Entreprise collaborative ? Entreprise innovante ? Les deux semblent indissociables. En effet, c'est dans le domaine de l'innovation que le travail en mode collaboratif s'est imposé et donne les meilleurs résultats. Jusqu'ici dans le domaine de la recherche et du développement, l'innovation résulte désormais d'un puzzle qui assemble des éléments provenant de divers acteurs de l'entreprise. L'innovation de rupture intervient à partir de gens qui apportent des expériences très diverses.
Olivier Réaud, fondateur et facilitateur d'In Principo
Mais cet aspect collaboratif n'est pas synonyme d'un monde sans règles. "Le café du commerce regroupant 40 personnes lors d'une première réunion n'est pas productif, prévient Olivier Réaud, fondateur et facilitateur d'In Principo, société de conseil en management collaboratif et innovation ouverte : "la désillusion vient lors d'une deuxième réunion censée produire une synthèse : en effet, la tâche s'avère délicate car certains participants de la première réunion sont absents et d'autres se sont ajoutés." Dans de telles situations, le projet ne démarre jamais.
Des méthodes pour mettre en place une entreprise collaborative
Même si le mode collaboratif est dans l'air du temps, le mettre en place dans une entreprise ne s'improvise pas. Il s'agit d'une décision stratégique impliquant la direction générale. C'est une transformation majeure du mode de fonctionnement de l'entreprise qui concerne tous les salariés, à tous les niveaux hiérarchiques. Elle ne peut se faire qu'avec une méthodologie bien maîtrisée. Des outils adaptés servent de support concret à sa mise en œuvre.
Il faut donc fournir aux différents acteurs de l'entreprise les méthodes qui vont leur permettre d'agir de manière collaborative, chacun à son niveau. In Principo appelle management collaboratif la discipline qui structure ces nouvelles pratiques afin de collaborer, c'est-à-dire "être en interaction avec d'autres acteurs dans et à l'extérieur de l'organisation, en intelligence avec eux, en prenant en compte des contextes précis, en s'appuyant sur des pratiques, des démarches, elles-mêmes en évolution." Intervenant en accompagnement dans de nombreuses sociétés, les associés d'In Principo ont mis en place, à leur demande, une "université collaborative" dont la version 2 sera lancée officiellement le 12 juin 2012. Elle se compose d'un ensemble de formations assurées par des praticiens internes et externes, organisées sous forme de 4 parcours : le "collaborative tour" pour les managers et responsables opérationnels, les "essentiels" pour présenter les principales démarches du mode collaboratif, "les opérationnels" pour former les personnes concernées aux pratiques opérationnelles et "les stratégiques" pour donner aux managers les moyens de transformer leur entreprise.
In Principo prône de nouvelles méthodes de travail
Les démarches essentielles abordées dans les formations comprennent l'identification et la formation des compétences, la mise en œuvre du "coleadership", les projets transverses collaboratifs, l'innovation collaborative ouverte, la propagation organique. Parmi les pratiques faisant l'objet de formations, citons la qualité de la communication et en particulier la communication non violente, le travail avec les groupes, les approches intuitives et visuelles, la prise en compte de la culture Web. Enfin dans le parcours stratégique, une formation s'attache au développement de la singularité de l'entreprise, destinée à favoriser les innovations de rupture.
Schneider Electric a vécu une expérience réussie de projet transverse collaboratif qui a même permis de terminer plus tôt que prévu. Lorsqu'ils évaluent le temps nécessaire pour accomplir leurs tâches, les gens prévoient des marges de sécurité importantes pour tenir compte des risques. Alors que souvent ils ont terminé en avance, ils s'en tiennent à leurs prévisions pour rester crédibles et n'annoncent la fin de leur tâche que le jour prévu. Dans le contexte du "critical chain management", les membres du projet s'accordent pour mettre une partie de leurs risques dans une bourse commune que tous partagent. En cas d'aléa identifié et uniquement dans ce cas, un membre y puise un délai supplémentaire. Les gens se lancent des défis et en pratique, ils terminent plus vite que prévu. En définitive, ils ne consomment pas toute la réserve prévue.
Faire du changement une opportunité pour collaborer
Revenir à l'âge de pierre est impossible. Stagner n'est pas non plus une solution. "Plutôt que de mettre en avant une image négative du changement, de pousser les utilisateurs à faire le deuil d'un produit ou d'une méthode de travail, il faut faire du changement une opportunité", insiste Olivier Réaud : "en valorisant l'importance du collectif, un dysfonctionnement ou un incident deviennent des opportunités d'amélioration."
Plus généralement, c'est en se confrontant au monde extérieur qu'émergent les raisons de collaborer. Une société stable, avec des clients fidèles, n'a aucune raison de se remettre en question. Par contre, une société qui rencontre des problèmes avec l'extérieur est un bon terrain pour la mise en place de la collaboration. Les salariés de l'entreprise se persuadent vite qu'ils ont besoin les uns des autres, qu'ils ont besoin d'être intelligents ensemble, de faire preuve d'intelligence collective. Ce mode de fonctionnement se rencontre couramment dans les équipes sportives. Une équipe de football travaille en amont les phases de jeu, les joueurs s'entraînent ensemble, ils étudient les stratégies des équipes adverses : à partir de ces bases, ils savent réagir rapidement pendant les matchs. De même, les musiciens de jazz qui ont beaucoup joué les standards avec divers partenaires savent improviser.
S'appuyer sur des outils et les faire vivre
Marc Devillard, président de Motivation Factory
Pour Marc Devillard, président de Motivation Factory, éditeur de logiciels qui accompagnent la démarche collective de changement, "pour mettre en place une démarche collaborative dans une entreprise, il faut un sujet concret lié à l'activité de l'entreprise.". La mise en place de méthodes ou d'outils sans suivi et sans démarche stratégique est vouée à l'échec : c'est en particulier le cas des réseaux sociaux d'entreprise, qui bénéficient d'un effet de mode. La prise de conscience de l'intérêt de la collaboration se fait souvent à l'occasion d'actions simples, comme par exemple l'accès centralisé à un document remplaçant son envoi comme pièce jointe à un courrier électronique.
Olivier Réaud va plus loin dans la caractérisation des outils : "les réseaux sociaux ont tendance à privilégier une communauté fermée alors que les entreprises sont foncièrement tournées vers l'extérieur. Leur adoption s'accompagne d'un effet d'enthousiasme qui retombe ensuite", d'où l'importance de la réflexion stratégique et de l'animation de la solution.
Plate-forme collaborative dédiée à l'innovation réalisée avec Motivation Factory
C'est pourquoi des outils spécifiquement adaptés au fonctionnement collaboratif des entreprises ont vu le jour. Mais le succès d'un tel outil dépend de la démarche de mise en place. Dans le cas de la plate-forme collaborative Motivation Factory, le démarrage se fait par une opération coup-de-poing. "Après avoir retenu un sujet majeur pour l'entreprise, nous lançons une opération pilote en nous appuyant sur la communication interne, explique Marc Devillard : "le jour J, les gens déposent leurs idées, elles sont récoltées par un groupe de travail, qui produit très vite une première version du projet. Puis des circuits se mettent en place, à la fois locaux et généraux, s'appuyant sur un workflow. Une équipe de veille intervient pour alimenter le système en permanence. Elle ajoute des sources d'informations extérieures par l'intermédiaire de flux RSS. L'identification des thèmes se fait à l'aide de "tags" associés aux messages et aux documents. Ces tags permettent de construire des lettres électroniques ciblées, diffusées aux participants concernés. Différentes catégories d'utilisateurs se mettent en place, constate Marc Devillard : "en pratique, 5 % contribuent, 50 % lisent et commentent, 50 % ne font que lire."
De son côté, In Principo conseille divers outils selon la taille de l'entreprise, ses objectifs et le modèle choisi : centré sur l'utilisateur ou sur la communauté. Le cabinet a ainsi sélectionné Bluekiwi, Telligent, Jives, mais aussi les outils Google pour les petites entreprises et des solutions autour de Sharepoint. "il faut trouver le bon équilibre entre l'objectif et le subjectif, remarque Olivier Réaud. "Ce ne doit être ni un outil de surveillance, ni un outil en libre-service utilisable sans limite."
L'attention portée aux gens est un critère essentiel du succès de la démarche et des outils collaboratifs. "Il doit un avoir un volet de reconnaissance des gens, insiste Marc Devillard. C'est un aspect qui manque souvent cruellement lors de la mise en place de logiciels traditionnels comme les ERP. "Il faut tenir compte de la subjectivité des utilisateurs et de leur variété, sinon l'outil est rejeté, note Olivier Réaud. "Prévoir simplement de la formation et de sensibilisation au démarrage équivaut à passer de la pommade. Il faut créer de la dynamique pour que les gens s'approprient les produits."
L'adoption du mode collaboratif par une entreprise la fait bouger. "Si les gens se sentent écoutés en interne, ils écoutent mieux les gens en externe et leur écoute des clients s'améliore, constate Marc Devillard.
René Beretz