?uvre l'approche SaaS et "cloud".
"Les administrations doivent pouvoir analyser les réseaux sociaux comme des entreprises, pour analyser leurs réseaux internes (relations projets, organigramme?) et externes (fournisseurs, clients, partenaires')", explique Gilles Logeais, directeur de SAP research. "Elles doivent aussi assurer l'interface avec les citoyens (au nombre de 80000 en hiver, à Antibes), pour assurer une meilleure compréhension bilatérale."
ARSA se base sur SNA (Social Network Analyser), un outil créé par la division BusinessObjects de SAP et annoncé il y a quelques mois, qui utilise la "social intelligence" et permet d'analyser le "graphe social" d'une organisation en combinant les liens et les relations de différentes sources et réseaux. Compatible Open Social (un ensemble d'API destiné aux réseaux sociaux en ligne et développé par Google), il s'intègre aux outils existants via des API de type REST (Representational State Tranfer). Il est également capable de reprendre des données de réseaux et bases de données externes tels que Viadeo ou Linkedin et d'établir une cartographie des différentes relations entre les personnes constitutives du réseau. Cela va de considérations telles qu'un lien hiérarchique ou fonctionnel jusqu'à des compatibilités de compétences ou des liens contractuels. L'outil se fonde sur une philosophie très proche de la business intelligence.
L'objectif de l'application est de permettre de trouver le plus rapidement possible la personne que l'on cherche au sein d'une organisation complexe, dans un souci de recherche permanente d'efficacité et de rentabilité, toujours à l'instar de ce que l'on vit en entreprise. À Antibes, les besoins entrent dans trois catégories : pour les employés municipaux utilisateurs (qui sont entre 10 et cent), ils concernent l'amélioration de la recherche de compétences au sein de la collectivité territoriale. Il s'agit aussi d'améliorer la visibilité et la compréhension par le public de l'organisation interne des services municipaux et enfin, pour la mairie, d'analyser les comportements du public et la fréquentation des différents services pour pouvoir ensuite ajuster les services fournis en fonction des besoins.
Une foule de questions
Si fonctionnellement l'application paraît présenter le plus grand intérêt, il se pose d'emblée une foule de questions, comme celles concernant la protection de la vie privée ou la confidentialité des données mises à disposition des autres collaborateurs, voire du grand public. "Les données personnelles ou critiques sont protégées par le logiciel", explique Alexis Naïbo, directeur de l'Innovation center de SAP BusinessObjects chez SAP Labs France. "Et l'intégration de données émanant de réseaux de type Viadeo ou Linkedin est basée sur le volontariat. L'outil utilise de notions sémantiques et bénéficie d'une forte sécurité tout en respectant les données privées".
Certes, certes... Mais qui va décider du caractère privé ou non d'une donnée ? La maîtrise d'une langue étrangère, par exemple, est a priori une donnée publique, non confidentielle. Mais si par exemple on affiche un bilinguisme hébreu/français, ou arabe/français, cela ne permet-il pas déjà de préjuger des appartenances ethniques et/ou confessionnelles de la personne et n'empiète-t-on pas déjà là sur les données privées ? Où se situe la limite ? Et surtout, qui va décider de cette limite ? Une sorte d'arbitre aveugle et insaisissable à la Big Brother ? Où commence le volontariat ? Et comment savoir s'il ne s'agit pas de volontariat "fortement suggéré" voire carrément forcé ? N'oublions pas que le monde dans lequel nous vivons n'est pas peuplé uniquement de gentilles individus aux intentions pures...
"SAP est à ce jour le plus gros utilisateur de cet outil, tant à des fins de test que pour mettre en pratique sa logique", nous explique Gilles Logeais. Mais SAP est-elle prête à livrer au public son organigramme hiérarchique ? Sa structure interne ? À afficher les compétences pointues de tel ou tel de ses collaborateurs ? Bien évidemment non ! Charité bien ordonnée commence par soi-même, dit l'adage.
À quand la réalité de l'entreprise ?
À quoi va bien pouvoir servir une telle application dans le cadre de l'utilisation d'un ERP, sachant que nous disposons aujourd'hui déjà d'applications de workflow performantes et de toute une palette de réseaux sociaux très en pointe, de Facebook à Viadeo, en passant par Hi5 et autres Linkedin ?
Si SAP s'investit autant, via sa division BusinessObjects et SAP Research, sur un tel projet, c'est qu'à terme le géant allemand veut parvenir à en bénéficier au delà des subventions accordées par l'état français (le projet est co-financé à hauteur de 70% de l'effort de recherche par la DGCIS (Direction Générale de la Compétitivité, de l'Industrie et des Services), sur un budget total de 1,3 M€).
Bien sûr, le bouquet applicatif actuellement en cours de développement par SAP BusinessObjects est des plus innovants et intéressants, au moins intellectuellement. Mais La démarche de SAP semble plus stratégique pour l'entreprise qu'il n'y paraît de prime abord. Constatant le succès phénoménal des réseaux sociaux grand public ou professionnels, l'éditeur ne pouvait que tenter de "raccrocher les wagons" en lançant sa propre offre, s'il ne voulait pas que ce marché prometteur ne lui échappe totalement. C'est désormais chose faite.
"Le réseau social est en quelque sorte le 'troubadour des temps modernes', dans le sens où le troubadour médiéval était celui qui colportait la connaissance", conclut Gilles Logeais. Mais entre troubadour et fou du roi il n'y a pas une distance énorme...
Benoît Herr