Cet expert, indépendant de tout éditeur et de toute solution, revient sur l'historique des SIRH dans les grandes entreprises, fait un point sur la situation actuelle du marché et évoque les perspectives des prochaines années.
ERP-infos. Quel est l'historique des SIRH dans les grandes entreprises françaises ?
David Guillocheau. Les grandes entreprises ont commencé à outiller leurs services de ressources humaines depuis de nombreuses années, à la fois pour remplir des fonctions administratives et pour gérer les carrières de leurs collaborateurs. Le progiciel phare de la première période a été incontestablement PeopleSoft, aujourd'hui inclus dans l'offre d'Oracle. Il est installé par exemple chez Axa, Société Générale, Saint-Gobain, Danone et BNP.
Depuis 2 ou 3 ans, une nouvelle génération de progiciels a commencé à concurrencer les outils traditionnels tels que PeopleSoft ou HR Access en proposant de nouvelles modalités d'accès. Le marché des RH, pourtant peu ouvert, a favorablement accueilli plusieurs solutions de gestion des talents, fournies en mode SaaS. Ces offres répondent à une réelle attente des entreprises qui veulent présenter des sites de recrutement attractifs et donner une image d'employeurs modernes. D'autres domaines n'en sont encore qu'aux prémisses, comme la gestion des entretiens annuels dont le déploiement commence à peine pour remplacer un mode de travail effectué avec papier, crayon et Excel.
ERP-infos. Quelles sont ces nouvelles offres et où en sont-elles aujourd'hui ?
David Guillocheau. Plusieurs offres d'origine nord-américaine se sont imposées sur ce nouveau marché, chacune avec un point fort particulier, marque de leur domaine d'origine : Taleo dans le recrutement, Cornerstone dans la formation, SuccessFactors dans l'évaluation. Leur offre s'est progressivement élargie et a rencontré un accueil rapide sur le marché français. Il faut noter en particulier le dynamisme de l'équipe française de Taleo.
Mais le marché français reste encore marqué par l'attachement à des habitudes spécifiques. Les grands groupes ont l'habitude d'obtenir tout ce qu'ils désirent sans vraiment s'intéresser aux « bonnes pratiques » venant de l'extérieur, alors qu'elles sont fournies en standard par ces solutions. Il a donc fallu coder des modules spécifiques pour ces clients, alors que les solutions sont conçues avant tout pour être configurées à l'aide de paramètres.
Mais les avantages du mode SaaS, comme par exemple la fréquence des mises à jour, commencent à être bien compris : les nouvelles fonctions arrivent plus régulièrement et plus rapidement qu'avec un ERP traditionnel. L'éditeur les installe directement sur les fermes de serveurs gérant les accès SaaS pour tous ses clients.
Des acteurs européens, comme Jobpartners et Talentsoft, sont également arrivés sur ce marché, et ont remporté quelques succès auprès des grands groupes, qui ont en ont profité pour compléter leurs solutions standard par ces offres spécialisées. C'est ainsi que la Société Générale utilise Jobpartners à côté de PeopleSoft et qu'Alstom dispose à la fois de Taleo et de PeopleSoft.

ERP-infos. Quelle évolution voyez-vous dans les mois et les années à venir ?
David Guillocheau. Les solutions récentes en mode SaaS étendent leur couverture fonctionnelle. Par exemple, Taleo propose maintenant des fonctions d'évaluation et de gestion de la performance, de déclinaison des objectifs de l'entreprise, de gestion de la rémunération. Toutes ces solutions tendent à avoir les mêmes fonctionnalités que les solutions traditionnelles de type ERP/SIRH. Parallèlement aux développements internes, les acquisitions continuent pour enrichir les solutions avec des fonctions SIRH innovantes dans l'esprit 2.0. Le marché mondial est mature au niveau du périmètre et du nombre d'acteurs, avec encore un peu de consolidation en cours. Par contre, il y a peu de consolidation sur le marché français.
En pratique, les entreprises ont maintenant plusieurs solutions SaaS : un utilisateur se sert d'un outil différent pour chaque fonction. D'où la nécessité d'intégrer les données associées à chaque système dans un référentiel commun : les outils de MDM (Master Data Management) ont un rôle important à jouer pour collecter les données et les distribuer. Il faut synchroniser ces systèmes et tous les processus avec des données aussi actualisées que possible. Se pose ensuite la question des systèmes en libre-service, des systèmes collaboratifs et de la multiplicité des portails.
ERP-infos. Comment les entreprises réagissent-elles devant cette convergence des offres ?
David Guillocheau. Elles sont confrontées à un dilemme : soit elles attendent qu'un acteur dynamique ait suffisamment grossi pour fournir une solution complète, soit elles continuent à compléter leurs solutions existantes par des solutions spécialisées de plusieurs acteurs. Mais si jusqu'ici les acteurs étaient jeunes et de taille modeste, certains sont sur le point d'atteindre une taille critique. Par exemple, Taleo a beaucoup grossi en 10 ans et a renforcé sa crédibilité sur le marché européen en installant un serveur à Amsterdam, en plus de ses serveurs du continent américain.
De leur côté, les ERP traditionnels ne se sont pas endormis sur leurs lauriers. C'est ainsi que PeopleSoft HCM 9.1 est sorti récemment, alors que la version 9.0 datait de 2006. Cette nouvelle version intègre la gestion des talents, assurée jusqu'ici par des développements spécifiques. PeopleSoft se caractérise par la richesse de son socle technologique supportant le mode 2.0, se distinguant ainsi d'autres solutions, en particulier SaaS, qui n'offrent que quelques modules 2.0 sans support technologique puissant.
ERP-infos. Quel type d'amélioration peut-on encore attendre des diverses offres de SIRH ?
David Guillocheau. Tout dépend du type de solution. Les solutions SaaS sont confrontées à un besoin accru de capacité de configuration. En effet, parallèlement à l'enrichissement de leur couverture fonctionnelle, elles doivent pouvoir s'adapter à un nombre croissant de situations sur le terrain sans avoir recours à des développements spécifiques. Elle doivent permettre de personnaliser les interfaces utilisateurs : choisir l'agencement des pages, spécifier leur présentation.
Les ERP ont continué à évoluer dans plusieurs directions. Profitant de leur historique, ils proposent maintenant des offres verticalisées qui intègrent les bonnes pratiques d'un secteur : c'est ce que fait Oracle avec ses solutions Oracle Accelerate. Les utilisateurs n'ont plus aucune raison de ne pas utiliser les standards. Pour rattraper leur retard par rapport aux nouveaux entrants, ils ont fortement amélioré la qualité ergonomique et la richesse fonctionnelle des RH et ont pris en compte le mode SaaS : c'est le cas d'Oracle avec ses solutions SaaS-ready.
Un domaine qui mobilise de nombreux efforts est l'évaluation de l'expérience utilisateur. Il s'agit d'observer et de mesurer les divers paramètres du travail des utilisateurs : nombre de clics, temps d'attente, fiabilité des réponses obtenues du logiciel, travail restant à faire sur papier, disponibilité d'une aide téléphonique en cas de problème... Les solutions qui offrent une grande qualité ergonomique emportent plus facilement l'adhésion des utilisateurs. Ceux-ci peuvent accepter de perdre quelques fonctionnalités si le nouvel outil leur offre un réel confort de travail.
Un autre aspect est la capacité et la rapidité d'évolution des processus. Avec une solution SaaS puissante, un simple changement de configuration peut suffire. Un ERP traditionnel répond en général moins bien à ce souci car il implique souvent un développement spécifique. De nouveaux métiers apparaissent pour répondre à ces besoins : le « business analyst » change la configuration d'un processus pour adapter rapidement la gestion de la performance à la modification d'une politique salariale. Encore faut-il que la technologie offre les outils et la réactivité nécessaires.
Une révolution culturelle importante est le passage des données structurées aux données non structurées, souvent générées par les utilisateurs eux-mêmes. Les individus ont maintenant la possibilité de saisir eux-mêmes leur profil avec leurs motivations, leurs compétences. La richesse des informations n'a plus de limites : les barrières traditionnelles des champs prédéfinis volent en éclat. Les « learning management systems » doivent être capables de prendre en compte ces nouveaux types d'information à base de données non structurées. Par exemple Cornerstone récupère des données dans les forums de discussion. Des moteurs de recherche agrègent des données structurées et des données non structurées. Une étude Gartner montre que dans les SIRH, la part des données non structurées augmente aux dépends des données structurées.
Pour illustrer cet aspect, j'aime bien citer l'anecdote suivante : lorsque Starbucks a ouvert un café à Prague, les RH de la société ont identifié un collaborateur qui parlait le tchèque à partir du profil qu'il avait fourni lui-même, alors que cette langue n'était pas prévue dans les schémas traditionnels.
Propos recueillis par René Beretz