Comme le montre une enquête réalisée par le cabinet d'études Markess International, l'utilisation des appareils mobiles dans la sphère professionnelle croît fortement depuis plusieurs années : alors qu'en 2010 6 % des professionnels utilisaient un smartphone fourni par leur société, ils devraient être 23 % en 2013. Dans ce cadre, les terminaux personnels utilisés à titre professionnel font leur percée en particulier chez les commerciaux : l'enquête montre que, sur l'ensemble des smartphones et tablettes utilisés, si 81 % sont fournis par les entreprises, 10 % des appareils utilisés par les commerciaux leur appartiennent pleinement et 9 % leur appartiennent, mais ils ont bénéficié pour cela d'une participation financière de leur entreprise. Le club de la presse informatique B2B a organisé une table ronde autour cette vogue du BYOD (Bring Your Own Device, c'est-à-dire "Apportez votre appareil personnel")

Selon Emmanuelle Olivié-Paul, directrice associée de Markess International, "il ne faut pas oublier que certains personnels nomades, comme les techniciens de maintenance, étaient déjà équipés de terminaux mobiles. Les tablettes et smartphones concernent surtout de nouvelles populations : direction générale, direction des services, commerciaux."

Un phénomène majeur provoqué par plusieurs facteurs

"Aux États-Unis, de nombreux employés ont souvent 3 moyens pour se connecter aux applications de l'entreprise", signale Pierre Goyeneix, directeur du Business Development de la division HP Networking. Le phénomène a pris de l'ampleur mais les services informatiques n'ont pas voulu le voir. "Les DSI sont dépassées par la consumérisation de l'informatique", confirme Charles Gresset, Chief Technical Officer chez Econocom Telecom Services : "un système jusqu'ici très cadré a été bousculé par l'importance de l'expérience utilisateur. Les DSI sont passées en mode réactif."

Deux autres facteurs ont contribué au développement de BYOD : l'avènement des intranets, qui fournissent des informations disponibles pour tous, et l'amélioration de la connectivité. Les jeunes diplômés sont arrivés dans les entreprises avec ces nouveaux appareils personnels qui sont devenus leurs outils de travail en lieu et place des PC. Du coup, l'innovation a changé de bord : alors qu'elle provenait jusqu'ici des PC des entreprises, elle est apportée aujourd'hui par les appareils personnels. "Apple a visé avant tout le grand public et ne s'est intéressé aux entreprises que dans un deuxième temps", remarque Laurent Donnay, responsable de l'activité architecture et innovation chez Accenture.

"Le BYOD est un levier d'innovation qui permet de tester les applications dans des domaines précis avant de les diffuser largement : il a un effet d'entraînement.", affirme-t-il. C'est un laboratoire qui permet de mobiliser, de sensibiliser les collaborateurs. "Comme les projets informatiques viennent de l'utilisateur, le taux d'acceptation est très élevé", renchérit Charles Gresset.

" Ces cinq dernières années, les entreprises ont intégré le BYOD dans leurs investissements", constate Laurent Donnay, "et celles qui ne l'ont pas encore fait ne doivent pas tarder." Cette révolution d'usages bouscule les habitudes du droit du travail français, qui oblige l'employeur à fournir les outils de travail à ses salariés. Mais chez Alain Afflelou, on ne se pose pas la question, affirme Ludovic Tassy, directeur informatique du groupe : "l'utilisateur devient prescripteur. Il contribue au SI de l'entreprise en le rapprochant des métiers et en ajoutant de nouvelles possibilités." Mais la charte informatique traite uniquement des outils fournis par l'entreprise : il faut donc y ajouter le BYOD.

Ouverture, contrôle et sécurité

Face à iOS, propriétaire et plutôt fermé, et à Android, "ouvert à tous les vents", comment les directions informatiques peuvent-elles gérer la sécurité des accès et des données ? Pour Ludovic Tassy, "iOS est sûr mais Android entraîne des soucis.". Laurent Boutet, spécialiste de l’accès mobile chez Stonesoft, est plus nuancé : "son aspect propriétaire et fermé ne rend pas iOS plus simple à traiter pour les acteurs de la sécurité que nous sommes. Plus généralement, il faut traiter les mobiles comme des ordinateurs de cybercafé : ne pas leur faire confiance et ne rien stocker dessus."

Intervenants de la table ronde. De gauche à droite : Emmanuelle Olivié-Paul, Karine Brunet, Laurent Boutet, Laurent Donnay, José Diz (animateur de la table ronde), Ludovic Tassy, Charles Gresset, Pierre Goyeneix

Les risques et les enjeux liés à la sécurité existent depuis le développement des PC portables. "Les solutions de sécurité par identifiant, mot de passe et chiffrement sont utilisables quel que soit le type de terminal. Les données figurent dans l'annuaire LDAP de l'entreprise", confirme Laurent Boutet, "mais les solutions spécifiques aux mobiles sont encore limitées à cause de problèmes techniques."

Plus généralement, la gestion des appareils mobiles est un domaine en soi, qui a même son acronyme anglo-saxon : le MDM (Mobile Device Management - à ne pas confondre avec son homonyme Master Data Management), pour lequel il existe des outils dédiés. Ceux-ci peuvent contrôler finement l'accès au SI de l'entreprise en fonction de la localisation du mobile, comme l'explique Ludovic Tassy : "les collaborateurs ont accès à toutes les fonctions du SI (extranet, messagerie...) lorsqu'ils sont en France, mais à un éventail plus limité à l'étranger." De même, les droits ne devraient pas être les mêmes selon le média utilisé. "Il paraît logique d'allouer moins de droits à un accès depuis un mobile ou un ordinateur de cybercafé que depuis un poste interne", remarque Laurent Boutet.

Cloud, virtualisation et applications spécifiques

Un monde bien maîtrisé, dans lequel le TCO du poste de travail était connu, a laissé la place à un monde incertain. "La solution réside dans la virtualisation du poste de travail", affirme Karine Brunet, directrice des lignes de services industrielles chez Steria : "en publiant les applications dans un cloud public ou privé, elles deviennent disponibles pour tous les postes de travail, y compris les postes traditionnels, qui ne sont pas laissés pour compte." La conséquence est que le coût d'exploitation en entreprise va baisser. Mais il ne faut pas négliger pour autant le coût du support aux utilisateurs. Cependant la virtualisation ne suffit pas, remarque Charles Gresset : "il faut tenir compte des performances et des caractéristiques de l'application sur la tablette, comme son caractère tactile par exemple."

"L'utilisation de ces appareils entraîne un phénomène viral de recommandations entre collaborateurs", note Laurent Donnay, "et la frontière entre utilisations professionnelle et personnelle disparaît." Un exemple typique est l'utilisation de Dropbox pour le stockage des documents communs. Les droits américain et européen s'opposant sur la propriété des données, il y a un risque que celles-ci finissent par ne plus appartenir à l'entreprise. Le groupe Alain Afflelou a interdit l'utilisation de Dropbox : des solutions alternatives adaptées, communes à toutes les entités, ont été mises en place pour stocker et gérer les fichiers collaboratifs. Plus généralement, un intranet gérant des fichiers partagés fournit aux utilisateurs des outils pratiques que l'informatique maîtrise bien.

"La demande de mobilité est arrivée naturellement et la DSI a été obligée de la prendre en compte", affirme Ludovic Tassy. "Mais ce qu'on peut faire dépend fortement du patrimoine applicatif de l'entreprise", insiste Karine Brunet : "le développement d'une interface conviviale pour une application sur mainframe peut avoir un coût rédhibitoire."

L'arrivée des tablettes a entraîné le développement de nouvelles applications dédiées et l'adaptation d'applications existantes. Outre la consultation de documents, les applications d'échange et de communication et la gestion des contacts, les utilisateurs bénéficient d'un accès partiel à l'ERP. De nouvelles applications spécifiques sont également apparues, basées sur la géolocalisation et les fonctions vocales. "Mais certaines applications pour tablettes ont été développées 'sauvagement' et il faut les réintégrer dans le SI", remarque Emmanuelle Olivié-Paul. La demande vient essentiellement des métiers. "La DSI écoutera attentivement une direction commerciale qui fait 75 % du chiffre d'affaires de l'entreprise", note Charles Gresset.

René Beretz