Michael Doane est un analyste américain impliqué depuis longtemps dans le monde SAP. Alors que la plupart de ses confrères se concentrent sur l'installation et la mise en ?uvre de l'ERP, il s'intéresse avant tout à l'utilisation de l'application après sa mise en service et à l'évolution des pratiques. Son dernier livre, "The SAP Green Book" , est sous-titré "Thrive after go-live" , autrement dit, "Prospérer après la mise en route" .
Un bilan informel montre que seules 20 % des entreprises utilisant SAP en sont vraiment satisfaites, 20 % en tirent raisonnablement parti, 40 % ont des problèmes et 20 % n'ont aucune visibilité. Dans la logique de SAP (et des intégrateurs classiques), une fois que l'application SAP a démarré et que les utilisateurs ont été formés, les consultants se retirent. Les utilisateurs du terrain sont livrés à eux-mêmes face à des informaticiens préoccupés par les aspects techniques. Alors que l'application a été mise en place pour durer des années, les utilisateurs ne suivent plus aucune formation au fil des ans.
La relation entre SAP et l'entreprise reste avant tout commerciale et les représentants de SAP s'attachent surtout à proposer la version ou le produit suivant, dans une logique purement logicielle et informatique. "Après Netweaver, SAP pousse maintenant HANA" , constate Michael Doane. "Le cloud est un faux sujet dans le contexte SAP. Pourquoi serait-ce un sujet central ?" L'exemple le plus caricatural est celui de Duet, le produit conjoint de SAP et Microsoft, poussé par SAP mais très rarement adopté par ses clients. SAP a un calendrier technique de ses logiciels, qu'il veut imposer à ses clients. Mais la plupart des clients ont leurs propres objectifs, indépendants du calendrier de SAP. "Il y a une déconnexion entre SAP et ses clients" , résume Michael Doane.
Le centre d'excellence ou le pouvoir aux utilisateurs
Michael Doane
Tout l'enjeu d'une application structurante d'entreprise comme SAP est l'appropriation par les utilisateurs auxquels elle est destinée. Même si eux-mêmes ou leurs représentants sont consultés lors de la phase de paramétrage et de développement, leur place doit devenir prépondérante lorsque l'application devient opérationnelle. "Il faut mettre le chef de service au volant et installer l'informatique sur le siège arrière" , explique Michael Doane.
Travaillant sur ce sujet depuis 10 ans, l'analyste prône la mise en place d'un centre d'excellence dans chaque entreprise utilisatrice. Destiné à établir un lien entre l'informatique et les métiers, il doit être géré par un groupe d'utilisateurs et non pas reposer sur un seul individu, dont le départ pourrait faire s'effondrer l'ensemble. Il doit reposer sur des observations et des mesures concrètes, compréhensibles et gérables par les utilisateurs. Dans un tel contexte, le service informatique devient un fournisseur de services.
La maturité des applications SAP dans l'entreprise
Vue des utilisateurs, une application SAP est en perpétuelle évolution. Elle offre potentiellement de grands services mais pose en même temps de nombreux problèmes. Le démarrage des applications SAP dans une entreprise provoque de grands bouleversements. Typiquement, la première année, les utilisateurs pensent que la situation va s'améliorer dès que les applications seront stabilisées. La deuxième année, la réorganisation se poursuit et ils espèrent que la situation va s'améliorer au bout de quelques mois. La troisième année, ils prennent conscience que l'organisation du support de SAP ne fonctionne pas et qu'ils doivent faire quelque chose à leur niveau. C'est le moment de mettre en place un centre d'excellence. Un tel centre concrétise la prise en main des processus métiers par les utilisateurs, et tout particulièrement l'harmonisation des applications informatiques avec le fonctionnement des métiers, la définition d'indicateurs clefs de performance et la mise en place de programmes réguliers de formation des utilisateurs.
Dans le modèle de maturité suggéré par Michael Doane, l'évolution d'un centre d'excellence passe ensuite par deux étapes. L'étape de gestion maîtrisée produit des résultats concrets grâce à une implication réelle des utilisateurs. Les processus métiers évoluent en fonction des résultats des KPI. La rationalisation du portefeuille des applications devient effective. L'étape ultime d'un centre d'excellence correspond à une situation d'évolution permanente, permettant des réactions rapides aux menaces et aux opportunités.
Les éléments clefs d'un centre d'excellence
La définition d'indicateurs clefs de performance ou KPI pour observer et mesurer les activités est un élément fondamental d'un centre d'excellence. Leur formulation s'appuie sur le langage des métiers et non pas sur la terminologie informatique qui ne correspond pas à leurs activités. Par exemple, un objectif concret peut consister à viser une amélioration des performances de 20 % dans la préparation des commandes avant la livraison.
La formation régulière des utilisateurs est un aspect souvent négligé. Lors de réunions d'utilisateurs SAP, Michael Doane pose souvent la question de la fréquence des formations. Dans une conférence réunissant 300 représentants d'entreprises utilisant SAP depuis plus de 3 ans, aucun n'avait suivi de formation depuis un an. Après l'énorme investissement consenti pour la licence et la mise en place des logiciels, les utilisateurs sont formés une seule fois avant la mise en exploitation, et plus jamais par la suite. "Le raisonnement de l'éditeur et des intégrateurs est que les utilisateurs vont se débrouiller." constate Michael Doane, qui considère que c'est un mauvais calcul : "les sociétés perdent des compétences par la porte de derrière" .
Le monde SAP commence à prendre conscience de cette situation et à réagir. L'évolution vient plus de partenaires variés que de l'éditeur. Des offres de formation existent aussi bien de la part de SAP lui-même que de sociétés spécialisées. Sacrifié pendant la récente période de crise, le chiffre d'affaires des programmes de formation de SAP et des sociétés spécialisées commence à remonter. Cependant, Michael Doane met en garde : "les méthodes de formation restent abominables. Les supports ne sont pas adaptés aux besoins et les élèves s'ennuient."
La gestion rationnelle du portefeuille d'applications SAP est un autre point important de la maîtrise des applications par la communauté des utilisateurs. Poussées par les forces de vente de SAP, les entreprises acquièrent trop de licences et trop de produits, qu'ils n'utilisent pas. Et elles paient inutilement des frais de maintenance. Des consultants indépendants peuvent les aider à faire le ménage, à conserver ce qui est utile et à résilier ce qui ne l'est pas.
Le conseil : moins de technique, plus d'utilisation pratique
Aussi bien SAP que de nombreuses sociétés de service et de conseil accompagnent les entreprises dans le paramétrage et la mise en place des applications. Leur domaine d'intervention est essentiellement technique. Michael Doane constate que SAP a constamment un discours technique, y compris lors des grands événements qu'il organise, comme les diverses éditions de SAPPhire. Les préoccupations liées aux métiers y sont rarement évoquées.
Les utilisateurs qui se sont réellement approprié leur application ont donc du mal à trouver de l'aide auprès de l'éditeur, qui ne se préoccupe pas vraiment de ces besoins d'utilisation pratique. Et la situation n'est pas plus encourageante du côté des sociétés de service, qui ont un positionnement analogue. Les grandes sociétés de conseil et d'intégration proposent surtout de la sous-traitance. Mais elles ne s'intéressent pas à l'utilisation par les métiers et n'ont aucune compétence ni expérience dans ce domaine. De son côté, Michael Doane a élaboré une méthode de création de centres d'excellences, la "bridge method" , pour épauler les entreprises sur le terrain. Il s'appuie pour cela sur un réseau de consultants indépendants.
René Beretz
Le cas de Winshuttle
Invité à une réunion du club des utilisateurs des produits Winshuttle, Michael Doane souligne l'intérêt de ce genre d'outils. La saisie de gros volumes de données est une tâche gigantesque, impliquant un travail fastidieux, mais SAP ne s'est jamais préoccupé de l'importance de ces aspects pour les utilisateurs. Ceux-ci demandent l'aide des informaticiens : mais ceux-ci sont débordés et demandent des semaines pour résoudre le problème. "C'est un exemple typique de l'attitude de SAP vis-à-vis de ses utilisateurs : l'éditeur considère qu'ils vont se débrouiller tout seuls" , constate Michael Doane. En automatisant ces tâches, les outils Winshuttle accélèrent la saisie des données dans SAP et simplifient la vie des utilisateurs.