Pour Patrick Bensabat, PDG de Business & Decision, selon l'endroit d'où vous parlez, votre secteur d'activité ou votre position dans l'entreprise, la définition de la transformation numérique diffère grandement : "la nôtre est que la transformation numérique est née d'une innovation technologique qui a débouché sur de nouveaux usages : l'e-commerce, les objets connectés, le cloud, le mobile, le social et la collaboration ". Ces nouveaux usages alimentent les systèmes des entreprises et génèrent de gigantesques flux de données auxquels il faut faire face : le nouveau défi est de transformer cet amoncellement en connaissance précise des clients. Patrick Bensabat estime que "la relation avec la marque s'est beaucoup complexifiée et il est devenu plus difficile mais encore plus nécessaire de connaître ses clients et de sonder leurs pensées."
Ce nouveau client volatil, que Patrick Bensabat décrit "comme à la fois votre meilleur avocat et votre pire ennemi ", demande à être traité de manière unique et vous impose d'être en permanence à son écoute. Les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) ont défini une nouvelle approche des clients à trois niveaux : elles souhaitent tout d'abord faire des consommateurs des visiteurs de leurs sites (ce qui peut générer des revenus publicitaires), premier pas du consommateur dans leur sphère, puis elles l'incitent à s'inscrire et à lui confier une partie de ses informations personnelles (qui peuvent être ensuite monétisées), avec l'espoir de le faire entrer finalement dans le cœur de leur sphère, lorsque l'utilisateur se transforme en acheteur.
S'inspirer d'Amazon ou Facebook, quel que soit son secteur d'activité ?
Pour Patrick Bensabat, à l'image des GAFA, toutes les entreprises doivent avoir pour objectif d'amener les prospects dans leur sphère en les rendant plus proches de leur marque et en créant de l'affect. Ces entreprises révolutionnaires ont appliqué la transformation numérique à eux-mêmes et à leurs activités et s'attaquent à des secteurs de plus en plus variés : leur ADN digital pourrait leur donner un très grand avantage compétitif par rapport à des concurrents traditionnels qui auraient mal anticipé leur transformation numérique (à l'image d'un Airbnb et de l'impact de son succès sur ses concurrents de l'hôtellerie traditionnelle). Le niveau de qualification des employés, le pourcentage d'ingénieurs et le nombre d'employés nécessaires pour réaliser des revenus identiques, instruments de mesure intéressants du niveau de transformation numérique des entreprises, placent ces acteurs loin devant leurs concurrents.
Philippe Lagrange, DSI de la Mutuelle Générale de Police (MGP), confirme que, même dans son secteur d'activité traditionnel, la relation avec les clients a beaucoup changé : "précédemment, les fils de policier conservaient la mutuelle de leurs parents toute leur vie. Ça n'est plus le cas à l'ère des consommateurs volatils et des comparateurs d'assurance. Les gens changent de mutuelle selon des facteurs que l'assureur ne maîtrise plus. Il est devenu vital de pouvoir analyser les données cachées générées par nos systèmes pour arriver à fidéliser nos clients."
Les prévisions de Gartner à moyen terme confirment ces tendances : selon ses analystes, d'ici 2017, 50 % des investissements des entreprises seront consacrés à l'innovation dans l'expérience client et le commerce sur mobile, ou m-commerce, représentera 50 % du commerce digital. Par ailleurs, en 2018, le TCO des opérations commerciales sera réduit de 30 % grâce aux machines intelligentes. Patrick Bensabat a évoqué un projet récent d'une chaîne hôtelière, qui a mené une campagne "Push", avec l'aide de Business & Decision, en mettant en place une logique auto-apprenante, malgré les réticences compréhensibles du service marketing, et qui a pu multiplier par trois les résultats de sa campagne commerciale.
Le m-commerce en plein boom
Pierre-Nicolas Dessus, directeur marketing digital chez France TV, concède qu'"agnostiques en termes de technologies, nous nous laissons guider par les usages ". Avec l'amélioration du débit et des équipements, 40 % du trafic numérique de France TV est aujourd'hui sur mobile, contre 0 % il y a encore trois ans. En quatre ans, le volume a été multiplié par dix et "nous avons dû créer des formats courts de résumé des émissions et ne plus proposer que des replay complets." Enfin, la conversation autour de la machine à café sur les programmes TV s'est aujourd'hui déplacée vers les réseaux sociaux. "À tel point que les deux plus grandes entreprises de l'audiovisuel en volume, Facebook et YouTube, ne sont pas des acteurs du secteur audiovisuel ! C'est pourquoi France TV a signé un partenariat avec YouTube, alors que l'entreprise est en partie notre concurrente ".
Michel Delbecq, DSI EMEAP de Sephora, constate lui aussi l'explosion actuelle de la part du mobile et estime primordial de s'adapter immédiatement à ces nouveaux usages pour la prise de parts de marché dans un futur proche. Mais il souligne également qu'en volume, la croissance reste encore plus forte dans les magasins que sur l'e ou le m-commerce. "Le rythme d'ouverture de nouveaux magasins est toujours aussi soutenu et les magasins constituent toujours 90 % du CA : la transformation numérique ne se limite pas à l'e-commerce ou au m-commerce mais rime également avec la digitalisation des magasins pour offrir de nouveaux services, un équipement des vendeuses en nouveaux outils numériques pour mieux informer les clientes, en attente d'expertise, et personnaliser les conseils, ou la mise en place du store to Web et du Web to store ".
La transformation numérique doit donc se traduire concrètement par la fusion véritable de l'IT et du marketing et pas uniquement par une collaboration timide. "Si le DSI et le directeur marketing ne s'entendent pas, il faut en changer au moins un des deux ! ", estime Michel Delbecq.
Eric Gatrio, directeur des ventes applications sur le mid-market chez Oracle France, n'observe plus de dichotomie entre les secteurs dans ce mouvement de transformation numérique : "tout le monde n'en est pas au même point mais tous les secteurs s'y sont mis, y compris le BtoB. Un tiers de nos clients se lancent pour améliorer la relation client, un autre tiers pour améliorer les processus et un dernier tiers est dans un enjeu disruptif, pour se démarquer de la concurrence. "
Patrick Bensabat a conclu cette matinale en rappelant que "certains usages seront confirmés, d'autres infirmés et qu'il convient de rester prudent". Face à la difficulté de définir une stratégie et de parier sur des usages changeants, Eric Gatrio d'Oracle loue l'avènement du cloud qui "a tout changé, permettant une implémentation rapide, une diminution du poids technique des projets pour les clients et un fonctionnement par incrément." Philippe Lagrange, DSI de la MGP, confirme la baisse du coût des échecs : "nous faisons du jetable. Si nos projets ne fonctionnent pas, nous repartons dans une autre direction. Mais si nous nous trompons, c'est en toute transparence vis-à-vis de l'exécutif". Michel Delbecq, de Sephora, nuance, lui, ce raccourcissement des projets de transformation numérique : "entre l'émergence d'une idée novatrice d'envergure et son déploiement effectif dans notre réseau de 350 points de vente, un délai de deux ans est nécessaire", estime-t-il. "D'où l'importance de ne pas se décider trop tard. "
Hervé Baconnet