Cette discussion s'inscrivait en amont d'une rencontre entre Jim Hagemann Snabe et une trentaine de DSI d'entreprises du CAC 40, sur le thème de la transformation des grandes organisations mondiales. L'occasion pour le co-CEO de SAP de rappeler le rôle crucial et stratégique du DSI : "Les CIO (ou DSI) devraient siéger au conseil d'administration des entreprises. Ils ont besoin de plus de visibilité dans le contexte actuel, où chaque entreprise devient une entreprise numérique. La période actuelle, difficile à bien des égards, est néanmoins une opportunité pour eux, car elle permet aux CIO d'accélérer l'innovation de l'entreprise tout restant concentrés sur la réduction des coûts. Aujourd'hui il faut aller de l'avant car les technologies sont présentes. Et si l'on n'y va pas, quelqu'un d'autre le fera à votre place", a-t-il commenté en préambule avant d'ajouter que si SAP a connu 15 trimestres consécutifs de croissance, c'est aussi parce qu'elle s'adresse aux CxO, c'est-à-dire aux différents départements de l'entreprise (marketing, commerce etc.).
Rappelons que Jim Hagemann Snabe a prévu de quitter la co-présidence de SAP en mai 2014 pour laisser les rênes au seul Bill McDermott : une manière de prendre de la distance et de la hauteur de vue, car il va bien entendu rester au conseil de surveillance de la société, aux côtés de Hasso Plattner, qu'il avait d'ailleurs prévenu de ce retrait 4 ans après sa prise de fonctions, en 2010. Il va aussi intégrer le conseil de surveillance de Siemens, en plus de celui de Bang & Olufsen, où il siège déjà.
Jim Hagemann Snabe - co-CEO de SAP (cliquez sur la photo pour l'agrandir)
Il pourra ainsi faire valoir sa vision sur le long terme : "SAP est devenue une entreprise innovante", affirme-t-il. "Le changement le plus important au cours de ces quatre dernières années a été le rythme des innovations : nous étions trop lents et présents uniquement dans l'ERP et la BI, à l'époque. Là où une start-up menait un projet en 6 mois, il nous en fallait 15. Grâce à des développements agiles, nous sommes passés à une durée moyenne de projet de 7,5 mois, soit la moitié. Appliqué à 20 000 développeurs, cela fait beaucoup d'innovation par an. Le rythme de l'innovation est capital dans l'économie de demain.
L'autre changement majeur a été la compréhension et la prise en compte de l'expérience des utilisateurs. Nous ne nous contentons plus de fournir des logiciels en pensant que nous sommes omniscients et en expliquant au client qu'il doit désormais se débrouiller avec. Le feedback n'était pas toujours très positif quand nous retournions voir le client 14 mois plus tard.
Le temps des projets qui durent des années est révolu. Aujourd'hui, nous impliquons le client dès le premier jour. Nous allons même plus loin et observons le client et sa manière de fonctionner avant même de démarrer. Nous sommes devenus obsédés par le client et nous nous trouvons à ses côtés en permanence".
Qu'est-ce que l'innovation ?
Pour Jim Hagemann Snabe, il y a deux composantes dans l'innovation : tout d'abord l'idée en elle-même. Mais elle ne suffit pas : et d'illustrer son propos avec l'exemple du Newton d'Apple, premier assistant personnel de la marque, en 1993, arrêté en 1998 pour cause de flop commercial. "Il faut aussi disposer de la taille critique", assure-t-il. "L'iPad, en 2010, a disposé de cette taille critique et il est devenu un succès planétaire. Innover, c'est aussi créer des choses d'une manière dont on n'aurait jamais imaginé qu'elles puissent se faire"
"Les données sont actuellement utilisées dans tous les secteurs pour faire évoluer les modèles d'affaire. Il y a toujours eu de l'innovation, mais aujourd'hui, du fait du passage au tout numérique et de la disponibilité de nombreux capteurs et de gros volumes de données, toutes les entreprises deviennent numériques. Dans les 5 à 10 ans à venir, on va assister à des changements majeurs, à l'instar de ce qui s'est passé pour l'industrie du disque."
En outre, on assiste aujourd'hui à la consumérisation de l'informatique : "lorsque l'utilisateur rentre chez lui le soir, il utilise Facebook, son mobile, etc. On ne peut plus lui proposer des applications ringardes au sein de son entreprise : nous concevons tous nos logiciels comme s'il s'agissait de logiciels grand public". Le dirigeant estime d'ailleurs que le grand public sera de plus en plus concerné par ses logiciels, non pas directement, mais au travers des clients de ses clients et par le truchement des applications de mobilité qui leur seront proposés. "Nous sommes fiers d'être connus et reconnus comme le leader des ERP, mais aujourd'hui nous avons tellement plus à proposer", commente-t-il.
Aujourd'hui...
Jim Hagemann Snabe a également précisé son point de vue par rapport à Business ByDesign, qui a fait l'objet récemment d'un ajustement de stratégie. "Les applications adoptées aujourd'hui dans le cloud constituent des pans fonctionnels relativement limités. Et la grande question est de savoir à quel moment l'intégralité de la Business Suite sera également adoptée dans le cloud : les grandes entreprises ne veulent pas pour le moment voir leurs données hébergées dans un cloud public ou autre. Business ByDesign est notre réponse à cette question et nous avons décidé de le migrer vers la meilleure base de données du monde à l'heure actuelle : HANA. Il y a de ce fait quelques développements à faire. C'est ce qui n'avait pas bien été compris.
Ceci étant, nous hébergeons également la Business Suite au sein du HANA Enterprise Cloud, mais derrière un firewall. Ainsi, chaque client dispose de sa propre installation, car elles sont toutes particulières. Toutes les déclinaisons deviennent disponibles, depuis les applications isolées jusqu'à l'intégralité de la Suite en passant par Business ByDesign, ce qui fait de notre portefeuille cloud le plus étendu du marché".
… et demain
La vision d'avenir de Jim Hagemann Snabe passe par l'obsession de la simplification : "nous résolvons des problèmes métier complexes, mais nous voulons les simplifier pour l'utilisateur. La pré-configuration et les bonnes pratiques métier vont jouer un rôle de plus en plus important.
Sur le plan technologique, la prochaine étape sera le réseau. Aujourd'hui, avec l'acquisition d'Ariba, nous avons 1,2 million d'entreprises connectées. On ne parle plus de connecter l'entreprise, mais de connecter les entreprises entre elles. Cela permettra de réduire les gaspillages, par exemple en optimisant la chaîne logistique non pas d'une seule entreprise mais d'un groupe d'entreprises. Dans un monde où les ressources sont comptées, il importe de réduire les gaspillages. Dans l'agroalimentaire par exemple, il y a 65 % de déchets entre le lieu de production, la ferme, et le consommateur. Il faut optimiser cela en interconnectant les entreprises à l'instar de ce qui se fait aujourd'hui sur Facebook ou Twitter entre les personnes."
En conclusion, Jim Hagemann Snabe estime qu'en quatre ans, avec son collègue Bill McDermott, ils ont transformé l'entreprise en entreprise performante, innovante et mondialisée. "Notre monde, depuis la révolution industrielle, était basé sur la productivité du travail et nous a conduits à remplacer les personnes par des machines, consommatrices en ressources. Ce n'est pas un bon modèle pour l'avenir parce que cela crée du chômage tout en consommant beaucoup. Nous entrons dans une ère où il nous faut optimiser les ressources et non le travail. Les technologies de l'information vont nous aider à faire cela : plutôt que de produire en masse et à grand renfort de consommation de ressources des biens dont personne ne veut pour ensuite les brader, nous allons pouvoir produire des biens beaucoup mieux adaptés aux besoins et personnalisés tout en optimisant la chaîne logistique". En d'autres termes, SAP contribue activement à préparer le monde de demain.
Benoît Herr