Le concept de co-innovation n'est pas neuf et est même plutôt répandu dans le monde de l'édition de logiciels. Bon nombre d'éditeurs s'appuient en effet sur une collaboration avec leurs clients pour dégager les ressources nécessaires au développement d'un module ou d'une partie de leur solution pour ensuite intégrer ce module dans leur offre globale. Mais, "la co-innovation est véritablement inscrite dans nos gênes", affirme Nicolas Sekkaki, directeur général de SAP France. Le fait est que le géant allemand procède fréquemment de la sorte pour enrichir ses solutions. Aujourd'hui, c'est un groupe français d'envergure mondiale qui fait état de ce type d'expérience : Danone. Le groupe souhaite ouvrir cette solution développée en co-innovation avec SAP au plus grand nombre et a décidé de renoncer à conserver sa propriété intellectuelle sur ce projet ; SAP pourra la répliquer auprès de ses clients et relever le défi de la transformation au service du développement durable.
Réduire de 30 % son empreinte carbone
"L'intégration de la réduction de l'empreinte carbone dans la stratégie du groupe n'est pas nouvelle", commente Myriam Cohen-Welgryn, directrice générale Nature de Danone. "Elle est même une composante de la rémunération des dirigeants". En 2008, Danone s'est fixé comme objectif de réduire de 30 % son empreinte carbone globale d'ici 2012, sur l'ensemble du cycle de vie de ses 35 000 produits (sites industriels, emballages et fin de vie, transport et stockage). L'intégration de la démarche au système d'information devait permettre d'éclairer chaque décision opérationnelle et ainsi devenir un véritable agent de transformation de l'entreprise.
Quelle solution adopter ?
L'intégration de la solution à la plate-forme SAP en place chez Danone depuis une quinzaine d'années était essentielle. "Si des solutions existaient sur le marché, aucune ne permettait l'intégration de la mesure de l'empreinte carbone dans les systèmes opérationnels tout au long du cycle de vie du produit et pour tous les produits", constate Jean-Marc Lagoutte, directeur général des systèmes d'information de Danone. "La société SAP faisant preuve elle-même de vision en matière de développement durable et possédant un portefeuille de solutions capables de constituer le socle de cette innovation, cette association s'est imposée très vite et très naturellement". Et d'ajouter : "le point le plus important était la vitesse de développement et d'implémentation ; la pérennisation de la solution chez l'éditeur revêtait également une grande importance".
De G à D : Jean-Marc Lagoutte, Myriam Cohen-Welgryn et Nicolas Sekkaki (cliquez sur l'image pour l'agrandir)
Les modules concernés par ce projet de co-innovation sont FIM (Finance Information Management) et PCM (Product Cost Management). La structure mise en place est passée par une équipe commune SAP-Danone et un financement commun. L'équipe a suivi le projet de bout en bout ; aux dires des différents intervenants, les coûts sont restés assez marginaux car les structures existaient déjà de part et d'autre. "De la même manière, ce n'est pas le projet qui a coûté cher, mais toute la démarche qui s'en est suivie dans l'entreprise", précise Jean-Marc Lagoutte.
"Côté SAP, il nous fallait avoir la vision business pour comprendre le besoin de Danone. Nous sommes fiers d'être associés à Danone en matière de développement durable", commente Nicolas Sekkaki, directeur général de SAP France. "Grâce au fait que Danone nous ait confié son capital intellectuel, nous avons pris ensemble une longueur d'avance par rapport à la concurrence ? 12 à 24 mois au minimum".
La nouvelle solution SAP a d'abord fait l'objet d'un test pilote dans deux filiales en Espagne puis a été confirmée par deux autres en Belgique et aux États-Unis. Les résultats de cette étape ayant été positifs, 15 filiales sont d'ores et déjà équipées de la solution. Elles seront 22 en fin d'année et devraient être au nombre de 40 fin 2012, couvrant environ 70 % du chiffre d'affaires du groupe et plus de 35 000 produits. L'objectif final de Danone est de généraliser cette solution à l'ensemble de ses filiales à travers le monde et de couvrir l'ensemble des domaines d'activité du groupe : produits laitiers frais, eaux en bouteille, nutrition infantile et nutrition médicale.
Une solution automatisée, ou presque
80 % des données détaillées qui couvrent l'intégralité du cycle de vie des produits sont collectées automatiquement par la solution ainsi développée. Les responsables opérationnels disposent ainsi d'informations concrètes leur permettant d'analyser les options stratégiques et de prendre les décisions appropriées, qu'il s'agisse de développement de produits, de sélection d'ingrédients, de choix géographiques d'approvisionnement, de modes de transport ou encore d'investissements. "Grâce aux informations ainsi récoltées, les décideurs peuvent trancher en fonction notamment de critères environnementaux", note Jean-Marc Lagoutte. "Pour cela, il a été nécessaire d'élaborer des critères d'évaluation et des moyens de correction". Parmi les critères utilisés, citons notamment la quantité de matière première consommée. Concernant le lait, il n'y avait pas de modèle disponible et Danone a dû en élaborer un ; tous les modèles ainsi réalisés ont ensuite été validés par des experts.
Premier bilan
En termes de volumétrie, l'application n'est pas très gourmande. Même si Jean-Marc Lagoutte ne quantifie pas précisément ces volumes, il estime qu'ils auront tendance à monter en charge. "De la même façon, l'architecture technique reste légère, puisque l'application tourne sur l'infrastructure existante et que Danone n'a pas eu à mettre en place de serveurs spécifiques".
L'analyse carbone effectuée commence par la partie agricole et se poursuit sur l'ensemble des éléments du cycle de vie du produit (transport, packaging, recyclage...). Le lait entre pour 45 % dans l'empreinte carbone des produits. "On note des écarts très importants dans l'agriculture, avec un facteur allant de 1 à 7", constate Myriam Cohen-Welgryn. "Ces éléments impactent chacun des choix que Danone est amené à faire".
Aujourd'hui, le groupe a une empreinte globale de 14 millions de tonnes, soit 22 % de moins qu'en 2008 ; de nombreuses actions, s'appuyant sur des outils spécifiques, allant de l'alimentation des vaches au transport, ont été engagées pour atteindre les objectifs de réduction. "Il existe encore de nombreux gisements d'économies qui nous permettront d'atteindre notre objectif de 30 %, comme la suppression de certains packagings ou la réduction de l'énergie utilisée. Nous réduisons l'énergie que nous consommons de 10 % par an", précise Myriam Cohen-Welgryn. Le pari des 30 % en 2012 devrait donc être tenu.
Il n'existe pas encore de bilan économique à ce jour. "Nous n'abordons pas ce projet comme un business case", commente la directrice générale Nature de Danone. "Néanmoins, les 30 % d'économies carbone générées se solderont forcément par une économie. Il nous reste à la quantifier".
Le projet a également eu un certain nombre d'effets collatéraux intéressants, comme des simplifications de processus par effet secondaire. La partie applicative SAP touche aussi à des fondamentaux de Danone, comme le volet social. Autre effet collatéral : une image améliorée et en conséquence une plus grande appétence des jeunes pour l'entreprise. "Grâce à ce projet qui touche toutes les fonctions de l'entreprise, Danone passe à un niveau environnemental plus important", note Myriam Cohen-Welgryn.
Au-delà de 2012
2012, c'est demain matin : Danone travaille donc dès aujourd'hui à la prochaine étape, comme tout ce qui touche au packaging, par exemple. Myriam Cohen-Welgryn précise qu'elle met aussi de la pression en interne pour préparer les briques suivantes. "La gestion de l'eau est un problème encore plus important que celui du CO2. Il nous faudra l'adresser", estime-t-elle.
Côté SAP, la progicialisation des modules de Danone est en cours. "Chez SAP, nous avons 300 personnes qui travaillent sur le développement durable et font émerger des solutions nouvelles", précise Nicolas Sekkaki. Précisons qu'une fois que la solution sera commercialisée, Danone ne sera pas intéressé aux ventes.
Benoît Herr